Chapitre 16
- Que fait votre Croc ? s’alarma Aldora qui venait de la rejoindre.
À la demande de l’Arbre, Katani se força à prendre de la distance dans la connexion qu’elle entretenait avec Aldor, pour pouvoir répondre à la Guide.
- Ne t’inquiète pas. Aldor le lui a autorisé.
Aldora contempla avec attention l’Arbre avant d’enfin laisser s’en aller la tension qui l’animait. Ses épaules s’abaissèrent dans un soupir avant qu’elle ne se tourne vers la jeune fille. Ses sourcils se levèrent d’une surprise muette.
- Qu’y-a-t’il ? questionna Katani.
- Je ne suis pas sûre… puis-je ? demanda la Guide en tendant sa main paume ouverte, vers le plexus solaire de Katani.
Cette dernière n’accepta que parce-qu’Aldor lui enjoignait de donner son assentiment. Elle regarda approcher la Guide avec circonspection. À quelques centimètres de son corps, Aldora stoppa son mouvement tout en déployant son aura verte de maguérisseuse. Katani en sentit la chaleur puis, elle la sentit à l’intérieur de son corps, qui circulait avec douceur.
Enfin Aldora retira sa main.
- Vous avez l’air étonnée, Votre Altesse ?
- Ton Aura… je l’ai sentie. Hier, quand Iaga a déployé la sienne, ce n’était pas le cas… Est-ce parce-que la tienne est plus puissante ?
- Non, l’exploration de l’aura ne nécessite pas de puissance. Cela demande de la douceur, de la précision et Iaga en possède tout autant que moi.
- Alors, pourquoi ?
Katani commençait à s’inquiéter. Que lui arrivait-il encore ? Cette sensibilité accrue signifiait-elle qu’elle était sur le point de faire une crise de sauvagerie ?
- Aldor a procédé au nettoyage de ton aura. Plus de nœuds, plus de blocages. Le Flux circule en toi comme l’eau claire d’un ruisseau.
Katani sourit en tournant son regard vers le grand Arbre avant de le remercier en silence.
- Que peut-il bien avoir à confier à un Croc ? murmura la Guide perdue dans ses pensées.
- La même chose qu’à moi, l’informa Katani s’attirant ainsi un regard éberlué. C’est moi qui le lui ai demandé. Rafa a été désigné comme mon protecteur par le Dévoreur quand j’étais enfant mais, hier lors de notre rencontre avec ce dernier, il a choisi délibérément de garder ce rôle auprès de moi. J’estime qu’il mérite d’en savoir tout autant que moi concernant ce qui nous attends et pourquoi.
Elle se garda bien de dire qu’elle avait aussi besoin de savoir si l’Ardent prêterait foi au récit d’avenir funeste qu’Aldor prédisait.
- Tu lui accordes une confiance absolue, remarqua Aldora.
- Oui. À juste titre.
À ces mots, la jeune princesse perçut l’assentiment d’Aldor. La Guide dut l’entendre aussi car elle les regarda tour à tour avec un sourire entendu.
Katani perçut un nouvel appel de l’Arbre. Il arrivait à la fin de son récit mais il avait encore quelque chose à lui dire, à elle. Elle s’appuya à nouveau sur le tronc massif avant de clore les paupières.
Aldor leur confia que toutes les entités gardiennes possédaient une sauvegarde et qu’elles avaient toutes un message à transmettre à l’unique seconde. Le Dévoreur s’était acquitté de sa mission tout comme Aldor. Ce dernier enjoignit Katani de continuer son voyage au cœur d’Ephémia. Il la pressa de se rendre aussi tôt que possible dans les Terres Miroir. Il avait le sentiment diffus que les choses s’accéléraient.
La jeune princesse voulait d’abord retrouver sa sœur, la rassurer… Rafa lui suggéra de communiquer avec la Reine via leur lien de Sorcières. Katani y avait pensé mais jusqu’ici, elle n’avait pas trouvé le temps, ni l’énergie de s’y essayer. Au milieu du silence, elle perçut que Rafa ne la croyait pas, ni Aldor du reste. Dans ce genre de communication, lui apprit le vieil Arbre, les faux-semblants se révélaient impossibles. Elle avoua alors qu’elle appréhendait cette première entrevue. Elle avait besoin de voir sa sœur en chair et en os. Avant cela, elle devait faire le point sur ce qu’elle lui raconterait. Un drôle de pressentiment lui chuchotait qu’elle devrait peut-être éviter de lui révéler certains éléments. Cela révulsait Katani.
Elle crut presqu’entendre Aldor gronder. La révélation des sauvegardes tout comme les messages des gardiens lui étaient destinés uniquement à elle, il en allait de la protection d’Ephémia. Rafa renchérit en arguant que si Ayevi devait lui cacher des informations pour le bien du Royaume, elle, n’hésiterait pas une seconde.
Katani savait cela. Pour autant, elle n’était faite du même bois que sa sœur qui s’était préparée toute sa vie pour assumer ce genre de décisions. Elle continuait d’hésiter même si elle comprenait le point de vue de l’ardent et de l’Arbre.
Perdue, elle se détacha de l’Arbre et se leva pour sortir de l’alcôve. Elle souhaitait s’éloigner, être seule un moment.
- Princesse, l’interpella Rafa alors qu’elle s’apprêtait à partir après avoir soigneusement évité de regarder dans sa direction.
