24- Journée d'adieu
Le dernier jour est arrivé. Le jour fatidique où je ne reverrai plus ces personnes qui m’ont pourtant apporté beaucoup en un laps de temps si court. C’est bizarre à dire, mais c’est souvent à des inconnus qu’on doit nos avancées. C’est peut-être parce que c’est à eux que l’on se confie le mieux. On se dit qu’on ne les reverra pas, alors autant qu’ils partent avec nos casseroles et notre bassine de plombs, ne serait-ce que pour un instant.
Hier, nous avons fait une palette de testes qui sont venu confirmer ce que nous devions revoir. Ce n’était Candyce, mais Hervé qui était aux commandes, le mec un peu coincé du bureau d’à côté. Il s’est trouvé qu’il était sympa et drôle. Il n’arrivait tout bonnement pas à retenir mon prénom.
Au final, je suis là, à gratter sur ma feuille et à regarder Eronne en me demandant ce qu’il a vu en moi. Il garde pour lui une vision, une réponse que je sais importante pour moi. J’ai hâte qu’il soit capable de me la donner.
— Ok, donc vous allez donner votre message écrit à vous-même à une autre personne afin qu’elle le lise, déclare Candyce.
J’observe le défiler feuille volante et donne mon texte à Irène, vu que c’est la seule qui na pas de lecture. Etonnement, Eronne me demande de lire la sienne. Je le préviens que je lis comme une chaussette. Il s’en fiche. Je ne sais pas pourquoi le fait qu’il m’ait choisie va droit au cœur. Au fond, j’aurai préféré qu’il la lise, mais qu’il l’entende me va très bien aussi.
Irène se lance, je me pose à côté d’elle dans le cas où elle buterait sur un mot.
— Je suis responsable de mon bien-être et de mes envies. Je garde en tête qu’il y aura des obstacles, que la vie ne tourne pas autour de moi et de ce que je veux. J’ai découvert des personnes génial, admirables, je me suis découvert, me suis étonné sur des sujets qui ne m’aurait jamais interpellé avant. J’ai appris que je pouvais évoluer à chaque instant, et que parfois le changement ne se tient qu’à un regard, une réflexion à soi-même. Je ne veux plus stagner, attendre, je veux m’investir, attraper les clés que je pense essentielle à mon bonheur. Je ferai par étape, parce que je reste une personne peureuse du changement. Je crains ce que je ne connais pas. J’ai besoin d’en savoir plus, avoir de l’assurance que j’avance vers quelque chose de rassurant. Je sais ce que je veux. Il ne manque plus qu’à me donner les moyens pour les avoirs. Ce week-end, je composerai des messages afin de trouver, moi-même, un emploi chez un particulier. J’écrirai la nouvelle pour un Appel à texte et poursuivrai l’écriture de mon roman. Je mettrai à l’œuvre mes acquis et montrerai ma motivation. J’irai jusqu’au bout de mes rêves. J’avalerai la vie comme j’aurai dû le faire voilà de nombreuses années.
— Eh bien, dis donc, c’est intense, fait remarquer Sheila. On ressent bien l’auteur derrière. Je te souhaite de réussir en tout cas.
— Merci.
*
— Avant de clôturer le stage, je voudrai que vous jouiez à un dernier petit jeu. Je vais vous séparer en deux groupes et vous devrez créer une entreprise. Lui donner un nom, un but.
Elle regarde tour à tour Eronne et moi, puis prononce successivement nos prénoms.
— Je vous sépare et vous comprendrez pourquoi.
Je me sens déçu. J’aurais bien voulu créer quelque chose avec lui. Il a l’air d’avoir un tas d’idée en tête, avec les miennes cela aurait pu donner quelque chose d’intéressant.
— Vous avez une heure pour concrétiser tout ça.
Elle nous donne une feuille par groupe, met Gontran, Irène et Clarice dans le même groupe.
Je suis avec Corentin, Gisèle et Sheila.
— Le groupe de Léandre vous travaillerai dans la pièce centrale. Le groupe d’Eronne, vous restez ici.
Déçu de ne pas pouvoir le mater l’heure restante, je suis la troupe, quand une idée me traverse.
Gisèle a juste le temps de demander si quelqu’un a un concept en tête que je réponds immédiatement.
— Des messages positifs, comme ceux dans les sachets de thé, mais à plus grande échelle. C’est-à-dire qu’on pourrait proposer à des entreprises des affirmations qui viendraient se glisser sur leur produit. Du genre le papier cul, ou les boîtes de céréale, la bouteille de lait, la barquette de beurre et j’en passe.
J’observe mes vis-à-vis et lis dans leurs yeux la surprise.
— Alors, toi ! ça se voit que tu es écrivain. Les idées viennent toutes seules, s’exprime Sheila en lissant ses cheveux.
— Ça n’vient pas toujours, mais effectivement, j’ai souvent une idée en stock. Ça vous plait ?
L’unanimité l’emporte et on commence à broder notre sujet.
Gisèle donne le mon à l’entreprise : Bon, Jour !
