Chapitre 3

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49ème UT, TU 35988 de l’UIG

Équipe scientifique du vaisseau பாத்39선박 affrété par l’UIG, calé en orbite autour de சூன்04, face à son satellite சூன்04-செற்02.


Première exploration physique du satellite சூன்04-செற்02 (satellite naturel de la quatrième planète du système)


C’était la première fois que Brixtral posait ses trois pieds sur autre chose que le sol d’une ville ou d’un spatioport. Là, il foulait la surface d’un caillou à des milliards de milliards de lums de chez lui. La gravité était tellement faible qu’il devait faire des mouvements extrêmement lents et mesurés pour ne pas s’envoler. Les semelles plombées ne garantiraient rien si au moins deux de ses extrémités ne restaient pas en contact avec la poussière déposée sur l'étendue de ce rocher. Cette démarche souple et trainante avait en outre le mérite de limiter la dispersion de particules fines qui aurait troublé sa vue.

Il regarda autour de lui, la disposition de ses trois yeux lui évitant d’avoir à tourner la tête : devant lui, deux Oosats avançaient doucement, par déformations successives. Ils n’avaient pas besoin de combinaison — leur métabolisme n’étant pas basé sur la respiration de l’oxygène — ils progressaient un peu comme des vrlux[1], sauf qu’ils n’étaient pas annelés et que leur état d’esprit se voyait à leur teinte extérieure. Là, sans doute enthousiasmés par leur présence sur ce gros rocher flottant dans le ciel de cette planète rouge, ils en étaient eux-mêmes tout roses.

Ils étaient accompagnés par deux Chtchinions, en tenues étanches, semblables à la sienne, mais de couleur grisâtre ; comme eux. Ils se mouvaient très rapidement, aidés par leurs centaines de pattes, sans déplacer le moindre grain de cette poussière si fine qui recouvrait tout. Enfin, Broxvrat, le scientifique Iixtrien, fermait la marche. Brixtral accéléra pour ne pas être semé par ses collègues.

La configuration en termes d’atmosphère et de gravité ne permettait ni aux Abloniens ni aux Fluuusios de sortir. Ils s'apprêtaient à explorer une structure en ruine, aidés par un véhicule qui leur permit d'effectuer ce trajet depuis le point d'atterrissage de leur navette.

Le paysage qui s’offrait à son regard était saisissant : la planète rouge semblait occuper une grande partie du ciel. Elle n’était en effet qu’à six centièmes de lums d’eux. Cela serait sans doute encore plus impressionnant sur சூன்04-செற்01 qui en était deux fois plus proche.

Les deux Chtchinions avaient réussi à déverrouiller l’issue donnant accès aux vestiges. Ils allaient enfin pouvoir trouver qui étaient ces Intels qui leur avaient envoyé cette espèce d’assiette. Peut-être allaient-ils même comprendre, dès cette première journée, quel était le but de ce « machin » découvert par hasard dans l’espace? Cependant, la porte refusait de s’ouvrir entièrement et ne s’était que légèrement entrebâillée.

— Bougez pas, on prend les choses en main, déclara Oostrail, faisant signe à son congénère.

Tous les deux glissèrent une excroissance de leur corps dans la fente libre et firent pression sur les deux battants. Ceux-ci commencèrent à coulisser lentement, avant de céder complètement sous la poussée de la matière amenée par les deux Oosats et de permettre le passage de tous.

— Super, bravo ! les remercia Chtchinionina, accompagnée par un hochement de la partie supérieure de la combinaison de Chtchinionami, son collègue.

Tous les six pénétrèrent dans le seul bâtiment qui tenait encore un peu debout. L’intérieur semblait tout en angles, ou en recoins. Certains murs portaient des traces de signes de couleur rouge ou noire, là aussi faisant des formes avec des pointes saillantes, peut-être d’anciennes inscriptions effacées avec le temps. Tout cela contrastait fortement avec l’ensemble des constructions de l’UIG. Le côté anguleux mis à part, on se serait cru dans les galeries des mondes chtchinion, enfin, pour ce que le jeune Iixtrien avait pu en apprendre lors de ses études.

— Ça manque d’arrondis, vous ne trouvez pas ? fit l’un des Chtchinions dans les coms.

— Oui, ça me met un peu mal à l’aise, répondit son collègue.

— Et puis ces couleurs, c’est d’un triste, releva un des Oosats.

— Oh non, pour nous ça va, affirmèrent les deux Chtchinions en chœur.

Brixtral se rappela que leur vision ne leur permettait que de distinguer des contrastes de gris. Cette ruine ne devait donc pas être trop dépaysante pour eux.

La voix de l’Ablonienne, chef de l’expédition scientifique, résonna dans les coms de tous :

— Eh ben, c’est lugubre ici, vous ne trouvez pas ?

— C’est ce que je pensais, répondit Oosvlax.

— Et puis tous ces angles… reprit-elle.

— C’est ce qu’on disait aussi, rétorqua Chtchinionami. Vous n’avez pas entendu nos échanges dans le véhicule ?

— Désolée, nous n’étions pas très concentrés, nous discutions tous les deux, avec Fluuusigrati. Nous n’avions pas noté que vous aviez réussi à pénétrer dans ces vestiges.

— Conversation passionnante, j’imagine, Asobalarava ? interrogea l’autre Oosat.

— Oui, tout à fait, fit le Fluuusio, nous évoquions le risque que cette espèce d’Intel se soit éteinte, toute seule, d’elle-même.

— C’est en effet une possibilité, acquiesça Broxvrat.

Les Iixtriens, Broxvrat comme Brixtral, étaient conscients du fait que leur propre espèce était également sur la voie d’un déclin inéluctable, consécutif à des difficultés croissantes de reproduction. La population iixtrienne baissait à coup sûr. Et par un effet boule de neige inexpliqué, plus elle baissait, plus il fallait une communauté nombreuse pour créer un nouvel individu. À l’heure actuelle, entre sept et huit Iixtriens étaient nécessaires pour qu’une création puisse avoir lieu et ce nombre augmentait régulièrement. Il s’agissait d’un cercle infernal dont personne ne voyait l’issue.




Ils continuèrent d’explorer le dédale de couloirs. Ils tombèrent sur quelques salles, vides, sur des portes donnant sur ce qui avait dû être des dômes, maintenant détruits. Il y avait au moins quatre hauteurs dans ce bâtiment. On passait d’un étage à l’autre par des petits niveaux intermédiaires qui étaient très désagréables pour la démarche des Iixtriens. Il n’y avait aucun système équivalent ailleurs sur toutes les planètes et les stations de l’UIG. Il fallait pouvoir déplacer les cuves des Abloniens et les marches en général étaient très difficilement praticables pour les trois pieds de Brixtral et ses congénères. Lors de chaque franchissement d’échelon, lui et son collègue devaient faire très attention de ne pas se déséquilibrer etchuter en roulant en bas de ces trucs.

N’ayant rien découvert de vraiment intéressant qui les aurait renseignés un tant soit peu sur cette espèce d’Intel, absente du lieu depuis visiblement très très longtemps, ils décidèrent de faire demi-tour pour regagner le véhicule. Ils étaient presque sortis quand, tout à coup :

— Regardez, là, les alerta Chtchinionina, ça ne ressemble pas à des impacts de lasers, ces traces sur les murs ? Il y aurait eu des combats ici ?

— Ah, mais ça serait donc cela, ces trainées grises sur les parois ? interrogea Asobalarava, à distance, en observant attentivement ce qui était retransmis par les caméras des combinaisons.

Oostrail, le second Oosat de l’expédition, spécialiste des matériaux, s’approcha de la cloison et confirma le diagnostic Chtchinion :

— En effet, on voit que la matière a été fondue sous l’effet d’une chaleur intense. Il s’agit sans doute d’un faisceau d’énergie ou de lumière cohérente. Bref, d’une arme.

— Ils sont assez avancés ces Intels, pour avoir des équipements de ce genre-là, remarqua Broxvrat.

— Ils l’étaient, si cela se trouve, mon cher confrère, répondit Oostrail avec raison. Qui dit qu’ils existent encore ? Nous savons que cette sonde a voyagé extrêmement longtemps. Ils ont eu largement le temps de s’éteindre…

Brixtral, restant à sa place, écoutait, mais ne disait rien. Il n’osait pas intervenir dans la conversation entre ces savants. Cependant, la question posée par l’Oosat était judicieuse. N’avaient-ils pas fait ce voyage pour rien ? Et s’ils arrivaient vraiment trop tard ? Il se sentait un peu à part de ces discussions et aurait rêvé d’y être encore plus associé…

— D’autant plus que manifestement, plus personne n’est venu ici depuis plusieurs milliers de TU, renchérit le Fluuusio resté dans le véhicule.

— Intels, Intels, ne nous emballons pas, pas de conclusion hâtive, tenta de les calmer Asobalarava. Certes, nous n’avons trouvé personne sur ce satellite. Les installations sont en piteux état et visiblement inutilisées depuis une éternité. Cela dit, nous n’en sommes encore qu’au premier lieu d’exploration, je vous le rappelle.

— Vous avez raison, chère consœur, convint Fluuusigrati. Enfin, pour le moment, tout ceci n’est pas très encourageant. De plus, les conditions de vie ici sont tellement difficiles, il fait froid et il n’y a pas de gravité, ni d’eau, ni d’atmosphère, et en plus, toute cette poussière... Qui pouvait bien vivre dans un endroit pareil ?

— Soit des Intels comme nous, rétorqua Oostrail, qui n’ont pas d’oxygène dans leur métabolisme, soit encore des porteurs de combinaisons à l'indentique des Chtchinions et des Iixtriens.

— Mais quel intérêt de venir ici ?

C’était aussi la question que se posait le jeune secrétaire Iixtrien. Pourquoi un caillou comme ça ? Comment pouvait-on vivre en permanence vêtu de ces tenues ? Comment communier avec les autres membres d’une communauté iixtrienne, en étant engoncé là-dedans ?

— Sans doute le fait qu’il n’y ait pas de gravité justement. Il est plus simple de construire des vaisseaux spatiaux sans, intervint Broxvrat, qui connaissait plusieurs Iixtriens concevant des astronefs interplanétaires.

— Et puis, convenez qu’il y a un superbe point de vue sur cette planète rouge et marron, fit noter Oosvlax. Elle occupe une si grande partie du ciel… C’est presque magique !

La vue était en effet extraordinaire sur ce sol désertique et bistre, marqué çà et là de taches plus sombres. On y voyait presque le relief, les gorges, les monts et les cratères de météorites.

— C’est vrai que le panorama est beau, admit Fluuusigrati, même si j’avoue que ça bouche un peu trop l’horizon à mon goût.

— Vous n’allez pas être déçu avec le prochain satellite, il est nettement plus proche de la surface de cette planète. Elle doit y occuper tout le ciel… le taquina l’Oosat.




Le retour à la navette, puis au vaisseau resté en orbite autour de la planète சூன்04, fut curieusement assez guilleret, alors qu’ils n’avaient au final aucune raison particulière de se réjouir. Ils n’avaient guère avancé dans leur connaissance de cette espèce d’Intels, si ce n’est qu’ils avaient des couloirs pleins d’angles dans leurs installations et des sortes d’étages intermédiaires pour passer d’un niveau à l’autre, extrêmement peu praticables pour les Iixtriens. Ils avaient maintenant des soupçons sur leur côté guerrier puisqu’il y avait eu des échanges de tirs d’armes énergétiques dans ces bâtiments.

