13- L'appartement
— J’ai acheté des sushis et des ramens, je sais que tu aimes ça, ma marmotte des îles.
Ouais, Bélynda adore me donner des surnoms étranges. J’ai arrêté de lui faire remarquer que c’était ridicule, si ça lui fait plaisir. Au moins, elle a acheté ce qui me plait. Toujours me faire plaisir. Mais en soi, ça cache souvent un truc, et au vu de sa tenue, je pense que je vais devoir donner de ma personne et je n’en ai clairement pas envie. À la vérité, je n’en ai jamais envie. Pourtant, Bélynda est canon. Elle est tout à fait mon genre : épaules carrées, taille fine, cheveux châtains et ondulés. Elle a deux belles lèvres charnues et bien dessinées, rose framboise. Enfin, parfois je me dis que c’est moi qui est un problème. Je pense que ma libido n'est pas vraiment le souci dans cette histoire, c’est plus une question d’indépendance inexistante et de d’impression d’enfermement. Je ne sais pas si j’aime Bélynda. Je ne sais même pas si je suis capable d’amour, du moins celui qui lit un couple. En fait, ça fait tellement longtemps que je suis avec elle, que je ne me suis jamais demandé si le problème ne venait pas d’ailleurs.
Bélynda ferme les volets, tamise la lumière, met une musique d’ambiance et commence à onduler vers moi comme un félin. Rien ne se passe en moi, hormis la barrière que j’érige quand je me sens en danger.
—Et si on faisait des bébés, toi et moi ?
—T’as trouvé que ça pour me faire bander ? T’es sérieuse.
—De toute façon, je pourrais dire n’importe quoi, tu resteras moue.
—Bah, si tu le sais pourquoi tout ça ?
—Parce que j’ai envie de toi, moi.
—Ah ! Bah, évidemment. Quand madame à envie, je suis supposé m’allonger et attendre qu’elle fasse du dada sur moi. T’es sérieuse ?
Je me redresse du canapé avant qu’elle s’écroule sur moi. Je sais que ça fait longtemps que je me sens mal dans ma vie, et qu’elle a subi tous mes moments troubles, mais pourquoi elle persiste ? Elle sent pas que ça va toujours pas ? Ou bien, qu’elle imagine que ça n’ira jamais, alors autant qu’un de nous deux prennent son pied et que l’autre continue de couler. Ça me fatigue. Et je sens que cette supposée soirée tranquille va se transformer en ulcère.
—Je verse l’eau chaude dans les bol de ramens, cesse deux œufs à l’intérieur. Bélynda vient derrière moi, me choppe le paquet, d’instincts, je la repousse.
—Si t’avais pas encore compris, j’ai toujours pas envie.
—Mais c’est pas grave. Ça fait deux mois, j’en peux plus moi.
Parfois, j’ai l’impression qu’on a inversé nos rôles. En vrai, ça fait trois ans que je cherche à me séparer de Bélynda. Trois ans que j’échoue à me stabiliser dans ma vie. Si seulement, j’étais indépendant financièrement. Si seulement, j’avais des amis. Si seulement, je me décidais à m’inscrire dans un club de sport. Ça fait des mois que je pense à partir. Prendre le peu d’argent que j’ai sur mon compte en banque et faire une sorte de stage linguistique. Mais, voilà, je suis conscient que ce n’est pas réalisable. Je suis bloqué par mes croyances. Bélynda reste mon assurance. Elle m’aime, fera tout pour me rendre heureux. Elle me supporte depuis dix ans, me supportera la vie entière, si évidemment, je viens vivre avec elle et que je lui fasse des enfants. Devenir père alors que j’ai rien vécu et que je n’ai jamais était satisfait de ma vie… Je n’ai aucune envie d’avoir d’enfant. Je préfère les chiens. Je veux des Léontine et des Larson. Eux, ils me rendent plus qu’heureux.
—Tu veux que je fasse quoi, que je te laisse me branler, qu’on se retrouve au pieux, que je sois trop moue et que je finisse entre tes jambes à te pénétrer avec ma langue ? Je ne t’offrirais qu’un broutage de minou, basta.
Parfois, j’ai l’impression d’être un prostitué et que ma meuf c’est mon mac. Sans déconner, qu’est-ce que tu veux que j’aille mieux. Je veux juste une personne qui me comprenne, qui joue sur les mêmes délires que moi, qui se passionne pour les mêmes trucs. Avec Bélynda, il n’y a que le cinéma et … j’ai beau cherché, y’a pas grand-chose. Les balades ? Les magasins d’antiquités ? J’aimerai qu’Ariel m’apporte un miracle, qu’avant la fin de l’année, je puise devenir moi et arrêté de faire semblant, de ruiner la vie d’une autre. Je ne suis que souffrance, qu’horreur. Je me sens dégueulasse, une pourriture incapable de s’aider et qui a recourt à un ange gardien pour supplier l’univers.
Après avoir fait du bien à Bélynda, je mange mes nouilles et les sushis devant une émission de télé. J’essaie de relativiser et profite du moment, seulement Bélynda ale chic pour me faire me sentir mal, à croire qu’elle n’est pas dans la capacité de ressentir les ondes négatives qui m’entourent. En dix ans, elle est supposée comprendre, non ?
—Ce week-end, on devrait manger ensemble. Je suis sûr que ça ira mieux. Je t’achèterai une tarte tatin comme tu aimes.
Je dresse le mat et elle me nourrit, un bon compromit quand on est monsieur tout le monde, une sensation d’être minable quand on est moi. Ça me blesse, et je m’écœure. C’est dans ces moments-là que j’ai le plus envie de la quitter.
Je sors la tête de l’eau et elle rappuie dessus.
Conneries.
J’aimerais pouvoir lui dire : Je suis tombé amoureux de toi parce que tu as su m’aimer à une période où je ne m’aimais pas beaucoup. Ce serait mentir que de dire une telle énormité. Je ne suis jamais tombé amoureux. J’ai eu des fascinations, des crush… mais qu’est-ce que c’est de tomber amoureux ? Donner sa vie pour l’autre ? Je pourrai le faire pour Léontine et Larson. Mais ça, c’est l’amour d’un père pour ses enfants.
Je ne sais plus quoi penser. Le vide recommence à noyer mon existence.
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