Chapitre 1 - L'entrevue

7 minutes de lecture

Agence de détective IronHead, Orée du « Terrier »

Mercredi 12 Octobre 1843, fin d'après-midi

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Le silence régnait dans le bureau depuis quelques instants. Seuls le bruit des pages qui se tournaient et les mouvements de la pendule venaient briser cette quiétude. Un orc d'âge mur, bien habillé et propre sur lui était là, assis au milieu de la pièce, l'air stoïque. Il regardait le portrait qui était posé sur la table, ainsi que tous les documents qu'il avait pu amener avec lui.

- Très bien, Je vais voir ce que je peux faire pour vous ! Déclara une voix rauque.

Un sanglot retentit. Sa femme assise sur le vieux divan près de l'âtre, ne pouvait retenir plus longtemps son chagrin. Et ce, pour la dixième fois depuis le début de l'entrevue.

Elle tenait son mouchoir contre ses yeux, tout en essayant vainement de contenir ses émotions. Lui gardait la tête haute, bien que la même tristesse, la même envie de retrouver son enfant, l'habitait.

- Je vous remercie infiniment Sieur IronHead ! Nous espérons, ma femme et moi, avoir de vos nouvelles très bientôt.

L'homme se leva puis échangea un sourire désabusé avec son épouse ce qui provoqua un nouveau sanglot, mais ils ne pouvaient pas faire plus dorénavant. Le détective profita de cet instant d'inattention pour attraper un crayon qui trainait sur sa table et inscrivit discrètement un petit bâton de plus sur sa feuille.

L'orc se retourna, attrapant son haut de forme au passage, puis tendit la main en direction du détective.

Grundal se leva à son tour de son siège, coiffa par réflexe ses cheveux mal peignés puis serra la main de l'orc.

- Laissez-moi vous raccompagner vers la sortie, conclut le nain en pointant la porte.

La femme se leva, les yeux encore rouge. Elle remit sa robe ainsi que sa coiffe en place.

- Combien de temps vous faudra-t-il pour la retrouver ? demanda-t-elle timidement.

- C'est difficile à dire madame, mais je puis vous assurer que je vais faire de mon mieux.

La femme réussit à répondre avec un léger sourire, le détective ayant ravivé en elle un brin d'espoir. Il les raccompagna, tout en leur faisant éviter les piles de documents qui envahissaient le bureau. Il y avait longtemps que cette salle n'avait pas été rangée, certains objets n'avaient pour ainsi dire pas bougé depuis des lustres.

Le nain les ramena à la porte d'entrée où il leur rapporta leurs capes. La femme fit la révérence puis sortit en remettant sa coiffe droite. L'orc s'arrêta et se retourna vers le nain comme s'il avait oublié quelque chose.

- Je vous présente également mes condoléances pour la mort de votre frère, dit-il en lui serrant la main. Nous le porterons dans nos prières aux esprits.

L'aristocrate faisait référence à la perte tragique qu'avait connu l'agence une année auparavant. Surement que la nouvelle lui était revenu en voyant le secrétaire qui se trouvait dans l'angle du bureau principal. Tout visiteur le remarquait et se souvenait du gobelin qui y siégeait, mais surtout des circonstances dans lesquelles s'était déroulé son meurtre.

Grundal, amère, les remercia sans dire un mot, un léger sourire aux lèvres... Il n'aimait pas revenir sur ces évènements et ce malgré le temps qui s'était écoulé. La perte de son frère, dans des circonstances aussi violentes, l'avait profondément marqué. Cela l'avait rendu acariâtre et sa réputation en avait pris un coup. Déjà que ses méthodes étaient connues pour frôler l'illégalité.

Malgré tout, il avait persisté à garder l'agence ouverte. Les résultats étaient au rendez-vous car sa connaissance des bas-quartiers et de ses habitants était indéniable. C'est pourquoi beaucoup continuaient à faire appel à lui.

Le couple sortit dans la rue où leur cocher les attendait. L'homme évalua d'un coup d'œil le quartier et aperçut quelques citoyens qui plaçaient des petits drapeaux à leur fenêtre en vue de la grande fête de la république. D'autres comme les marchands plaçaient des décorations sur des étals quasiment vides.

Son regard s'arrêta sur des nécessiteux qui se trouvaient accolés autour d'un feu de camp improvisé dans une ruelle avoisinante. Le foyer était placé sur des planches de bois afin d'éviter le contact avec la fange. L'orc sortit un mouchoir de sa poche puis le plaqua contre son nez.

Cette attitude n'était pas étonnante vu l'odeur qui planait. Et le bureau de Grundal ne se trouvait qu'à l'orée du Terrier. Il était rare que des citoyens, possédant une calèche personnelle, viennent jusque-là admirer de leur yeux les problèmes de la société.

Le cocher ferma la porte de la voiture , puis remonta aux commandes. Après un coup de fouet, ils se mirent en route, pour une destination qui sentait sûrement meilleure...