Lors du débriefing qui s’ensuivit, ce fut d’ailleurs Fluuusigrati qui mit l’accent sur ce point-là :

— Intels, je vous rappelle la crainte dont je vous avais fait part quand il s’est agi de définir un ordre de priorité pour l’exploration de ce système. Je pense que nous avons bien fait de commencer par ce lieu qui paraît assez éloigné de l’espèce Intel considérée. En effet, celle-ci semble bien être de nature belliqueuse, au vu des traces de bataille que nous avons pu détecter, sur ce caillou.

— Je dois admettre que vous aviez raison, mon cher confrère, reconnut Chtchinionina. Si l’on avait suivi mes préconisations, nous nous serions peut-être jetés tous ensemble dans la gueule du Vrax[2]…

— Du Vrax ? s’enquit Oosvlax.

— Oui, c’est comme les Vrixbuls[3] chez nous, le renseigna Oostrail.

— Ahhh… Je vois, merci de cette précision.

Brixtral, grâce à sa formation de juriste intergalactique, avait une bonne connaissance des traditions de chacune des espèces composant l’UIG. Il aurait pu, lui aussi, renseigner l’Oosat. Chacune avait son « monstre terrifiant ». C’était le Tyrgar[4] chez les Fluuusios, la Moyltargue[5], pour les Abloniens les Cobtrax[6] parmi les Iixtriens.

Chacune de ces abominations s’attaquait au point faible de l’espèce considérée.

— Je vous propose d’être plus prudents la prochaine fois, quand nous visiterons சூன்04-செற்01, et que nous nous équipions d’armes, pour parer à toute éventualité, même si aucune vie n’a été détectée sur ce satellite non plus, suggéra Broxvrat.

— Cela me semblerait plus sage aussi, approuva Chtchinionami.

— Nous vous laisserons faire, acquiesça Asobalarava et avec mon compagnon d’infortune, Fluuusigrati, nous resterons à l’abri dans le véhicule de surface.

Ainsi fut validé ce principe de précaution, pour les futures descentes au sol, tant qu’ils n’en sauraient pas plus sur cette espèce qui pouvait bien s’avérer dangereuse…

Brixtral avait l’impression qu’il était en train de vivre l’Histoire de l’UIG avec un grand « H ». Explorer un autre monde, découvrir peut-être une race d’Intels inconnue… Il n’aurait jamais imaginé qu’un jour il en serait là, quand il faisait ses études de droit InterGalactique sur வீடு22집. Quelle chance extraordinaire il avait eue, avec ce tirage au sort parmi tous ses congénères. Il s’endormit comme une masse après cette journée riche en émotions tellement inhabituelles avec la sensation d’être un aventurier en terres vierges.




Cette fois-ci, il rêva d’une rencontre sous-marine avec des sortes d’Abloniens géants. Ceux-ci, mesurant plusieurs dizaines de flus et pesant des milliers de klars, se nourrissaient d’organismes microscopiques contenus dans l’eau. Ils avaient un regard très doux qui témoignait de leur intelligence, étaient pacifiques et produisaient un chant qui envoutait totalement notre jeune Iixtrien. On aurait dit du myxolidien Oosat, mais passé à l’envers. C’était vraiment étrange…



[1] Sortes de gros vers domestiques dont les Iixtriens sont particulièrement friands.

[2] Le Vrax est un monstre dans les légendes des Chtchinions, un prédateur légendaire de cette espèce.

[3] Le Vrigsbul, chez les Oosats est l’équivalent du Vrax. C’est une espèce d’aspirateur géant, qui fait disparaitre les Oosats dans les histoires populaires de l’espèce.

[4] Le Tyrgar est un monstre de légende fluuusio, une boule de feu qui ravage tout sur son passage.

[5] La Moyltargue, dans les légendes abloniennes est une petite bête capable d’absorber plusieurs millions de fois son volume d’eau et donc, quasi-immédiatement, vider une cuve ablonienne.

[6] Le Cobtrax, dans les légendes iixtrienne est un animal se déplaçant toujours en trio, chacun d’eaux dévorant un œil des individus qu’il croise.

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