Rafa et Katani enchainaient les passages étroits et sombres de toute sorte depuis un long moment. Leur duo était désormais bien rôdé. Rafa lançait son Feu pendant que Katani déployait son bouclier afin de les protéger du retour de flammes. Si ces incessantes répétitions permettaient à la jeune femme de, petit à petit, gagner en confiance, elle sentait désormais la fatigue s’abattre inexorablement sur ses épaules.

Rafa, plus endurant, paraissait capable de continuer ainsi pour l’éternité. Jusqu’à présent, il avait la délicatesse de faire mine de ne pas s’apercevoir de la lassitude croissante de sa protégée.

Alors qu’il venait de découvrir une enième cheminée à gravir, Katani s’encouragea en silence. Elle pouvait le faire encore une fois. Ensuite il faudrait qu’elle se décide à demander à Rafa de faire une pause.

• Tiens donc ! s’exclama Rafa alors qu’il s’apprêtait à lancer son Feu. Intéressant !
• Quoi ? demanda Katani d’une voix qui fit transparaître malgré elle, son agacement et sa fatigue.
• Regarde ! Il y a un peu de lumière tout en haut, lui annonça-t-il joyeusement.

Dubitative, elle s’approcha à son tour pour observer le fond du conduit. L’Ardent avait raison.

• C’est moi ou elle est loin ?
• Elle est loin. Une quarantaine de mètres, je pense.

Katani, découragée, se laissa tomber sur les genoux. Mais bien sûr, un peu de lumière mais, à une distance impossible ! Le message du Dévoreur était limpide : Il y avait de la lumière et de l'espoir mais, pas pour elle car elle était incapable de l'atteindre.

• Nous allons nous octroyer une pause avant de tenter cette ascension. De toute façon, l’obscurité sied mieux au sommeil.

La jeune fille ne distinguait pas le visage de son protecteur mais sa voix ne laissait transparaître aucun signe de fatigue. Elle était certaine qu'il n'avait pas besoin de repos mais, comme toujours, il prenait soin d'elle. Elle se retint de lui dire que cela ne servait à rien, avec ou sans repos, elle ne parvindrait jamais au bout de cette épreuve.

De toute évidence, si le message du Dévoreur était clair pour elle, l'Ardent y restait, pour l'instant, complètement sourd.Alors elle s'abstint acceptant, sans mot dire, la gourde et et les algues séchées qu'il lui tendait. Pendant qu’elle se désaltérait et grignotait, elle tenta de se convaincre qu'elle pourrait au moins trouver un moyen pour que lui sorte vivant de ce triste chemin.

Ne paraissant absolument pas se douter des sombres pensées qui agitait sa protégée, Rafa s'affairait à préparer un campement sommaire. Il généra ensuite une flamme pour les éclairer. Katani découvrit qu’il avait étendu deux nattes de son paquetage sur le sol, une couche de fortune mais la princesse aurait été prête dormir par terre s’il avait fallu.

• Merci Rafa.
• Installe-toi là. Tu verras, après t’être reposée, tu envisageras les choses de manière plus positive.

La jeune fille n’eut pas le courage de le détromper. Elle s’allongea et s’endormit presque instantanément.

Après un somme bien trop court à son goût, elle sentit la grande main de Rafa se poser sur son épaule.

• Il est temps Katani, lui chuchota-t-il.

Elle grogna, ce qui le fit rire doucement. Pendant qu’elle quittait à regret sa natte, Rafa étudiait les parois du conduit qu’il éclairait en jonglant avec deux flammèches.

• Merci de m’avoir accompagnée, ne put-elle s’empêcher de lui déclarer après l’avoir observé un instant.
• Garde tes remerciements pour le moment où nous reverrons le ciel, lui rétorqua-t-il avec un sourire. Plie plutôt ta natte et viens me rejoindre.

Sans plus l’interrompre, elle s’exécuta.

Une fois à côté de lui, elle observa les murs circulaires qui devait les mener vers la lumière ténue quarante-mètres plus haut. Elle aperçut bien quelques aspérités éparpillées ça et là qui pourraient leur servir de prises.

• Tu n’as pas de corde ? tenta-t-elle à tout hasard.

Rafa lui lança un regard sardonique.

