03 Fuir (1/3)

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   En l’espace de quelques heures seulement, tout avait basculé, tout lui échappait. Celtica se recroquevilla dans son buisson, bien contre le mur, et retint sa respiration. Des cris retentirent, de nouvelles détonations firent trembler les vitres des immenses fenêtres, au dessus de lui. Déjà affaibli par l’énergie de son sort, il se sentait glisser vers les limbes de l’inconscience. Il n’y avait plus aucune prise à laquelle pouvait se raccrocher son esprit.

   Il renversa la tête en arrière et grimaça. La douleur était insupportable ! En cherchant une position plus confortable, il appuya accidentellement sur sa blessure et poussa un cri bref. Il ignorait si les mercenaires étaient encore dans les environs, et si c’était encore le cas, il était sûr d’avoir signé son arrêt de mort. De grosses gouttes ruisselaient sur son front et dans son dos, autant dues à la chaleur étouffante de l’été, mais aussi à la peur qui, décidément, avait été son plus fidèle compagnon de la soirée !

   Tout doucement, les branches du buisson s’écartèrent.

   Celtica ferma les yeux, un pur réflexe incongru.

   Mais la mort ne vint pas.

   –Ils sont partis, sort de là !

   Une voix aiguë, légèrement rauque. Peut-être à cause des cris… Il ouvrit tout doucement les yeux. Un jeune garçon se tenait devant lui, tout aussi couvert de sueur que lui. Il portait un bandana autour du cou, et des cheveux bruns et sales en catogan. Il lui tendait la main, mais à sa ceinture pendait une dague, loin d’être innocente…

   –Dépêche-toi ! Tu te vides de ton sang !

   Celtica comprit à peine le sens de ses paroles, mais le ton l’incita à lui prendre la main. Elle était tiède, et étonnamment agréable. Après cette attaque, le peu de chaleur humaine lui semblait plus précieux que n’importe quel trésor.

   Tout doucement, il l’aida à sortir de sa cachette. Il n’y avait plus personnes aux alentours, et un vague tumulte leur parvenait depuis l’intérieur du bâtiment, entrecoupé par des éclats de rires. Rien qui ne ressemblât à un combat… Le garçon l’obligea à s’asseoir à la lumière, et d’un ton impérieux lui ordonna de le laisser regarder la blessure. Le prince était trop fatigué pour penser à se rebeller. Avec délicatesse, mais fermeté, il souleva le pan de vêtement déchiré et inspecta la blessure d’un air sévère.

   Celtica dévisagea son jeune sauveur pour penser à autre chose qu’à la douleur et à la peur. D’après la rondeur de ses traits et la tonalité de sa voix, il ne devait pas encore être pubère. Pourtant, son regard dénotait une certaine maturité, que Celtica n’avait que très rarement vue chez les jeunes gens de son propre âge.

   –J’peux rien faire, déplora-t-il. A moins que…

   Il se mit à chercher quelque chose sur lui.

   –Peste… Je l’ai laissé à la maison…

   Il sortit néanmoins de sa poche une petite fiole d’une potion épaisse, vaguement violette.

   –Tiens, bois-ça ! Ça devrait limiter l’hémorragie.

   Circonspect, Celtica le regarder déboucher la fiole et la lui tendre. Il la prit du bout des doigts.

   –C’est pas très bon, s’excusa-t-il, mais c’est efficace. Sur moi, en tout cas.

   L’inconnu se retourna pour déboutonner sa chemise. Haussant un sourcil, Celtica renifla la potion. Elle n’avait pas de parfum particulier, hormis peut-être une forte odeur iodée, qui devait certainement provenir de la mer. Il commença par la goûter du bon de la langue, mais ne perçut aucun goût d’amande. Elle n’était pas empoisonnée au cyanure… Il haussa mentalement les épaules. Pourquoi essaierait-on de le tuer avec du poison, alors qu’il était affaiblie, et qu’une dague était toute prête à mordre sa chair ? Il versa dans sa bouche tout le contenu de la fiole, qui ne comportait qu’une seule gorgée, et l’avala d’un trait en grimaçant violemment. C’était…il n’existait dans aucune langue du monde un mot assez fort pour qualifier cette horreur ! Et pour la énième fois de la soirée, son estomac se contracta brusquement. Le garçon se retourna vivement, une bande de tissu dans la main, et se précipita sur lui.

   –Il faut surtout pas vomir ! Sinon, elle servira à rien ! Allez, courage !

   Celtica respira de plus en plus fort, se concentrant de toutes ses forces pour ne pas régurgiter cette malheureuse gorgée. Puis la crise passa. Son sauveur lui frotta le dos.

   –C’est bien ! l’encouragea-t-il.

   –Qu’est-ce que cette horreur ? finit-il par articuler. Quel esprit tordu a mis cette chose au point en pensant qu’elle ferait du bien ?

   –Un homme très bien, se renfrogna le Lumissien. Mon médecin. Allez, enlève-moi tout ça que je te pose un bandage !

   La douleur commençait à s’atténuer un peu, Celtica put, certes très difficilement, retirer ses vêtements d’apparat. Puis l’inconnu déchira la chemise princière, là où le sang ne l’avait pas souillé en s’aidant de ses dents… alors qu’une dague fonctionnelle attendait sagement de se rendre utile. Bien que cela lui parût curieux, Celtica ne dit rien. Il voulait qu’il en finisse vite, et qu’il puisse retrouver son père, ou un soldat brasien qu’il aurait envoyé le retrouver.