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-G-

Grundal resta quelques minutes sur le palier pour observer les citoyens qui s'affairaient. Il sortit sa pipe et son tabac de sa poche, tout en pensant à la conjoncture actuelle.

Il savait bien que le spectacle habituel, qui se trouvait face à lui, cachait une vérité bien triste. Il suffisait de lire la presse !

« La Famine touche la cité !», « Fermeture des mines de charbon Est, des centaines d'ouvriers renvoyés ! », « Apparition de monstres aux yeux rouges ! » ou encore « Des mages fous kidnappent nos enfants, les activités sombres de l'Académie ! »

Que des nouvelles anxiogènes qui se répétaient sans cesse depuis maintenant un mois...

Il referma la porte de l'agence tout en soupirant, puis retrouva sa place dans son bureau où se trouvait l'un de ces fameux journaux. Comme à son habitude, il lisait la une des différents papiers plusieurs fois, même si cela n'avait pas changé depuis la veille.

« Si on devait écouter le peuple, l'Académie serait la cause de tous les maux » pensait-il.

L'académie était pourtant une école ouverte à tous, qui permettait aux éthériens de contrôler leurs pouvoirs. Mais leur histoire joua un grand rôle dans la détérioration de leur image. Au fur et à mesure des années, ils s'étaient de plus en plus isolés du reste du monde, et il était facile de les comprendre vu comment les ignorants les jugeaient.

Malheureusement pour eux, ils étaient défendus par un gouvernement très impopulaire du fait de leur incapacité à régler les problèmes d'état : l'insécurité, la famine grandissante, des impôts toujours plus exorbitants, et des lois qui avaient pour effet d'augmenter le clivage entre les différentes classes sociales. Résultats, les bas-fonds de la cité avaient grandi, toujours plus crasseux, pestilentiels et boueux. Et tout ça pendant que les quartiers riches vivaient au rythme des fêtes et plaisirs futiles.

Conclusion, la majorité de la population était plus occupé à survivre au milieu de ce chaos, que de réfléchir posément sur les rumeurs qui couraient.

Le journal rejoignit les différents dossiers sur le bureau, accompagné d'un long soupir.

Après quelques secondes dans le silence, Grundal fit pivoter son siège face à la grande vitre qui donnait sur la rue. Il se grattait la barbe, pensif, tout en se remémorant les détails de l'entrevue.

Kara, une fille d'aristocrate, agée d'à peine huit ans, habitante du quartier riche de la ville. Disparue la veille dans des circonstances inconnues.

Les parents l'avaient vue se coucher accompagnée de sa gouvernante comme à son habitude après le repas du soir. Une affaire d'enlèvement somme toute ordinaire. La pègre agissait toujours de la même manière.

Grundal leur aurait bien dit de payer la rançon qui serait arrivée au domicile de la famille, mais un détail dans le récit l'avait interpelé. Les parents mentionnèrent l'apparition soudaine de phénomènes étranges autour de la jeune fille, le jour précédant sa disparition. Des objets qui se déplaçaient, des portes ou fenêtres qui s'ouvraient sans raison...

La fillette aurait manifesté des premières traces de magie. Et personne n'avait été mis au courant à part les personnes résidents du domicile.

Le détective ouvrit l'un de ses tiroirs et en sortit plusieurs dossiers qu'il posa à coté du portrait de la fillette. Tous étaient titrés : « Disparition ».

En effet, Kara n'était pas la première affaire de disparition dont Grundal avait à s'occuper. Il n'était pas en mesure de toutes les résoudre en même temps, et il ne l'avait jamais caché à ses clients. Pourtant chacune d'elle mettait en évidence l'augmentation récente d'affaires de ce type.

Normalement, ces cas restaient suffisamment rares, très localisés dans la ville et trouvaient une origine criminelle facile à déterminer : prostitution clandestine, règlement de compte, etc...

Là, les disparitions touchaient également des citoyens de toute la ville sans distinction de classe, de race ou de richesse.

Malgré l'absurdité de la presse, Grundal ne pouvait s'empêcher de penser aux différentes rumeurs qui couraient. Ces différentes affaires étaient une aubaine pour lui afin de délier le vrai du faux.

Il allait avoir besoin d'aide, c'est pourquoi il décida quelques jours plus tôt de donner rendez-vous à l'une de ses informatrices et protégée. Une fille des rues que Grundal avait presque adoptée avec le temps, une sang-mêlé née de la liaison entre une elfe et un homme, qui avait vécu comme domestique au sein de sa propre famille. C'était avant d'être rejeté définitivement dans les rues, là où elle avait appris à voler, à survivre, mais surtout là qu'elle croisa la route des frères IronHead.

A peine le temps de repenser à ce qu'ils avaient vécu que les dernières lueurs de la journée tombèrent sur la ville.

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