083 Le Violoncelle
Depuis plusieurs années, Christina étudiait la musique. Lorsque elle en avait exprimé le vœu, ses parents n'avaient pas été très réceptifs, pensant à un caprice d'enfant. Pour eux, tout ce qui touchait à l'art était secondaire, alors que leur fille veuille apprendre la musique !
Comme souvent, Christina s'était alors tournée vers son parrain. Celui-ci avait été d'autant plus sensible à son aspiration, qu'il regrettait de ne pas savoir lui-même jouer d'un instrument. Il l'avait donc inscrite dans une école de très bonne réputation, où elle allait prendre des cours deux soirs par semaine. Christa, mise devant le fait accompli, pesta bien un peu, mais Hugues sut trouver les mots pour la convaincre : on ne résiste pas à Hugues lorsqu'il veut défendre une cause.
C'est donc lui qui avait eu le « bénéfice » d'écouter les premiers pas de sa filleule dans le monde magique des sons, et qui avait pu observer ses rapides progrès. Elle était une gamine passionnée : ce qu'elle aimait, elle le faisait à fond. Par contre, ce qu'elle n'aimait pas... Ses résultats scolaires en math faisaient le désespoir de sa mère.
Elle avait accaparé Hugues dès son arrivée au domicile familial, pour lui expliquer ses préoccupations du jour. Il l'écoutait, comme à son habitude, avec la plus grande attention.
— Tu comprends, les instruments modernes c’est bien beau, les possibilités sont fantastiques, mais il leur manque l’émotion. Ils ne sont faits que pour le brio, le clinquant. Ce que je voudrais trouver, c’est un instrument qui parle à mon corps autant qu’à mon esprit, un instrument que je pourrais entendre avec le ventre autant qu’avec les oreilles.
— Quelle passion ! Un tel instrument doit forcément exister. Mais es-tu sûre de ne pas te tromper ? Si un instrument moderne, comme tu le dis, ne répond pas à tes aspirations, n'est-ce pas parce que tu ne le maîtrise pas encore suffisamment ?
— Il faut beaucoup de temps pour devenir une bonne musicienne, aussi je ne veux pas me tromper et m'investir des années, pour finir par ne pas être satisfaite de mon choix. Et je sens confusément que ce n'est pas grâce à l'électronique que j'arriverai à exprimer les mille et une nuances de la musique que j'aime.
Hugues était toujours surpris par la maturité de cette très jeune fille. Son discours sur les instruments était inhabituel dans la bouche d'une enfant de onze ans. Vaste débat en vérité que cette opposition entre instruments anciens authentiques et instruments modernes. Il faisait la joie des musicologues les plus avertis. Mais à son age ! Ce n'était pas une raison pour la laisser tomber, elle attendait beaucoup de lui, il le savait, et c'était bien pour cela qu'il était si attentif à ses envies et à ses besoins. Il réfléchit un moment avant de trouver la solution :
— Voilà ce que je te propose : lors du prochain repos, je viendrai te chercher, et nous irons tous les deux visiter le musée des instruments anciens d'Ursianne. Tu verras, il est très intéressant. Chaque instrument est présenté, soit authentique, soit en copie récente. A coté, un hologramme permet de le voir et de l’entendre, pratiqué par un musicien virtuose. Si ton instrument existe, nous le trouverons là-bas.
— Oh, parrain, tu es formidable.
La gamine se jeta fougueusement au cou de Hugues. Elle ajouta :
— Toi au moins tu me comprends.
Hugues eut un petit pincement au cœur en entendant cette réflexion lâchée par l’enfant.
— Tu sais, c’est aussi mon rôle de parrain de te faire connaître des choses qui ne sont pas familières à tes parents. C’est ce que m’a demandé ta mère à ta naissance. Par contre, ne me parle pas de math ou de sport…
— Je n’aime pas les maths.
Hugues soupira.
— C’est un tord ma puce. On en a tous besoin dans la vie. Même la musique utilise les maths : tu as certainement déjà étudié la musique vectorielle et la composition algébrique…
— Quelle horreur ! Ce n’est pas de la musique ! C’est du bruit, ça fait mal aux oreilles. C’est horrible quoi ! Tu as déjà entendu « le chant d’un tétraèdre en rotation inverse » de Paul Lemitzh ? Notre prof de composition crie au chef- d’œuvre, mais qui peut bien trouver du plaisir à écouter ça ?
