Chapitre 1
Le ciel s'illumine doucement alors que l'ouest se colore de rose soyeux. Perché sur le toit de sa maison, Maedh observe l'astre solaire se lever, ses bras noués autour de ses genoux. Autrefois, son père lui avait révélé qu l'aube et le crépuscule étaient des moments spéciaux. Qu'en cet instant, le ciel du monde mortel avait la même semblance que leur propre voûte céleste à la maison.
Maison, songe Maedh, Qu'est ce qu'une maison ? Pour son père, c'est l'endroit d’où ils viennent et où ils ne peuvent retourner. Pour Maedh, ce n'est nulle part, ni sur cette terre ni aucune autre ailleurs. Et surtout pas là d’où ils ont été chassés, lieu qu'elle ne connait qu'à travers les histoires de son père.
Le firmament sombre vire de plus en plus au bleu tandis que le soleil s'élève plus haut. Les humains ont un point de vue... mitigé sur leur étoile, leur source de chaleur et de lumière qui leur apporte aussi sécheresse et cancer. Mais il est plus pour moi, mon origine, mon héritage, mon dévoué serviteur... Son père lui a enseigné, quand il venait admirer le lever du soleil avec elle, que leur famille a dominion sur chaque étoile de l'univers. Il la tenait contre lui et lui racontait des histoires sur leur peuple, sur sa grand mère. Elle a aimé ces moments, petites bulles d'insouciances. Mais le ciel crépusculaire rappelait trop de choses à son père, tout ce à quoi il avait dû renoncer pour elle. Il ne se lève plus pour admirer le matin avec elle et ne sort que lorsque le soleil est à son zénith... quand il veut bien aller dehors.
D'un mouvement de la tête, Maedh regarde autour d'elle, la ville se révèle sous la lumière, vaste mer de toits, d'antennes et de cheminées. Je ferais mieux d'aller me préparer, pense la jeune fille, l'école commence bientôt. Prudemment, elle glisse le long du toit, jusqu'à sa fenêtre, qu'elle ouvre avec précaution. Elle ne craint pas vraiment la chute mais il vaut mieux ne pas attirer l'attention.
La fenêtre donne sur sa chambre, vaste pièce aux murs bruns et où des myriades de constellations, certaines inconnues sur terre, luisent avec douceur dans le plafond sombre. Le sol est recouvert d'un bois clair sur lequel traine des vêtements mélangés à des livres, des posters et des objets à l'origine beaucoup plus obscurs.
Sitôt à l'intérieur, elle se met à la recherche de son cartable. Je l'ai mis où? Où je l'ai mis, où je l'ai mis... Sa recherche devint plus frénétique alors qu'elle parcourt chaque recoin, derrière chaque meuble, ses aquariums où nagent d'étranges poissons et crustacés, ses plantes et sa bibliothèque. Aha, Trouvé ! Elle se saisit du sac rouge qu'elle remplit aussitôt de ses manuels et cahiers. Pff, du papier, pense t'elle un peu dédaigneuse. Tellement fragile et périssable, les humains devraient vraiment investir dans quelque chose de plus durable. Cela leur éviterait de perdre la majeure partie de leur histoire.
Ses affaires en place, elle sort dans le couloir, un long tunnel dont les murs cristallins sont ornés de fresques de créatures fantastiques et recouverts de plantes fleuries. Elle s'approche d'un relief qui représente un troll dont la silhouette imposante cache une montagne. D'un geste vif, elle arrache une feuille de l'une des plantes avoisinantes et la tient fermement dans ses mains jointes sous le visage du troll.
Bien, maintenant doucement, pas de précipitation, tu y vas doucement, contrôle... Entre ses doigts, la feuille se met lentement à se racornir et à brunir. Une légère fumée s'élève jusqu'au nez du troll peint qui se met à renifler et à tousser. D'un râle, il s'écarte de la montagne et dévoile une sorte de pont qui s'engouffre dans la roche à travers un trou béant. Sans hésiter, Maedh saute à l'intérieur d'un bond.
– Whoohoo, crie t'elle alors que le pont devient toboggan, éclairé par de nombreux dessins de constellations.
Elle glisse tout du long à toute vitesse, criant et riant sans se soucier d'être entendue, des flashs à la place des étoiles. Brusquement, un mur sombre surgit droit sur le chemin et Maedh fonce droit dessus sans possibilité de dévier ou freiner sa course. Au moment de l'impact, le mur s'ouvre comme un rideau et elle atterrit sur un grand et opulent coussin. La pièce de la maison dans laquelle elle a terminé sa course folle est richement décorée avec des ornements dorés, des gemmes, des cristaux de toutes les couleurs et des arbres aux feuilles d'ambres. