La conception

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– Non, elle ne doit pas faire plus de trois millimètres de large sinon elle risquerait de dépasser.

Assise de l'autre côté du bureau, j'essaie de le convaincre que la puce ne doit pas dépasser les trois millimètres. Je suis certaine que c'est faisable.

– Tu y tiens vraiment à tes trois millimètres.

– Deux seraient trop petits, et je ne suis pas sûre que ce soit techniquement possible. Au pire on verra avec votre ingénieur chirurgical.

Il soupire en levant les yeux au ciel.

– Pour ce coup-ci, je te laisse faire.

Je me saisis d'une feuille et d'un crayon et commence à écrire ce dont j'ai besoin.

– Je pense qu'il serait bien de l'équiper également d'une caméra miniature située dans le deuxième œil. En fait, cette caméra transmettrait les données vidéo à un boîtier portable qui traduit les instructions.

– Et ensuite ?

– Ces instructions seront envoyées à l'implant oculaire par une connexion sans fil. Lorsque le faisceau d'électrodes de l'implant reçoit les informations, il émet de petites impulsions électriques qui stimulent les cellules de la rétine, qui à leur tour les transmettent au nerf optique.

Je réfléchis à ce que je viens de déblatérer...

– Ces impulsions permettent de contourner les récepteurs endommagés de la rétine et de stimuler les cellules restantes. Le nerf optique envoie les informations visuelles au cerveau. L'inconvénient est qu'il n'y aurait qu'un seul œil en réalité qui pourrait voir.

– Mais comment cela va-t-il se passer pour un aveugle de naissance ? Ce n'est pas comme quelqu'un qui aurait déjà vu par le passé. Là, la personne doit décoder ce qu'elle voit.

Je crois que c'est la première fois qu'il parle d'un Exclu en tant que personne, et pas comme d'un rat ou d'un cobaye...

– Le patient devra apprendre à les interpréter en suivant un programme de rééducation visuelle.

– Mais où vas-tu chercher des idées pareilles ?

Son compliment me fait sourire. Et oui les Exclus ne sont pas que des êtres bons à être montrés comme des bêtes de foires.

– Par contre, ce sera à vous de les implanter. Je ne suis pas habilitée à le faire.

– Moi non plus je n'ai pas eu mon diplôme.

Je le regarde, choquée. Il se permet de faire des opérations sur les cerveaux des Exclus alors qu'il n'a pas eu ses examens ! Ma tête doit être très amusante parce qu'il éclate d'un rire sonore et franc.

– C'est une plaisanterie Séléné, ne t'inquiète pas, je n'ai jamais loupé un seul concours.

Je trouve sa blague douteuse, et je sais que cette idée ne me quittera pas de si tôt.

Une fois l'ingénieur arrivé, je lui expose mon projet.

– C'est très intéressant, mais je doute que cela fonctionne.

– Bien évidemment, l'aveugle ne verra pas comme vous et moi, mais il pourra au moins y voir quelque chose. D'accord ce n'est pas très précis et pas aussi abouti que notre vision. Mais de toute façon il est difficile de faire mieux que la nature elle même, n'est-ce pas ?

Une fois le gentil monsieur parti, Doc pousse un soupir déconcerté.

– Cela va me coûter les yeux de la tête !

– N'exagérez pas quand même !

– Malheureusement, non Séléné, toute nouvelle pièce coûte une petite fortune, et là ce n'est pas une simple pièce que tu as commandée. J'espère vraiment que cela va marcher sinon... je n'ai plus qu'à mettre la clef sous la porte.

L'espace d'un instant, j'en viens presque à espérer que l'opération ne se déroule pas comme prévu ou qu'elle ne parvienne pas à la conclusion espérée. Mais ce serait terriblement égoïste de ma part de priver tous les non-voyants du progrès dont ils pourraient bénéficier un jour...

