Pourtant, comme tout êtres vivants, ni lui, ni moi, ni aucun d’entre nous ne sommes tranchés. Bel n’est pas un être mauvais, je ne suis pas un être bon. Nous sommes juste nous, avec nos caractères propres.

Du moins nous étions. Au fils des milliards d’années que notre espèce a traversé, ponctuées de conflits, de moments de paix et de réflexion. Nos caractères se sont peu à peu lissés, entrainant la disparition de nos émotions. Depuis des millénaires, notre race n’éprouve plus rien.

La surprise a donc été grande pour moi, et certainement pour tous ceux qui ont assisté à la scène entre Bel et Cup, et à mon intervention.

J’ai rapidement lié ce changement dans nos comportements à l’influence d’Eva, sans vraiment savoir pourquoi. Cela m’est simplement apparu comme étant une évidence. Mais en plus, une phrase ne cessait de résonner dans mon esprit.

« Les ailes mauves du renouveau. »

C’est cette phrase, lancinante, semblant sortir d’un très lointain passé, qui m’a poussé à consulter les archives de mon peuple.

Durant ces jours d’isolement, j’ai commencé par observer Eva. Et ce que j’ai pu observer d’elle dans les premiers temps qui ont suivi son incartade sexuelle, m’a conforté dans l’une des parties de la mission que je me suis donnée. Elle mérite d’être heureuse, et j’allais tout faire pour que ce soit le cas.

Son retour chez elle fût assez démonstratif de ce qu’elle est. Ce que j’avais d’abord prit pour une sorte de double personnalité, l’une venant perturber l’autre, c’est avéré bien plus complexe que cela.

A la différence de Cup qui ne peut qu’envoyer une pensée à un humain, je peux pour ma part lire les pensées. J’ai donc suivi Eva pendant son chemin vers son appartement et ses retrouvailles avec son mâle, Fabien. Durant tout le trajet qui l’a mené chez elle, son esprit se partageait entre la honte d’avoir trompé son compagnon, la peur de lui faire du mal, mais aussi le souvenir du plaisir physique qu’elle avait ressenti. D’un autre côté, elle se préparait mentalement à retrouver l’homme de sa vie, et à ne rien laisser paraitre devant lui pour ne pas ni l’inquiéter, ni le peiner. Petit à petit, j’ai vu son visage changer. De triste et tendu, il est devenu calme et presque joyeux.

Quand elle est entrée chez elle, elle est tout simplement allée embrasser Fabien. Et le baiser qu’elle lui a donné, plein de tendresse et d’amour, a quasi totalement chassé l’évènement qui venait de se passer. Dans le début de la soirée, Eva s’est montrée amoureuse, attentionnée, aimante, et nulle part je n’ai vu qu’elle le fasse pour une autre raison que l’amour qu’elle porte à Fabien. Aucune arrière-pensée.

Après avoir dîné, discuté de leurs journées respectives, Eva est allée s’installer dans leur canapé alors que Fabien se dirigeait vers une autre pièce. Elle a ouvert un ordinateur portable, et après avoir hésité un instant à accéder à une messagerie en ligne, elle a finalement ouvert un fichier de traitement de texte. Le document se nomme « Les Emois d’Eva ». Un texte, sorte de journal intime, qui raconte en partie sa vie et sa relation à la sexualité. Il me faudrait consulter ce texte, cela me permettrait de connaitre son point de vue et sa manière d’appréhender ce qu’elle avait vécu ou vivait encore.

Deux heures plus tard, le couple est parti se coucher. Ils ont longuement fait l’amour, parfois tendrement, parfois fougueusement. Et au moment de s’endormir, blottis l’un contre l’autre, le visage d’Eva n’avait rien à voir avec la tristesse affichée après son aventure. Elle était apaisée, souriante, et éperdument amoureuse.

Une autre pensée, cachée tout au fond de son esprit me fît aussi la regarder autrement. Une pensée, qui a grandi après que Fabien se soit endormi et qui l’a assailli une bonne partie de la nuit. Elle se demandait comment elle avait pu suivre cet homme qu’elle ne connaissait pas.