XXI- De la route à suivre 1/2

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 Pour égayer la soirée jusqu'au temps avancé où les esprits seraient fatigués et les corps guères mieux, chacun des convives de la tablée a raconté une ou deux histoires vécues de la guerre. Je restais seul sans dire beaucoup de chose, j'écoutais, j'écoutais et je voyageais à travers le temps et l'espace.

J'appris par exemple que les frères Finn et Nonn venaient du Royaume de Nonn qui était le voisin de notre Royaume à l'ouest, entre nous et le Royaume de Elec. Nonn a été choisi par le précédent Chevalier quand la vieillesse le poussa à le faire. Le lendemain de la nomination de Nonn comme Apprenti, le Chevalier péri dans la première bataille contre Elec. Après celles-ci d'autres batailles se firent, le Royaume de Nonn disparut rapidement, le nouveau Chevalier ne put rien faire. Il n'avait la carrure et ne pouvait prétendre à la légitimité pour rassembler les derniers soldats. Le Roi se fit pendre et le Chevalier prit la fuite avec son frère. Ils arrivèrent au Royaume de Rollon, ils furent accueillis avec réserve par le Roi et avec grandes amitiés par le Chevalier Rollon d'alors, le maître du Chevalier présent. Le Chevalier Rollon prit sous son aile les trois jeunes hommes en même temps, Finn, le Chevalier Nonn et le futur Chevalier Rollon. Ils firent tout leur entrainement ensemble. Cependant Finn prit ses distances avec eux, non par jalousie ou toute autre mauvaise pensée, par respect et sympathie pour ses deux compères.

Je ne comprenais pas, arrivé ici, comment mon père et Finn se connaissaient aussi bien, Finn n'avait l'âge d'être un ancien camarade des Gardes Royaux. Mon père est parti à la retraite depuis des années, Finn ne semblait pas être de son âge. Finn raconta que c'est leur père, à Nonn et lui, qui connaissait très bien le mien. Les amitiés entre les deux Royaumes étaient complètes et souvent les deux Rois se rencontraient. Ils laissaient de côté la cérémonie et les Gardes Royaux pouvaient s'abandonner à la discussion entre eux. A plusieurs reprises les deux hommes, mon père et le père de mes deux camarades, avaient échangés de bonnes amitiés. Aussi, lorsque mon père, à la retraite, allait à la ville de Elk pour avoir des nouvelles du monde, c'est Finn qu'il retrouvait à la taverne. Tous les éléments s'imbriquaient enfin en mon esprit. Je comprenais aussi la réserve du Roi face aux deux frères. Les deux frères lui avaient annoncé la mort injuste d'un ami, sans êtres les coupables de cela, l'existence de ces deux jeunes hommes disait et rappelait au Roi une vie perdue.


 Le commandant, pardon, Harlan, raconta aussi une partie de sa vie. Harlan est né dans une famille bourgeoise de Elk. Très vite il entra en conflit avec son père, Harlan n'aimait pas la vie de bourgeois et marchand, il voulait devenir soldat et faire la guerre. Le physique que la Terre lui donna le poussait plus, en effet, à cette vie. Son père n'acceptait pas ses idéaux et souvent il enfermait son fils dans sa chambre. Une nuit, dans sa seizième année et lorsqu'il avait passé une énième journée entière dans sa chambre, Harlan cassa les volets de sa fenêtre et s'enfuit dans les rues. Il se présenta au poste de garde où un soldat était en veille. Contrairement à ce qu'on imaginait déjà, le soldat ne refusa pas l'idée. Il lui dit juste d'attendre demain matin pour se présenter au commandant. En attendant, il pouvait rester avec lui. Harlan n'a pas hésité une seconde et il a tenu compagnie à ce soldat tout le restant de la nuit. Même quand le garde qui venait pour le relever vers les quatre heures du jour est arrivé, ils sont restés ainsi, à trois.

"Croyez-moi ou non", dit Harlan pour nous garder dans son histoire. Le soldat lui a parlé de toutes les ficelles des soldats de garde aux portes de la ville, de ceux qui font les rondes dans les rues, de ceux sur les routes à l'extérieur. Il ne paraissait pas vieux ce soldat, pourtant il avait compris l'être humain dans toute la profondeur de son esprit. Il repérait les petits jeux de dissimulation de marchandises par les marchands qui entrent en ville. Il savait avant que le geste soit fait qu'un tel allait voler la bourse trainante du bourgeois sur le marché. Tout se repère par addition de petits gestes, des yeux, de la bouche, des mains, des pieds, de l'allure, toutes ces choses et encore d'autres. En bref, avant même de vivre ces situations, Harlan avait écouté tout l'envers du décor. Et vraiment, dit-il, il ne découvrit par lui-même sur le tas que très peu de choses après cela.

Harlan a essayé plusieurs fois de retrouver ce soldat, même bien après. Devenu commandant de la garnison de la ville, il a une fois rassemblé toutes ces troupes pour les voir. Il n'a jamais retrouvé ce soldat. Il ne se souvient plus du tout du garde qui est arrivé après lui, donc il ne pouvait lui demander. Et en posant la question à ses officiers, personne ne savait de qui il parlait. Pour finir cette histoire, Harlan ajouta que c'est aussi indirectement cet homme qui l'a poussé à se bâtir un corps aussi fort. Il se rendait compte de la faiblesse mentale des hommes, de sa faiblesse lui-même. Alors il s'est bâti un corps physiquement imperturbable, à la concurrence de n'importe qui sur cette Terre. Il faisait couler cette idée sur ses hommes, il était très exigeant sur leur forme physique. Il ne s'est pas fait beaucoup d'ami dans la garnison, mais ses hommes lui étaient fidèles.


 Ainsi filait la nuit jusqu'à ce que mon père sonnât son glas.

"Nos chambres nous attendent. Finn et Nonn, une. Harlan et Rollon une. Arn et moi la troisième. Hop-là."

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