Mehdi

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Moment 4

Impressionné par le bleu azur des flots, Medhi ne pouvait se lasser de regarder les navires au loin, là où le ciel se fond dans un ensemble harmonieux avec la Méditerranée, beauté éternelle. Assis sur une caisse en bois constellée d’idéogrammes qu’il ne comprenait pas, Medhi se retourna pour s’assurer si la ville existait bien, le port, les bateaux, l’odeur du large, le vent. Il ne parvenait toujours pas à réaliser son périple. Le Massaya café, l’adieu à sa grand-mère, le voyage en camion jusqu’à Sarmadä, puis le parcours en Turquie pour arriver au port de Cesme où il croupissait depuis huit jours. Celle qui l’hébergeait provisoirement avait exigé d’être payée au jour le jour, ce que Mehdi respectait scrupuleusement. De ce fait, il voyait fondre rapidement le pécule en dollars que lui avait fourni un complice de Saddam Al Halem. Un bateau devait venir, Medhi en connaissait le nom, ce qu’il avait à dire au capitaine, le prix pour la traversée. Trois jours passèrent. Il recompta ses billets verts. La somme pour le voyage vers la Grèce y était, mais encore une semaine et il ne lui resterait plus rien pour s’acquitter de sa dette auprès de celle qui lui prêtait son toit. Il lui faudrait trouver une autre solution, le cas échéant.

Le moral en berne, Medhi s’interrogeait sur sa présence ici, ne sachant seulement que quelqu’un l’attendait sur ce continent européen en face de lui, visible parfois par grand beau temps. Tout en s’approchant des murailles de l’imposante forteresse génoise, le faux touriste qu’il était par force caressa les parois millénaires d’une construction faite pour se protéger des pirates, temps lointains d’une civilisation maintenant disparue. Par le sentier muletier du château, il monta doucement la colline, parvint au pied d’une tour ronde qui, contrairement aux murs principaux, ne possédait pas de créneaux. Il continua son chemin ardu jusqu’au point le plus haut et se tourna vers la mer. La blancheur du port et ses bateaux de plaisance alignés les uns contre les autres formaient un contraste saisissant avec le bleu profond de la Méditerranée. Au loin, des petits navires de pêche rentraient vers le môle d’escale décharger leurs plus ou moins bonnes fortunes venues du large. En file indienne, deux crevettiers entrèrent, suivis d’un ligneur encore armé de ses palangres et ses cannes. Un boutre reconnaissable à sa poupe carrée et sa voile arabe fermait la marche, d’autres allaient revenir, petits points dans l’horizon. Une fois entrés, les arrivants cédèrent la passe du port à un senneur de tonnage respectable qui partait vers le large pêcher la dorade de nuit, au lamparo. De son point de mire, Medhi s’intéressa plus particulièrement au ligneur. Sa taille, l’état quelque peu vétuste du navire lui donnait à penser que c’était peut-être lui qui le ferait sortir de cette ville turque pour un meilleur destin, en Europe. Trop loin pour en lire le nom, il descendit vite de son promontoire, laissa le vieux quartier, considéra un moment la magnificence d’une église orthodoxe désaffectée, puis se rendit sur la rade où l’agitation avait baissé. Des touristes, majoritairement turcs, rentraient chez eux ou dans leurs villégiatures estivales. Doucement, Medhi s’approcha du môle, le patronyme du bateau était caché par un véhicule frigorifique, des marins se passaient des caisses en bois blanc qui atterrissaient dans le fourgon gris. Soudainement, un bruit de portière qui claque, l’utilitaire démarra en trombe et disparut dans un nuage de fumée noire. Le nom du rafiot lui apparut distinctement : Aménophis IV. Il exulta de joie, c’était lui que Saddam Al Halem avait cité. Il ne lui restait plus qu’à trouver le capitaine Hyacime Bouyados, un homme bourru et relativement porté sur la bouteille, avait précisé le rebelle avant de repartir sur le front. Le jeune passa devant ce qu’il considérait maintenant plus comme une épave qu’un navire de pêche digne de ce nom. Les vitres de la grande cabine avaient pratiquement disparu, remplacées çà et là par du plastique terni par le soleil, la lune et les intempéries. Un tuyau noir dressé au ciel sortait d’une fenêtre bouchée par une plaque de tôle grise. Un deuxième habitacle, plus modeste que le principal, avait été rajouté par-dessus avec un drapeau turc flottant allégrement au gré d’un vent léger. Mehdi s’éloigna doucement, un doute lui instillait insidieusement qu’accomplir le voyage vers la Grèce avec ce rafiot pourri semblait une affaire risquée. Une image lui revint dans la tête. Quelques heures auparavant, il avait eu la surprise de voir sa logeuse en tenue de nuit au petit déjeuner. Celle-ci, entre deux bouchées de pain Marqouq, évoqua dans un sourire enjôleur que s’il éprouvait des difficultés pour solder son loyer, elle accepterait une autre sorte de paiement. Il en frissonna de dégout, puis eut honte de sa réaction. Cette femme, vraisemblablement belle dans sa jeunesse et âgée maintenant, pouvait encore avoir des désirs, à fortiori des envies. Medhi décida d’un coup qu’il ne servirait pas de bouillotte aux froids appâts de Sofiane, il revint en arrière et monta sur le pont de l’Aménophis IV.

****

Le jour se levait doucement sur une mer d’huile d’où l’astre solaire s’extrayait, gloire déifiée autrefois vénérée par le pharaon éponyme du bateau. Mehdi, les yeux embrumés, prit son sac de toile écru, serra la main d’un capitaine finalement charmant et instruit et descendit sur le quai. Il se trouvait à Karistos et devait rapidement quitter la ville pour éviter les patrouilles de garde-côtes, son point de chute s’appelait Idomeni, à cent kilomètres, plus au nord.

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