Chapitre 4

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Katani, enfin présentable, attendait devant la porte des appartements de la Reine que cette dernière ait terminé son entrevue avec Matâm.

Malgré l’épaisseur de la porte, des éclats de voix contrariées parvenaient à ses oreilles. Les deux amants se disputaient de toute évidence. Toujours à propos du même sujet, supposait Katani. Matâm s’impatientait des atermoiements d’Ayevi qui refusait de le laisser à nouveau pénétrer le Voile.

Katani ne comprenait pas pourquoi il insistait tant pour obtenir l’assentiment de la Reine avant de se lancer. Il n’était pas un sujet d’Ayevi, aucun serment ne l’obligeait à lui obéir, d’autant qu’elle était tellement éprise de lui qu’elle lui pardonnerait certainement.

La porte s’ouvrit d’un coup sec. Matâm, l’air sombre, sortit.

  • Mes respects, Votre Altesse, prit-il tout de même le temps de la saluer avant de continuer son chemin pour disparaître dans le couloir.
  • Entre Katani ! l’enjoignit sa sœur d’un ton sec.

Katani prit une grande inspiration avant de passer la porte. Sa sœur, assise derrière son bureau, la regarda avancer. Son expression fermée n’augurait rien de bon.

  • Bonjour ma sœur, la salua Katani en se fendant d’une révérence.
  • Quand vas-tu cesser de t’enfuir de la sorte à la moindre contrariété ? Quand vas-tu grandir un peu ? J’ai assez de soucis pour que tu n’en rajoutes pas avec tes caprices d’adolescente trop gâtée ! l’accueillit Ayevi avec véhémence.

Katani, les yeux rivés sur un pan de mur juste au-dessus de la tête de sa sœur, essuya cette volée de reproches les dents serrées. En se préparant, elle s’était jurée de ne pas se laisser déborder par la colère. Elle voulait faire part, avec calme, de sa décision.

  • Je vais y aller, répondit-elle sans prendre de gants.
  • Oh, réagit Ayevi d’un ton plein d’ironie. Et pourquoi faire ? Être carbonisée en moins de deux car tu n’auras pas su maîtriser tes émotions ?
  • Tu es injuste, siffla Katani aux bords des larmes.
  • Non petite sœur ! Je suis lucide, gronda Ayevi. Tu es une adolescente émotive et têtue. Tu n’en fais qu’a ta tête. Tu te fiches éperdument de développer tes dons magiques, tout ce qui t’intéresse, c’est t’amuser !
  • C’est faux ! tempêta Katani. J’ai essayé ! De toutes mes forces ! Mais cela ne suffit jamais. Tu as toujours quelque chose à redire : je suis toujours trop énergique ou au contraire trop indolente, trop le nez dans les livres ou trop centrée sur la pratique… Cela ne va jamais ! Alors j’ai renoncé ! Quitte à te décevoir, autant faire ce qui me plaît, suivre mes propres rêves.

Après cette longue tirade qui lui avait mis le feu aux joues, Katani se décida enfin à affronter le regard de sa sœur. Elle s’attendait à récolter une autre volée de bois verts concernant son égoïsme ou son manque d’opiniâtreté mais la Reine, qui avait pali, ne dit pas un mot.

  • Malgré tout, continua alors Katani. J’aime notre royaume, notre peuple tout autant que toi. J’appartiens à la lignée des Reines-Sorcières tout comme toi. C’est pourquoi je veux aller dans la bouche du Dévoreur même si je suis une piètre sorcière.
  • Te rends-tu compte que tu pourrais y laisser la vie ? demanda la Reine d’une voix blanche.

La jeune princesse acquiesça en silence. Ayevi soupira avant de cacher son visage dans ses mains.