Doc pose sa tablette holographique sur la table d'opération, et sous mes yeux émerveillés un corps en sort, se dépliant sur la table comme un jouet. Le stylet se transformant d'un coup en scalpel, il s'exerce tranquillement au travail qui l'attend.

– Non, posez-la plutôt à plat sur l'œil, si vous l'enfoncez, elle risque...

– Trop tard, si je la retire maintenant, je vais devoir tout recommencer maintenant que l'œil est percé.

– Alors, recommencez.

Il me regarde, choqué de mon autorité.

– D'accord.

Il jette tout le mannequin à la poubelle informatique pour en sortir un autre. Avec grande patience, il recommence tout ce qu'il avait déjà fait. Cette fois-ci, il suit mes instructions à la lettre.

– À votre avis Doc, combien de temps les yeux doivent-ils rester fermés après une opération pareille ?

– Je n'en sais rien, une semaine environ je dirais.

– Cela va être terriblement long d'attendre tout ce temps.

– Mais si le jeu en vaut la chandelle, je veux bien attendre des années s'il le faut. Pourvu seulement que le résultat soit au rendez-vous.

Après une semaine de travail acharné, l'ingénieur médical est finalement revenu, portant dans une mallette tout ce que nous avions commandé.

Étalée aux côtés de pinces et de couteaux miniatures, la micro carte électronique se fait discrète. Il ne faut surtout pas la faire tomber ou la perdre. Elle est noire comme la pupille, alors je doute que sur le carrelage blanc, elle soit difficile à retrouver, mais elle risquerait d'être endommagée.

Maintenant, il ne reste plus qu'à convaincre RJ-29...

– Je t'en prie, tu dois m'écouter.

– Séléné ! Essaie de comprendre... L'Exclu qui est parti n'est jamais revenu de la dernière opération.

– Ce n'est qu'une question de temps pour qu'il se rétablisse... Et comment sais-tu ça ?

En réalité MT-14 est loin d'être rétabli. Je ne peux quand même pas lui dire que nous avons perdu le patient et qu'il est en route pour la crémation. Rien que d'y penser ça me rend malade.

Elle secoue la tête.

– Si je te parle un peu de ce qui va se passer, peut-être changeras-tu d'avis. On va insérer dans ton œil une sorte d'œil bionique qui te permettra de voir, et ensuite c'est tout, rien que cela RJ-29, s'il te plait. Je suis certaine que cela va marcher !

– Doc jusque-là n'a jamais eu de bonnes idées. Pourquoi en aurait-il une bonne maintenant ?

– C'est mon idée, pas la sienne.

– Tu es de son côté, pas vrai ?

– C'est compliqué à expliquer. Mais crois-moi si je pouvais m'échapper d'ici, je le

ferais.

– Jure-moi que cela va marcher et je te suis.

J'hésite. C'est faire une promesse que je ne suis pas certaine de pouvoir tenir...

– Je te promets que toutes les cartes pour réussir sont entre nos mains.

– Cela ne me suffit pas.

– En vérité, tu n'as pas vraiment le choix. Doc a bien voulu t'épargner pour la dernière fois, mais je doute qu'il cédera ce coup-ci. À toi de voir si tu penses avoir une chance contre les gardiens...

À ces mots, je vois les poils de ses bras se hérisser.

– D'accord. Je te fais confiance, ne me déçois pas.

Intérieurement je saute de joie, mais je suis également morte de trouille.

J'installe RJ-29 sur la table. La main sous sa nuque, je l'aide à s'allonger sans heurter la surface dure et froide.

