Chapitre 5

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  • Nous y voilà ! annonça Katani dont la voix résonna dans l’air sec des montagnes.

Après son entrevue avec la Reine, Katani avait passé toute la matinée, accoudée au balcon de sa chambre. Rafa avait veillé en silence à ses côtés. Après un long monologue intérieur, elle avait fini par trancher. Elle s’était tournée vers son protecteur pour lui tendre la main. C’était quelques minutes auparavant.

  • Vous avez réussi princesse, confirma Rafa avec un sourire.

Katani était heureuse qu’il soit là. Sa présence la rassurait.

Ils se trouvaient sur les contreforts d’une majestueuse montagne verdoyante qui faisait face au gigantesque volcan. Ce dernier montait si haut que son sommet se perdait dans les nuées. Ainsi dissimulé, il semblait infini. Ses flancs noirs et déserts sillonnés de courants de lave juraient avec les montagnes voisines où la vie sous toutes ses formes s’immisçait partout.

Pourtant Katani ne pouvait quitter des yeux le géant, sourde aux chants des oiseaux, aveugle aux dégradés de verts et bruns de la végétation, insensible aux jeux de lumière des rayons solaires. Elle était aspirée par la présence colossale du Dévoreur de Vie.

  • Allons ! l’interrompit Rafa. Ne perdons pas de temps.

Katani acquiesça car elle savait qu’avant d’accéder au cratère, ils devaient monter à la Table des Messagers pour appeler Gregan. Seul lui pouvait les mener à l’intérieur du volcan.

Rafa avait entamé la marche qui les mènerait à la demeure du chef des Ardents. Katani le regardait s’éloigner, incapable de bouger. Rafa revint sur ses pas pour se poster à côté d’elle.

  • Vous pouvez le faire, petit chat sauvage. Un pas après l’autre, lui murmura-t-il en lui posant une main rassurante sur l’épaule.

Sa phrase rituelle pour encourager Katani lorsqu’elle doutait d’elle-même.

  • Mais cette fois, tu ne pourras le faire avec moi, lui répondit-elle tristement.
  • Je vous accompagnerai aussi loin et aussi longtemps qu’il me sera permis, répondit-il sombrement.

Katani se décida à regarder son ami, son protecteur. Depuis leur départ, elle essayait de se persuader qu’il ne l’aurait pas accompagné jusqu’ici s’il avait été certain qu’elle y trouverait la mort.

  • Merci Rafa, lui dit-elle, en se redressant. Allons-y alors. Un pas après l’autre.

Après quelques mètres d’un chemin en pente douce, ils s’engagèrent sur un étroit sentier bien plus escarpé, bordé d’arbustes aux couleurs vert tendre. Bientôt, les ifs se firent plus rares, pour laisser à des buissons épineux et à de l’herbe rêche. La terre sous leur pas devint de la roche.

Le souffle de plus en plus court et les jambes douloureuses de l’effort soudain devenu plus intense, Katani comprit qu'ils s'engageait dans la dernière partie du chemin, la plus raide. Bientôt, ils atteindraient la volée de marches grossièrement taillées au bout desquelles se trouvait la table.

La jeune fille n’était jamais venue mais elle avait vu de nombreux dessins et peintures de cette Table. Rafa la lui avait, lui aussi, patiemment décrite des centaines de fois. Malgré l’appréhension, elle était heureuse de la découvrir.

Quand enfin elle gravit la dernière marche, elle était à bout de souffle. Elle s’arrêta pour fermer aussitôt les yeux. Elle imagina sa sœur auprès d’elle. Elle aurait tant aimé l’avoir à ses côtés.

  • Mais enfin que fais-tu Katani ? s’étonnait Ayevi d’une voix dans laquelle sa petite sœur sentit poindre l’irritation.

Pourtant Katani garda les yeux clos. Un petit sourire vint même se dessiner sur ses lèvres. Cette situation avait un goût de jour ordinaire. Cela lui mettait du baume au cœur.

  • Je me reprends, ma sœur, lui répondit-elle. Je veux avoir l’esprit clair pour découvrir cette merveille. Cela fait si longtemps que j’en rêve.
  • Katani, nous n’avons pas le temps pour ces enfantillages ! C’est juste un gros rocher plat.

S’arrachant à ses songes, la jeune princesse ouvrit les yeux sur les lieux. Sa bouche s’ouvrit en un O muet d’admiration.

  • C’est exactement comme tu l’avais dit Rafa ! s’exclama-t-elle. Comme si le plus grand des géants avait coupé une fine tranche de montagne pour la déposer sur ses deux rochers qui n’attendait qu’elle. Si fine, si grande et si belle à la fois ! Tu savais que Gregan vient s’y coucher pour y entendre murmurer l’Univers.

Rafa lui jeta un œil surpris.

  • Non, je ne savais pas… mais si tu le dis, répondit-il avec un sourire. Ce que je sais en revanche, c’est qu’il vient s’y cacher lorsqu’il est trop saoul pour rentrer chez lui. Qui sait ce qu’il entend alors ? Peut-être est-ce cela qu’il appelle les murmures de l’univers !

