16- Miroir

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Le visage d’Eronne est encore dans ma tête, comme celui de Nathaël et de Tae-ho. Trois types, tous différent. Aucun ne se ressemble et pourtant, j’ai été attiré par eux. Pourquoi ?

Je m’essuie, les yeux rivés sur le miroir de la salle de bain. J’ai l’impression d’être en face d’une autre personne que moi, une sorte de double ou simplement mon inconscience. Nous avons le même visage, cependant l’autre à un air plus serein, plus mature. Comme s’il savait tout de nous.

— Comment un gars qui sait qu’il est attiré par les femmes peut être intéressé aussi par des gars ?

La discussion est ouverte.

— Il y’a plusieurs réponses. Pansexuelle. Bi-sexuelle. Une pulsion… Une fascination. Tu aimes l’art. Tu aimes ce qui te semble beau. Peut-être qu’ils sont tous beaux sous ta rétine. Est-ce que tu les voies plus comme une sculpture d’Apollo ou plus comme des humains fait de chair. Comment les scrute-tu ?

Mon double reste planté devant moi. Il connait la réponse, mais il adore jouer. Il préfère quand s’est moi qui devine.

— Léandre, qu’aimes-tu ?

— Ça fait beaucoup de question.

— Réponds-y.

— Je les regarde avec fascination. Ils ont un truc qui accroche l’œil et l’admiration. Tout passe dans leur regard. C’est comme une porte vers ce qu’ils sont. Je suis curieux. Et j’aime savoir alors…

—Alors, tu les regardes persuader qu’ils se montreront à toi en quelques œillades lancés au loin ?

J’attache la serviette à ma taille et me saisit de la crème. Je m’en badigeonne les mains et les passe sur mon visage, dans mon cou, sur mes clavicules. Le tapotement que j’exerce sur la peau fait pénétrer la crème.

—Sans doute.

—Qu’aime-tu a faire cela ?

—J’aime penser à leur place.

—Ne peux-tu pas le faire avec tout le monde ? Qu’est-ce qu’ils ont de plus eux ?

—Ils ont un regard séduisant qui appelle et qui est entendu.

Je marque une pause, tends le bras et choppe la bouteille d’eau que je vaporise sur ma peau et je recommence à tapoter pour une meilleure hydratation.

—Je n’crois pas que je saurai expliquer véritablement. C’est une sensation d’attirance, comme l’alchimie entre des aimant. Je suis celui qui s’est senti attiré et qui a tout fait pour rester à bonne distance.

—Et tu ne crois pas que tu aurais pu avoir tes chances avec eux ?

—Non…

—Tu es certains ? Ils te regardaient eux aussi. *

—Seulement parce qu’ils m’ont grillé. Ils ont senti que je les fixer. On ressent ça quand on n’est pas trop dissipé. Je le sens quand on me regarde.

—Parfois, tu le sens. Mais combien de fois tu as été surpris quand Nathaël te regardait. Comment ton cœur s’emballait quand il ne détournait pas ses yeux et qu’il essayait de plonger en toi ?

— Il battait vite…

— Et que fais-tu ?

— Je le défiai et plongeai en lui à mon tour, jusqu’à ce qu’il cède.

— Alors sais-tu ?

— Oui. Ils m’ont donné de l’intérêt alors que je les épiais. Ils m’ont donné leur feu vert pour que continue à les faire exister et ça m’a donné plus envie encore de les garder en mémoire. La mémoire du cœur. La mémoire qui accumule un mélange étrange de sentiments. Je suis tombé amoureux de leurs yeux, puis du reste de leur surface, puis de ce qu’ils me montraient d’eux pendant nos échanges de regard.

— Combien de fois cela t’es arrivé ?

— La sensation de me liquéfier et de reprendre forme ? Je crois, qu’avec eux. Mais Eronne… je pense que c’est autre chose. D’ailleurs, je pense que Nathaël était vraiment particulier pour moi. Je savais qu’il aurait pu répondre oui à mes sentiments.

— Alors pourquoi n’as-tu rien fait ?

— Parce que ça me paraissait incohérant. J’aimais les filles, j’aime toujours les femmes.

— Tu aimes les femmes mais tu n’es pas contre à aimer un homme.

— Seulement si mon cœur par trop loin avec lui.

— Nathaël aurait-il pu t’emmener loin ?

— Il aurait pu… sinon pourquoi je rêverai encore de lui, comme s’il avait été mon ultime regret. Mais en attendant, je suis toujours ici avec moi-même.

— Un jour, il faudra que tu acceptes d’être avec une personne qui te transcende. Tu ne peux pas te complaire dans une histoire à laquelle tu n’as jamais cru. Depuis combien de temps, tu aurais dû rompre avec Bélynda ?

— Un an après notre première fois.

— Et ça fait combien de temps que vous êtes ensemble ?

— Plus de dix ans…

— N’est-ce pas pathétique et horrible pour elle ?

— Ça l’est. Elle sort avec un homme qui ne l’a jamais aimé.

— Je ne suis pas sûr…

— … de savoir aimer. Je sais. Et quoi, alors ? Que se soit elle ou Nathaël, c’est la même chose ?

— Non.

— Et pourquoi ?

— Parce qu’il me faisait ressentir des tas de choses qu’elle n’a jamais su lever en moi. Je suis détestable. Je sais que je dois tout arrêter, mais j’y arrive pas. Je… elle m’offre ce que je n’ai pas.

— Une famille soudée ? Tu sauras t’en créer une avec le temps. Une assurance pour l’avenir ? Tu trouveras un travail et mieux encore, tu réussiras à réaliser tes rêves. Des amis ? Tu es capable de t’en faire tout seul. Il suffit juste que tu apprennes à garder le contact et que tu entres dans un club.

— Ça semble si facile qu’en tu l’énumère, mais rien ne vient comme ça. J’ai pas envie d’être seul.

— Je croyais que tu aimais ça ?

— J’aime ça, quand j’ai un texte à bosser ou quand j’ai besoin de revenir à la terre, mais pas tout le temps. J’ai envie de rire, de sortir, de voyager… je veux des amis et pour l’instant ma seule amie, c’est Bélynda.

— Au moins, c’est dit. Dans ton cœur, elle est une amie.

— Dans le sien, je suis l’homme de sa vie.

— Tu ne peux faire plaisir de cette façon. Ça finira par pourrir ta vie et celle de Bélynda.

— Je le sais bien. Mais rien ne bouge, rien ne vient pour m’aider. Je ne suis toujours pas stable financièrement, pas l’ombre d’un contrat d’éditions… Le fric ça ne rend pas heureux, mais ça permet de l’atteindre. Si demain, je suis assuré de bosser et d’avoir un bon salaire, tout en écrivant à côté et de pouvoir… je ne sais pas…Si je pouvais organiser chacune de mes envies et d’en faire des réalités, à la fin de l’année, je serais célibataire et je partirai en vacances solo. T’a un miracle sous la main ? Parce que même la bonne volonté ne permet pas toujours de prendre la route sans encombre.

Larson gratte à la porte. Ça fait déjà trop longtemps que je me cause tout seul. Il est temps de sortir et de lui faire son repas.

Je mets mon pyjama, lance un dernier regard à mon double. Il semble aussi dépité que moi. Mais bon, j’essaie de relativiser, j’ai passé une bonne journée.

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