• Tu ne connaitrais pas un sort de lévitation ? lui demanda-t-il sur le même ton.
• Non, mais… Laïfa pourrait franchir cet obstacle en moins de deux ! s’exclama Katani.
• Katani, soupira Rafa. Tu n’as pas le droit de monter Laïfa.
• Mais les circonstances sont exceptionnelles…
• Quelles que soient les circonstances, répondit-il en remballant ses affaires dans son paquetage. Tu peux escalader ce puits, petit chat sauvage. Nous avons déjà gravi des parois plus difficiles. On va faire comme d'habitude. Je vais passer le premier. Regarde bien où je pose mes pieds et mes mains et tout ira bien.

L'assurance tranquille du guerrier irrita Katani. D'habitude, ils grimpaient en plein jour. D'habitude, un point de vue magnifique les attendaient au sommet, suivi d'un bivouac sous les étoiles... Pas une entité monstrueuse qui trucidait les gens au moindre mot de travers. Elle serra les poings de rage, de dépit.

• Et comment vais-je faire ? s’écria-t-elle finalement. Il fait noir, je te rappelle !

À peine eut-elle prononcé ces mots que le corps de l’Ardent se mit à rougoyer tel un tison ardent.

Katani savait la dépense d’énergie que cela demandait à son protecteur. Cela éteignit aussitôt sa colère mais raviva son anxiété. Le guerrier ne parut pas s'en rendre compte. Tout entier concentré sur l'obstacle à franchir, il avait retrouvé le visage impassible et déterminé d'un croc que rien n'arrêtait. Sauf la mort. Tiendrait-il toute l'ascension ?

Alors qu'il se préparait à bondir, elle l'arrêta.

• Rafa ! Je veux que tu me promettes de ne pas risquer ta vie pour moi !
• Quoi ? Comment ça ?
• Si je décroches ... Je veux que tu restes accroché à la paroi ! C'est un ordre, tu m'entends ?

Le regard vissé dans celui de l'Ardent dont le visage s'était figé, elle tint bon, ravalant ses larmes et la peur ravageuse qui lui labourait les entrailles.

Sans la quitter des yeux, il posa le poing sur son coeur avant d'hocher lentement la tête.

Puis, il reporta son attention sur le puits au-dessus d'eux pendant que Katani tâchait de réprimer les tremblements de ses mains.

Il se plaça sous le conduit pour se propulser d’un bond puissant vers de premières prises. Les deux mains agrippées, il se tourna vers la princesse.

• L’échelle est avancée, votre Altesse, lui indiqua-t-il d'une voix si calme que Katani douta de la réalité de la promesse qu'elle venait de lui arracher.

Elle tenta de faire taire la petite voix hystérique dans sa tête qui annonçait une issue atroce pour lui, comme pour elle. Pas pour lui, espéra-t-elle.

Elle attrapa les pieds de Rafa et entreprit de se hisser le plus rapidement possible le long du corps de celui-ci. Après de gros efforts qui la laissèrent en sueur, elle atteignit le mur. À son grand damn, la tête de Rafa, tout comme ses mains, lui servirent de marche-pieds alors qu’elle tâtonnait pour trouver des prises stables pour ses mains.

• C’est bon Rafa, l’informa-t-elle d’une voix tremblante.

L’Ardent se hissa alors à son tour pour se retrouver derrière elle. Elle sentit sa respiration rassurante balayer le haut de son crâne.

Katani avait déjà les bras tétanisés.

• Décontractes-toi. Lâche un bras pour le détendre puis l’autre.

Elle lui obéit sans discuter. Ses bras cessèrent de trembler.

• Bien, je vais passer devant. Pense à décontracter tes bras dès que tu le peux et à garder une respiration régulière.
• Entendu, répondit-elle pleine de culpabilité.

Elle avait paniqué et oublié tous les conseils élémentaires qu’il lui répétait depuis des années quand ils partaient en vadrouille.

• Prête ?

Elle eut à peine hocher la tête qu’il se trouvait déjà au-dessus d’elle. Elle chassa la peur qu’il l’assaillait en se concentrant sur les mouvements de Rafa et les siens. Bientôt, son univers se réduisit à cette succession de mouvements dans l’ombre rougeoyante de Rafa.

• Je m’arrête, la prévint-il. Rejoins-moi et passe entre moi et le mur.