La princesse n’en revenait pas que Rafa parle ainsi du Seigneur des Flammes sacrées. Une étincelle jaillit dans les yeux du guerrier. Il laissa échapper un petit rire dont les échos se perdirent fond de la vallée. Katani, bien qu’interloquée, ne put s’empêcher de le rejoindre dans ce moment inopiné de joie partagée. Cela les délivra un peu de la tension souterraine qui accompagnait leurs pas.

  • Trêve de plaisanterie, finit par annoncer Rafa. Il est temps que tu appelles Gregan.

Réprimant son angoisse, elle approuva d’un hochement de tête peu assuré.

  • Viens, enjoignit Rafa en lui tendant la main.

Katani saisit la main de l’Ardent et le suivit pour gagner l’abord de la table. Si près de la gigantesque ellipse, elle se sentit minuscule et fragile.

  • Je vais faire exactement comme indiqué dans les livres…Tout d’abord, poser les mains bien à plat sur la table, commença-t-elle en joignant le geste à la parole.

Rafa, juste à côté d’elle, l’observait en silence.

  • C’est fait, l’encouragea-t-il. Ensuite ?
  • Rafa ! s’exclama soudainement la princesse éperdue de douleur et de panique. Regarde ! elles gèlent !
  • Reculez !
  • Je ne peux pas ! paniqua-t-elle en mettant pourtant toutes ses forces pour s’écarter. Elles sont comme collées !
  • Mais qu’as-tu fait ? s’écria la voix d’Ayevi en regardant les mains de Katani rougir puis bleuir. Pas de panique ! Ne les enlève pas !

Elle venait d’apparaître et fixait, incrédule, les mains de sa cadette.

  • J’ai fait ce qui est écrit ! tempêta la jeune Princesse en larmes. Comment je les enlève !
  • Concentre-toi ! Invoque ta Magie.

Katani tâcha de s’extraire du carcan de douleur qui l’étouffait pour réveiller son Flux. Elle grimaça, grogna sous l’effort consenti. Enfin, elle vit apparaître de minuscules filaments violets autour de ses avant-bras.

  • Voilà, l’encouragea sa sœur. Tu vois, ta magie s’est réveillée. Aide-la à grandir !
  • Mais comment ?
  • La Terre sous tes pieds véhicule ta magie, la montagne devant tes yeux aussi. Crée un Flux !
  • Je n’y arrive pas ! Je ne sens rien ! pépia Katani.

Les filaments de son Flux tremblotaient faiblement autour de ses bras, alors que le monstre glacial qui s’était emparé de son épiderme continuait son invasion. Son ventre désormais n’était plus que glace et souffrance.

  • Alors sers-toi du mien ! Je t’ouvre la voie.

Katani hurla en guise de réponse.

  • Mes jambes ! Elles se brisent !
  • C’est une illusion ! Courage ! lui souffla la Reine en posant ses mains sur les épaules de sa sœur.

Hélas, elle fut immédiatement rejetée comme une vulgaire brindille. Elle échoua de tout son long, quelques mètres plus loin. Elle paraissait avoir perdu connaissance. Rafa se précipita à ses côtés.

  • Ayevi ! gémit Katani rongée par la terreur à la vue du sang qui perlait sur le visage de sa sœur.
  • Elle va bien ! elle est juste un peu sonnée.
  • Rafa, s’étrangla la jeune princesse, je … du mal à respirer.

L’Ardent déposa aussitôt la Reine qui rouvrait péniblement les yeux, pour se précipiter vers Katani.

  • Regardez-moi Princesse !

La jeune fille sentait ses forces décliner. Chaque respiration lui transperçait la poitrine pourtant elle s’efforça de rendre son regard à l’Ardent.

  • Je …
  • Écoutez-moi ! lui ordonna-t-il d’une voix sans appel tandis que ses yeux se mettaient à luire tels des charbons ardents. Je vais essayer de vous donner un peu de temps. Vous n’aurez que quelques secondes pour délivrer votre Flux ! Prête !

Elle cligna des yeux. Rafa s’embrasa alors de la tête aux pieds avant de la prendre dans ses bras. Elle sentit la chaleur combattre le froid glacial qui la privait de sa force vitale.

Au prix d’une lutte aussi invisible qu’acharnée de l’Ardent, elle retrouva un peu de liberté. Aussitôt, elle invoqua son Flux. Des Flammèches violettes apparurent autour de son corps. Elle les sentit danser à l’intérieur de son thorax.

Soudain, les yeux de Rafa se révulsèrent. Les Flammes disparurent, il s’écroula puis se pétrifia tout comme le cœur de Katani.

Son Flux avait disparu. Bientôt elle serait morte.

  • Katani ! l’appela sa sœur d’une voix faible. Il croyait en toi, en ta Magie… Honore son sacrifice, Bats-toi !

Elle n’était pas à la hauteur. Elle prit une goulée d’air, la dernière certainement. Elle ferma les yeux. Aveugle, elle écouta les derniers battements hiératiques de son cœur tandis que son sang finissait de se figer dans ses veines.

Enfin, le silence… un long silence paisible, une douce chute dans un infini incolore. Elle pourrait passer l’éternité là.

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