Tout se passe merveilleusement bien. Toutes les instructions sont suivies à la lettre et il n'y a pas eu d'hémorragie. Je peux dire non sans fierté que j'ai aussi travaillé dur pour que tout se passe bien, j'ai même réalisé l'anesthésie sous l'œil vigilant de Doc. Exténué par tant de concentration, il me laisse achever le travail. Je retire les écarteurs et abaisse les paupières gourdes. Je pose ensuite une compresse sur chaque œil et, finalement, un bandage blanc, comme un linceul. RJ-29 est prête pour retourner dans sa cellule avec l'instruction de ne pas toucher ni aux bandages ni à ses yeux, même pas d'appuyer dessus, bien que cela risque de la démanger dans un premier temps.

Je la raccompagne dans sa cave, moite et froide. Je suis navrée pour elle de ne pas avoir quelque chose de plus confortable à lui donner. Je fais néanmoins un crochet par mon appartement pour prendre un morceau de chocolat.

– Est- ce que tu as mal ?

– Non pas pour le moment, mais la dernière fois non plus je n'avais pas mal au début. C'est par la suite que la douleur s'éveille, quand l'anesthésie se dissipe.

– D'ici une semaine, on sera fixé sur ton état. On pourra enlever les bandages. Par contre, tu seras obligée de rester à l'intérieur à l'abri du soleil au début, je suppose que cela ne te gêne pas trop si c'est pour te permettre de voir.

J'essaie d'adopter un ton enjoué, mais cela ne marche pas. Je sens quelque chose de pesant entre nous.

J'entends soudainement un bruit sourd provenant du rez-de-chaussée. L'étage auquel je n'ai pas accès.

– Je reviens.

Alors que je me dirige vers l'ascenseur pour informer Doc, les portes s'ouvrent sur un spectacle effrayant. Un gardien, couteau sur la gorge, est maintenu en respect devant quelques six personnes, hommes et femmes confondues. Quand je croise le regard de l'une d'entre elle je me mets à courir. Pour aller ou ? A cet étage il n'y a rien d'autre que des cellules. Une fois acculée au fond du couloir, nous nous battons. Je me bats comme si ma vie en dépendait, alternant coups de poings et coups de pieds. Ce bras le corps ne dur que quelques minutes. Je perds rapidement la partie devant tant de force et un coup de cross de fusil dans le ventre. J'ai le souffle coupé, et ma lèvre fendue laisse couler un filet de sang sur mon menton. L'inconnue me redresse par les cheveux au point que je sens la peau de mon crane se décoller.

– J'en connais une qui n'hésite pas à trahir les siens visiblement.

Je n'ai pas le temps de répondre qu'elle se trompe qu'on me traine de force. Alors que nous montons, le gardien tente de retourner le poignard contre nos assaillants.

Je suis devenue comme sourde. Les deux mains sur les oreilles suite à la déflagration mes oreilles bourdonnent. La première chose que je vois en ouvrant les yeux, c'est le visage de l'homme en blanc, une balle logé dans la tête. Une nausée m'envahie, je serre les dents. Vont t-ils m'abattre moi aussi ?

Quand les portes s'ouvrent, l'un d'entre eux pousse le cadavre du pied. Je suis saisie de tremblements nerveux. On me tire hors de la cabine et je rampe plus que je ne marche. En relevant les yeux j'aperçois Doc. Je ne réussie à hurler qu'un seul mot : Fuyez !

– Tu veux vraiment mourir toi hein ? Regarde ! Mais regarde !

Elle approche mon visage du cadavre du gardien.

– Tu vas m'écouter traitresse, la prochaine fois que j'entends un seul mot sortir de ta bouche je te tue. Est ce que tu m'as bien comprise ?

Je hoche la tête comme je peux, toujours retenue par les cheveux.

Tout se passe au ralenti. Les cris des Exclus, la porte du bureau de Doc qui explose, les gardiens neutralisés ou abattus. Je nage en plein cauchemar. C'est lorsqu'ils ouvrent les cellules que je comprends qu'ils libèrent les Exclus. La porte de l'ascenseur se referme alors que je vois Côme courir vers moi. Lui il sait que je ne suis pas ce qu'ils prétendent. Lui il va leur dire qui je suis.

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