IV- Des pensées menant au déni 2/2
Et la matinée un peu chamboulée suivit son cours jusqu’au déjeuner.
« Pourquoi as-tu si rapidement fait le lien entre ce qu'il m'est arrivé et une vieille légende peu répandue ? J'ai osé demander à ma mère au déjeuner. C'était une des questions que je me posais qui me faisait douter de ses paroles. Je n'ai pas la réponse, mais je refuse de croire qu'il n'y a pas mille autres possibilités, pourquoi crois-tu autant en celle-là ?
- Il y a des choses, Arn, mon fils, qui sont instinctives. Un synonyme de déraisonnable si l'on n'écoute pas son cœur battre si fort. Le mien croit en cette légende. Je le sais parce que j'ai espéré et craint avec la même force le jour où cela arriverait.
- Pourquoi ?
- Parce que cela voudra dire que je vais perdre mon enfant. Il va partir du village et abandonner sa ferme et sa famille. Sa mission est supérieure à nous. Sa mission est de sauver le monde.
- C'est une lueur bleue qui dit tout cela ?
- Non, ton cœur, mon chéri, ton cœur. »
Cette réponse m'a fait entrer dans une réflexion plus profonde que je ne l'avais anticipé. Jusqu'à entendre les paroles de ma mère, ce qu'il s'était passé avec la chèvre une grosse demi-heure avant n'était pour moi qu'une anecdote. Maintenant cela me revenait avec plus de profondeur. Ne l'avais-je pas voulu du plus profond de mon cœur le rétablissement de cet animal ? Mon cœur n'a-t-il pas été le guide de mon pouvoir ? c'est avec lui que j'ai visualisé ce que je voulais et ce qui s'est réalisé. Le temps de ces questions et ces éventualités de réponse, j'avais froncé les sourcils et mis ma tête en avant, au-dessus de mon assiette. A la vue de mon repas frugal de pain et de légumes, j'ai relevé la tête avec une nouvelle grande question à poser :
« Pourquoi n'êtes-vous pas surpris que cela m'arrive ? J'ai demandé en regardant tour à tour mon père et ma mère. La première réaction vint de mon père qui se leva.
- Je vais dehors, nettoyer l'épée. Il dit d'un air sévère en échangeant un regard avec ma mère. Celle-ci le regarda partir et revint sur moi.
- Excellente question.
- Vous savez quelque chose que j'ignore ! J'ai coupé ma mère d'un ton énervé. Enervé parce que j'étais maintenant sûr que quelque chose ne m'avait pas été dit.
- Oui. Laisse-moi te raconter. Ce n'est pas une légende ce coup-ci mais une véritable histoire, la tienne.
- Je t'écoute.
- Il m'est cependant difficile de trouver le début... mais commençons par ton père. Après ses années de service auprès du Roi. Ton père a fait partie de la garnison du château, il était un peu comme son garde personnel. La veille de sa cérémonie de départ en retraite, le Roi l'a convoqué dans sa chambre privée. Quelque chose qui n'arrive jamais. Fidèle jusqu'à sa dernière heure, ton père a obéi et s'est présenté à la chambre le soir. Il a été accueilli par le roi, une femme de son âge qu'il n'avait jamais vu et d'un tout petit enfant qu'elle tenait dans ses bras. Ma mère posa sur cette scène un petit silence.
Ce soir-là, le Roi confia à ton père sa dernière mission, protéger cette femme et son fils pour un temps indéterminé. Ton père accepta la mission sans chercher à la comprendre dans ses détails. Il fit confiance au Roi. Je vais maintenant te donner ces détails puisque cela te concerne. Et tu comprends pourquoi ton père est sorti.
- Je crois... oui.
- La femme qui a été confié à ton père c'est moi
- Et je suis l'enfant que tu portais !
- Voilà
- Incroyable ! J'ai sorti un peu sans le faire exprès puisque cette révélation pouvait expliquer beaucoup de chose dans la relation que j'ai observé entre ma mère et mon père.
- Je comprends ton étonnement. Mais écoute encore, parce que l'histoire ne commence pas ici. Passons à nous deux. Je n'ai pas de sang royal pour être ainsi protégé par le Roi mais je viens, nous venons, d'un endroit hautement respecté. Nous descendons tous les deux de la dernière famille qui a habité la ville d'Œ. Cette ville a été fondée par l'Élu. C'était le symbole de l'harmonie sur la Terre d'È et de l'Equilibre retrouvé. Les siècles ont eu raison d'elle mais elle a gardé dans le cœur des Hommes un symbole fort. Du moins pour ceux qui connaissent encore aujourd’hui son nom. Ainsi quand je t'ai mis au monde je savais que ton destin allait être incroyable.
- Comment cela ? Je veux dire, tu parles du respect d'un symbole, en quoi le respect et le symbole ont une importance véritable dans la vie ?
- Très bonnes réflexions. Auxquelles je ne peux répondre. Je l'ignore. Seuls les Gardiens doivent le savoir.
- Ah oui... les Gardiens. Celui avec qui tu m'as eu est l'un d'entre eux ?
- Je ne sais pas, je suis désolée.
- Tu ne sais pas ?
- Pardon... je ne peux te le dire sans briser un serment que j'ai passé
- Hm. Je fis en sortant de table sans prévenir. Je sors prendre l'air. »
Il était terriblement tôt dans ma vie pour subir toutes ces élucubrations. Devais-je y croire ? Pourquoi devais-je subir cela ? Quel était le futur qui m’était destiné ? La vie se compliquait-t-elle tant quand on devenait adulte ? Je me posais ainsi beaucoup de questions, plus ou moins en rapport avec ce que j'avais écouté de ma mère. Nous étions un jour après l'attaque des bandits, autrement dit cinq avant le retour du chevalier pour m'emporter ailleurs. Etais-je une monnaie d'échange que l'on pouvait confier au premier venu aussi bien dans mes premiers jours qu'à mes quinze ans ?
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