Elle se raidit de contrariété. Ne pouvait-il comprendre, une bonne fois pour toutes, que tout le monde n’avait pas la rapidité de décision et d’action d’un Croc.
- J’ai besoin de faire quelques pas, Rafa. Pour mettre mes idées au clair. Est-ce que c’est trop demandé ? lui répondit-elle d’une voix de petite fille fâchée qui acheva de l’agacer.
- J’avais compris. Seulement, il y a du monde dans les alentours…
- Et alors ? rétorqua-t-elle, les dents serrés.
- Vous êtes en chemise de nuit, Majesté.
Katani s’arrêta net. Elle avait complètement oublié ce détail. Elle regarda hébétée, la chemise de tissu fin couverte de petit débris de feuilles qui lui battaient doucement les mollets. Elle se tourna vers Rafa d’un air furibond. Il présentait l’air impassible et digne de tout bon Croc qui se respecte pourtant, les petites étincelles qui dansaient dans ses yeux ne laissèrent aucun doute à la princesse : la situation l’amusait.
- Nous avons réparé vos effets, Majesté, lui apprit Aldora. Cependant, ils se trouvent dans votre chambre.
Katani respira profondément avant de lever le menton puis, passa avec un air hautain devant son protecteur.
- Ce n’est pas grave. Je vais me dissimuler derrière Aldor afin de réparer cet oubli. Ensuite, j’irai faire un tour.
- Bien Majesté, je dois retourner au Hall. Nous nous y retrouverons pour y déjeuner si cela vous convient.
À ses mots, l’estomac de Katani gronda.
- C’est très bien, Aldora. Rafa ?
- Oui Majesté, j’ai apporté de quoi faire une collation avant que vous ne vous adonniez à votre marche méditative, lui répondit-il avec le plus grand sérieux.
Katani fut prise d’une furieuse envie de l’assommer. Malgré tout, pendant qu’elle invoquait ses fées habilleuses, elle se surprit à sourire. Cela lui faisait du bien de pouvoir se comporter comme une adolescente capricieuse. Elle savait que Rafa ne lui en tiendrait pas rigueur.
Quand elle sortit de sa cachette, les cheveux tressés et vêtue d’une robe aux teintes vert bruns, hommage discret au grand Arbre sacré, il avait déjà tout préparé pour un rapide petit-déjeuner. Il attendait tranquillement assis, visiblement en train de profiter de la douceur bucolique du paysage qui s’offrait à son regard.
Sans cérémonie, elle vint s’asseoir auprès de lui. Après un échange de regards complices, ils attaquèrent les mets à leur disposition.
Ce petit intermède fut rapidement mené.
- Est-ce que tu veux m’accompagner durant ma promenade ? demanda innocemment Katani pendant qu’elle aidait l’Ardent à ranger les restes de leur en-cas.
- C’est un ordre ? rétorqua-t-il avec un petit sourire en coin.
Elle leva les yeux au ciel en soupirant avant de commencer à s’éloigner. Quand elle se retourna après quelques pas, il n’avait pas bouger et la regardait partir d’un air serein.
- Oh Rafa ! C’est bon, j’ai compris. Je te demande pardon pour tout à l’heure. On peut y aller maintenant.
Le guerrier hocha la tête d’un air satisfait et lui emboîta le pas. Elle l’attendit avant de reprendre sa descente du Tertre.
- Je suis encore un peu… une enfant, tu sais, murmura-t-elle en évitant soigneusement son regard. Je ne pourrai pas éviter certaines pertes de contrôle… pas tout de suite.
- Je sais, petite sauvage. Je pense juste qu’il serait judicieux que ce genre d’éclat reste entre nous. Votre peuple a besoin de vous voir forte et sereine quelles que soient les circonstances.
- C’est le rôle d’Ayevi ça, pas le mien, rétorqua Katani en se remémorant le récit d’Aldor.
- Les Gardiens semblent dire que toi aussi, tu dois endosser ton rôle de Reine-Sorcière.
- Elles n’étaient pas toutes d’impassibles statues de marbre, tu l’as vu comme moi. Amari ressemblait à une déesse de la guerre avec son regard fou et sauvage, elle n’avait pas l’air sereine. Céti ressemblait à un roseau et avait un air tellement triste…
- Elles montraient toutes les deux un tempérament et des émotions différentes mais, dans tous les souvenirs d’Aldor, elles s’adressaient avec calme et respect à tous leurs interlocuteurs et, elles assumaient qui elles étaient.
Katani retint tout juste l’exclamation pleine de dépit que lui inspirait les propos de Rafa. Elle rongea son frein en silence. Elle se sentait stupide car tout cela lui avait échappé et surtout découragée. Son esprit était une mer agitée d’émotions contradictoires qu’elle gardait pour elle autant que possible, elle n’imaginait pas pouvoir les exprimer sans se laisser submerger ou passer pour une écervelée lunatique.
- Eh bien, heureusement qu’Ayevi est née en premier alors, parce-que je ne suis pas certaine de pouvoir y arriver.
Rafa rit doucement.
- Ces derniers temps, tu as accompli des tas de choses que tu n’aurais jamais pensé réussir. Et puis, comme tu l’as dit, tu sors à peine de l’enfance. Amari et Céti, dans les souvenirs d’Aldor, étaient toutes les deux adultes.
Katani poussa un soupir peu convaincu.
- Et si nous profitions de cette balade pour découvrir ce bel endroit… c’est ce que tu voulais, non ? Regarde, c’est vraiment très beau et apaisant.
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