   –Ça va faire mal, prévint le Lumissien.

   Un peu plus ou un peu moins, qu’est-ce que ça changeait pour lui ? Dans l’état où il était, il fallait bien que quelqu’un s’occupe de lui. Il se dégageait de cet inconnu un calme surprenant pour un si jeune âge, une sorte de confiance en lui qui apaisait le prince. Il le laissa nettoyer sa blessure, poser le tissu sur la plaie, puis entreprit d’entourer son torse avec la bande qu’il avait sortit d’il ne savait où. Jusqu’à ce qu’il le frôle et qu’il comprenne son énorme erreur.

   Ce n’était pas un jeune garçon. Mais une demoiselle !

  Celtica s’empourpra, mal à l’aise et détourna les yeux vers la lune opalescente qui continuait sa course paresseuse dans le ciel d’encre, s’efforçant à se concentrer sur autre chose que les soins qu’on lui prodiguait. Chaque tour de bande le serrait davantage et lui arrachait une grimace de douleur. Enfin, elle finit par attacher les deux extrémités de la bande, et poussa un soupir satisfait.

   –Merci, balbutia Celtica.

   –Non, tu m’remercieras plus tard ! Je t’emmène à Port Lumis, il faut que tu…

   –Je ne peux pas y aller, la coupa le jeune homme. Mon père a sûrement envoyé quelqu’un me chercher.

   –Et s’il est pas trop stupide, il l’enverra à Port Lumis ! Allez, discute pas !

   Et elle le saisit sans aucune gêne par l’épaule et essaya de le remettre debout. Comprenant qu’elle était sérieuse, il se leva pour s’épargner de nouvelles douleurs. Puis elle lui donna la veste d’apparat qu’il serait impossible de restaurer… Celtica l’enfila, heureux de couvrir son corps. Il n’était pas d’un naturel particulièrement pudique, mais il était inconvenant de rester dans cette tenue près d’une femme. Surtout s’il ne la connaissait pas !

   –Tu vas arriver à marcher ? s’inquiéta-t-elle avec franchise.

   –La plaie me tire un peu, mais vous avez fait du bon travail, et la potion semble faire effet.

   Elle eut un large sourire. Sans doute le plus vrai qu’il n’avait jamais vu. D’une telle puissance communicative qu’il ne put s’empêcher d’y répondre sottement.

   –Ah ! Je t’interdis de me vouvoyer ! On doit avoir à peu près le même âge. Je m’appelle Cléon

   –Et moi…

   –Celtica, le coupa-t-elle, souriant de nouveau.

   Tous deux quittèrent le domaine du gouverneur, laissant derrière eux le chaos orchestré d’une main de maître par Aljinan. Le jeune homme pensa très fort à son père, qui ne pouvait être qu’en sécurité. La garde et les démons veillaient sur lui, et ils se mettraient à sa recherche lorsqu’ils seraient sûr que l’empereur serait en parfaite sécurité. Pour le moment, Celtica espérait qu’il n’allait pas au devant de nouveaux ennuis en suivant cette fille. Faranan Yréan était un noble, bien qu’il fût le pire de tous. Ne vaudrait-il pas mieux qu’il reste au château, en attendant ? Après tout, c’étaient les Lumissiens qui étaient venus les attaquer…

   −Qui étaient ces hommes ? Travaillent-ils avec Aljinan ?

   La jeune fille secoua la tête, la mine sombre.

   –Non, je ne les connais pas. Papa n’a jamais traité avec eux, je suis formelle.

   Papa ? C’était donc elle, la fameuse fille d’Aljinan… Il avait un peu de mal à le croire. Elle était minuscule face à la montagne de muscle qu’était le chef de Port Lumis. Elle était également bien plus agréable à regarder. Et pourtant, elle lui ressemblait beaucoup.

   Elle jetait des regards autour d’elle, nerveuse. Les mercenaires étaient peut-être encore dans le coin, ou peut-être la forêt qui bordait la route regorgeait de dangers… Quoi qu’il en soit, Celtica n’en pouvait plus, il sentait ses yeux menacer de se fermer d’une minute à l’autre. Marcher devenait difficile. La potion avait finalement éliminé la douleur, même s’il restait une sorte d’inconfort très agaçant qui limitait ses mouvements.

 Les grands arbres maritimes émanaient une fraîcheur très agréable, et abritaient de nombreux grillons stridulaient joyeusement, bien à l’abri dans les profondeurs forestières. Amoureux de la nature, Celtica en oubliait presque qu’il avait faillit mourir, il y avait à peine une demi-heure. Une bonne odeur de terre humide s’élevait le long de la route, qui, mêlée à celle de la mer, apaisait le jeune homme et éveillait en lui des envies d’exploration. Il n’avait vécu que dans les hautes montagnes du Brasier, bien loin de l’océan, et l’air marin aiguisait sa curiosité.

 Il leva les yeux vers la cime des arbres, éclairée par la lune pâle et les lampes à magilithe qui avaient été installées à intervalle régulier. Ces lampes utilisaient l’énergie lumineuse pour se charger la journée et la restituait sous forme de lumière dès la tombée de la nuit. Elles devaient être particulièrement efficaces dans le sud, car l’intensité de la lumière émise dépendait de la quantité d’énergie reçue.

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