  • Tu n’es pas la première aujourd’hui à me jeter à la figure mon exigence excessive à l’égard des personnes qui me sont le plus chères. C’est si loin de ce que je souhaitais t’inspirer. Toutes les remarques que tu as considéré comme des reproches représentaient, à mes yeux, des incitations à te dépasser car je sais que tu en as le potentiel. Tu es une sorcière extrêmement prometteuse Katani, encore aujourd’hui alors que tu ne t’exerces quasiment plus.
  • Pourquoi ne me l’as-tu jamais dit ? Pourquoi ne m’as-tu jamais encouragée ? s’étonna Katani qui n’en croyait pas ses oreilles.
  • Je ne sais pas… À la mort de nos parents, tu étais si jeune… J’avais appris tout ce dont j’avais besoin pour être Reine mais, rien ne m’avait préparé à élever une enfant de dix ans. J’ai eu peur, je crois. Peur que tu ne cesses jamais de pleurer ou de les appeler d’une voix déchirée la nuit. Je ne le supportais plus ! J’ai pensé que je devais te montrer la voie : feindre d’être invincible, inatteignable par le chagrin… pour que tu t’endurcisses.

Katani aurait voulu se jeter dans les bras de sa sœur. Elles auraient enfin pleuré ensemble la disparition de leurs parents. Pourtant, elle se retint, elle resta debout les jambes tremblantes, les yeux levés vers la haute voûte qui la dominait.

  • Si le Dévoreur avait demandé n’importe-qui d’autre, j’aurais accepté sans l’ombre d’une hésitation, reprit la Reine. Mais pas toi. Je refuse de te perdre. Je ne me le pardonnerais jamais si…
  • Arrête Ayevi, s’il te plaît. S’il m’arrivait malheur, tu ne serais coupable de rien. C’est ma décision.
  • Il ne t’arrivera rien ! Parce que tu vas rester ici.
  • Je t’en prie. Il faut suivre l’Oracle. C’est notre devoir, tu le sais.

Ayevi se leva, fit le tour de son bureau pour se diriger à pas lents vers sa sœur. Elle s’arrêta à une enjambée de sa sœur.

  • Puis-je te prendre dans mes bras… comme j’aurais déjà dû le faire depuis longtemps ? murmura-t-elle d’une voix douce qui transperça Katani.

La jeune princesse hocha la tête, incapable d’articuler une parole.

Doucement, sa grande sœur l’entoura de ses bras. D’abord tétanisée par ce mouvement d’affection inédit, Katani finit par poser son front sur l’épaule de sa sœur.

  • Nos parents ont suivi l’Oracle, murmura Ayevi. Et ils sont morts.
  • Quoi ? sursauta Katani.
  • Le Dévoreur a envoyé maman et papa inspecter le Voile sur le Pas de la Sorcière…. Pour soi-disant, protéger Éphémia.
  • Peut-être l’ont-ils fait, Ayevi ? Peut-être… au prix de leur vie…
  • Non ! rétorqua Ayevi d’une voix inflexible. Aucun danger ne menaçait avant qu’ils s’y rendent. Ni même après ! Je suis allée inspecter moi-même l’endroit. Il n’y avait rien… Pas une trace de bataille, pas une trace de maléfice. Ils se sont enfoncés dans le Voile et ils y sont morts ! Et depuis ? Rien… la paix règne !

Katani comprit au regard brillant de colère de sa sœur que cette dernière n’accepterait jamais qu’elle se rende au cœur du volcan.

  • Tu penses qu’il est fou ?
  • Je n’en ai cure mais je ne m’exécuterais pas au doigt et à l’œil à la moindre de ses prophéties sibyllines. Il est un serviteur des Reines-Sorcières : quand on lui pose une question, il se doit d’y répondre. Le reste du temps, je me fiche bien de ce que raconte ce vieux cracheur d’inepties, fussent-elles enflammées !
  • Alors ?
  • Alors tu vas rester ici, Katani. En sécurité. Je ne reviendrai pas sur ma décision.

Abattue, Katani baissa piteusement la tête.

  • C’est entendu, ma sœur.
  • J’espère qu’après cette discussion, nous parviendrons à nouveau à nous entendre comme des sœurs, lui dit la Reine d’une voix radoucie. Pour le moment, j’ai encore des choses à régler mais nous pourrions nous retrouver pour une promenade autour de la Cité après déjeuner, qu’en dis-tu ?

Katani acquiesça en adressant un petit sourire à Ayevi puis, elle se fendit d’une révérence avant de s’éclipser.

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