— Je trouve que tu as des avis biens tranchés pour une musicienne si jeune !
— Je sais ce que j’aime.
Elle resta songeuse un instant.
— Dis, parrain, tu crois que je vais trouver l’instrument que je cherche dans ton musée ?
— C’est le meilleur endroit pour le chercher n’est-ce pas ?
— Oui... Je suis impatiente d’y aller !
— Tu n’as jamais su attendre, tu veux tout, tout de suite.
— Ben c’est normal !
Hugues rit de la naïveté de la fillette, un peu ému d'avoir fait naître chez elle un tel espoir.
La visite durait depuis plus de deux heures. Christina était passionnée par tous les instruments anciens qu’elle découvrait. Hugues lui avait loué un guide audio, qui lui permettait d’entendre des extraits musicaux où chaque instrument était mis en valeur. Elle consultait aussi les bases de données complémentaires, qui lui en apprenaient un peu plus sur le sujet.
Bien qu’il trouva ce musée très intéressant, Hugues commençait à craindre que la visite s’éternise un peu trop. Mais sa filleule semblait si heureuse qu’il prenait son mal en patience. Il commençait même à penser qu'il faudrait la ramener ici plus tard.
Ils arrivèrent devant un gros instrument à corde, ventru, reposant sur une longue pointe. Dans l’hologramme, le musicien était obligé d’écarter les jambes, dans une position un peu disgracieuse, pour tenir l’instrument. Le son était grave, agréable. Le visage de Christina s’éclaira immédiatement. Elle tendit la main et s’écria :
— C’est lui, l’instrument dont je te parlais. Écoute ! C’est fantastique.
Hugues fut obligé d’admettre qu'il correspondait exactement à la description que lui avait faite la jeune fille, quelques jours plutôt. La musique était simple, une ligne mélodique souple ponctuée de notes basses mais une grande sérénité en émanait. Il s’appuya contre le mur et ferma les yeux, pour se laisser pénétrer par l’émotion. Quand il les rouvrit, il vit que Christina le regardait, les yeux brillants.
— Tu as entendu ? C’est merveilleux n’est-ce pas ?
Il lui sourit et hocha la tête.
— Et il s’appelle comment ton instrument ?
— Heu…un violoncelle. L’œuvre, c’est une suite de Jean-Sébastien Bach.
— C’est bizarre, j’ai l’impression de l’avoir déjà entendu.
— Moi aussi. Je savais que cet instrument existait, pourtant je ne l’avais jamais écouté jusqu’à maintenant. A l'école nous ne travaillons que sur des instruments modernes.
Christina resta un moment les yeux dans le vague, réécoutant l’extrait musical. Puis elle fronça les sourcils, préoccupée par un nouveau problème.
— Tu crois que je pourrais un jour jouer du violoncelle ?
— Ma puce, les instruments anciens sont rares et donc très chers, mais il en existe des copies faites récemment qui sont plus abordables. Viens, on va demander au conservateur du musée.
Celui-ci fut surpris par la question, car si beaucoup d’amateurs de musique venaient en visite au musée, rares étaient ceux qui avaient véritablement envie de jouer d'un instrument ancien.
— Vous savez, Mademoiselle, que ces instruments sont très difficile à jouer ? Ils demandent des années de pratique, avant que l’on puisse en tirer quelque chose d’intéressant.
— Oui, mais les nuances que l’on peut obtenir sont beaucoup plus riches que pour un instrument électronique moderne.
— Ce n’est pas comparable, c’est une autre musique.
Hugues intervint.
— En pratique, où peut-on trouver un instrument comme le violoncelle ?
— Il existe quelques luthiers, le plus proche d’Ursianne se trouve sur la planète Syliana. Vous voyez ce n’est pas simple.
Hugues et Christina repartirent du musée. La jeune fille était transfigurée par la rencontre avec « son » instrument. Sa rareté n’était pas un problème : maintenant qu’elle était sûre qu’il existait, elle savait qu’un jour ou l’autre elle pourrait le serrer contre son corps, pour le faire chanter. En attendant, son parrain lui avait acheté un cube mémoire, contenant un certain nombre d'enregistrements d'œuvres pour violoncelle à travers les siècles. Elle savait qu'elle n'écouterai plus que cela jusqu'à ce qu'enfin son rêve se réalise.
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