On se gratte la cervelle, commence à entrer dans l’administratif. Comme je n’y comprends rien, je reste en retrait et devient le directeur créatif. Je serai celui qui apporterait la matière.
A tour de rôle, on impose nos savoirs et concevons notre futur gagne-pain. Je suis tellement emballé que je me vois déjà au sein de cette entreprise factif.
L’heure passe. Mon groupe est prêt alors que celui d’Eronne est encore en effervescence. Je suis curieux de ce qu’ils ont mi au point.
Candyce nous appelle.
— Qui est-ce qui commence ?
Pas le temps d’y songe que Gisèle est déjà au milieu de la pièce et nous invite à la rejoindre.
Pas une. Pas deux.
Elle se présente. J’en fais de même. Sheile et Corentin aussi.
Gisèle expose notre projet, puis m’invite à convaincre les banquiers que représentent l’autre groupe.
— Nous vivons dans un climat de marasme. Cette situation nous a inspiré pour créer notre start up. Je réfléchis aux besoins des clients et mets à contributions mes richesses intellectuelles et mes connaissances. Je mettrai tout en œuvre pour que les messages trouvent de l’écho.
Clarice me donne un coup d’œil.
— Avez-vous des exemples de messages à me proposer ?
— Bien sûr ! « Ne presse pas le pas, marche juste droit devant et à ton rythme » , « Et si tu te disais OUI ? », « Tu es comme un soleil, ne t’empêche pas de briller ». Et vous en avez de toutes sortes. Le but est de redonner de l’espoir dans les objets du quotidien, monsieur et madame tout le monde pourront ainsi avoir peut-être un déclique en allant au cabinet poser leur pêche.
Je viens de quitter mon rôle sans y prendre garde. C’est les rires qui m’avertissent de ma bourde. Je suis devant des banquiers et je parle de chiotte.
On termine là-dessus, puis on passe au projet des autres.
Clarice prend la parole. Elle aussi est directrice générale comme Gisèle. Irène est secrétaire. Eronne est comme moi, directeur de création. C’est donc lui qui a amené l’idée. Ça me fait sourire, parce que je comprends pourquoi Candyce nous a séparer. Pourquoi mettre deux créateurs dans le même groupe ?
Gontran est le directeur de communication et on le sent tout de suite. La machine Gontran s’actionne sous nos yeux. Gesticulant à n’en pas finir, il nous raconte pourquoi nous devrions leur faire un prêt.
— Ce projet est innovant et écologique. Pensez à notre chère planète. La Gaz a effet de serre va diminuer drastiquement au profit de voyage par téléportation. Observez ce bijou de technologie. Cette merveille. Ce joyau créé à partir d’une météorite.
Pendant dix minutes, j’entends les mots : bijou et merveille, en me demandant si Gontran a beugué.
Evidement, je masque mon envie de rire, mais mes yeux débordent de larmes. Candyce et les autres sont prêt à me suivre, si nous entendons encore l’adjectif : fabuleux.
Après avoir exposé le comment du pourquoi et les tests scientifiques vient le tour de question.
— Imaginons que je parte avec mon chien en vacances. Qui me dit que je ne finirai pas avec sa tête à la place de la mienne.
Eronne explique ;
— C’est un objet personnel, personne d’autre que vous ne peut l’utiliser.
— N’est-ce pas un peu trop personnel ? déclaré-je. Non, parce que ne serait-il pas plus simple de créer un téléporteur plus grand et permettre à plusieur personne de partir. Genre un peu comme on prend le métro. A tour de rôle, on passerait dans une capsule et reprendrait forme dans une autre. Il pourrait y avoir un abonnement, ainsi ce ne serait pas aussi cher et seulement destiné à un publique richissime.
— Nous y songerons. Mais malheureusement la météorite ne permettra pas de faire plus qu’un nombre limité de ce produit. À plus grande échelle se serait limité les voyages.
— Aura-t-il assez d’objet pour chaque destination et suffisamment pour les vendre à l’élite ?
— Les destinations ont été sélectionné. Il y a eu des sondages.
Je hoche la tête avec encore mille questions. J’arrête, parce que je sais que je vais me prendre au jeu. Pour moi, ça reste un projet vachement sélectif. Si tu n’as pas de pognons n’imagine pas voyage d’un point A à un point B. Tu prendras le bus en sachant que d’autres se téléportent.
— Bravo à tous. C’était un moment très agréable à passer avec vous. Vous êtes de belles personnes et je vous souhaite, avec le travail que nous avons effectué, de trouver votre voie. Je reste à votre disposition si vous avez encore des questions. Vous avez mon courriel, puis on a encore le dernier entretien individuel. Merci à chacun de vous.
Candyce nous applaudit.
C’est la fin. L’instant précis que je redoutais. Demain, je retrouverai mon train-train quotidien, et à la réflexion ça m’effraie. Je n’ai aucune envie de poursuivre sur cette route stérile. Malgré tout, je prends conscience du chemin que je devrais parcourir pour arriver à modeler mon moi idéal.
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