Une fois arrivée à bon port, elle en profita pour se détendre un peu et retrouver une respiration plus tranquille tout en s’interdisant de regarder vers le bas.

• On a fait la moitié, non ?
• Presque.

Katani sentit une imperceptible tension dans la voix de son protecteur.

• Dis-moi… l’enjoignit-elle doucement.
• Ca se corse à ce que j’ai pu voir…

La jeune princesse laissa passer le long frisson qui la traversait. S’il la prévenait, alors cela s’annonçait beaucoup plus difficile. La petite voix hystérique rebondit à nouveau dans son crâne. Katani la fit taire à grand-peine.

• Il est trop tard pour faire demi-tour, de toute façon, réussit-elle à dire malgré sa voix étranglée.
• On va y arriver ! Allez ! l’encouragea Rafa avant de s’élancer.

Elle était certaine que Rafa en était capable. Sans elle, il aurait certainement déjà atteint le sommet dans l’obscurité. Là, pour elle, il déployait son aura, pour elle, il avançait lentement. Pour elle, il pourrait mourir. Cela la glaça si bien qu’elle prit du retard.

Elle reprit son ascension sans prévenir l’Ardent.

À peine quelques mètres plus haut, elle donna raison à la petite voix intérieure terrifiée. Accrochée à la paroi, elle regardait la prise suivante en se demandant par quel miracle elle pourrait réussir à la saisir. Elle plia les jambes pour augmenter son élan et se projeta vers l’infractuosité à laquelle ses doigts devaient se cramponner. Elle l’effleura à peine.

Elle tomba en hurlant. Comme au ralenti, elle vit Rafa se retouner, l’air horrifié. Il tendit la main vers elle, l'aura écarlate la poursuivit dans sa chute . Il criait quelque chose qu’elle ne comprit pas. Elle tendit son bras comme s’il pouvait la rattraper. À sa grande surprise, son aura explosa pour se mêler à celle de Rafa. Elles fusionnèrent pour finalement arrêter la chute de Katani.

Suspendue dans le vide, tout juste maintenue par leurs auras entremêlées, Katani livide, retenait son souffle. À la fois terrifiée de se trouver en si mauvaise posture et soulagée que Rafa ait tenu sa promesse.

Toujours accroché au mur, il commençait à désescalader.

• Reste où tu es ! lui cria-t-elle.
• Alors, reviens Reine-Sorcière ! rétorqua-t-il d'une voix si grave qu'elle ne la reconnut pas.

Elle se rappela des paroles de son protecteur. Elle pouvait être sa propre lumière.

• Je veux retourner sur la paroi, auprès de Rafa, murmura-t-elle timidement et en prenant garde de ne pas bouger.

Rien ne se passa si ce n'est qu'elle sentait le filet magique se desserrer un peu plus à chaque micro-mouvement. Son cœur battait à tout rompre. Il fallait qu’elle remonte. Vite !

• Je veux retourner auprès de Rafa ! cria-t-il d’une voix où sourdait sa panique naissante.

Les deux auras réagirent à l’onde vocale qui les traversait. Elles l’enveloppèrent pour la remonter à une vitesse folle jusqu’à l’Ardent. Ce dernier saisit son bras dès qu’il put. Elle s’accrocha aussitôt au mur devant elle.

• Tu es blessée ? lui souffla-t-il, d’une voix inquiète.

Elle avait bien quelques éraflures, un mal de chien dans tous les muscles mais rien qui vaille que l’Ardent ne se fasse du mauvais sang.

• Non, ça va. Vas-y, je te suis, le rassura-t-elle.

Elle n’était pas convaincue d’arriver au sommet, juste déterminée à ne jamais abandonner.

Rafa ne se le fit pas dire deux fois. Il repartit sans un mot de plus. Elle le suivit pas à pas, ne se laissant pas arrêter par les prises fuyantes, ni les éboulis. Elle l’arrêta, sans culpabilité aucune, à chaque fois qu’elle n’était pas certaine d’atteindre la prise suivante. Alors, il lui souriait, redescendait, prêt à la rattraper si besoin.

Ainsi, ils arrivèrent au bout. Épuisés, il ne cherchèrent même pas d’où provenait la lumière. Ils s’allongèrent au sol, côte à côte, pour savourer la joie simple et absolue d’être en vie.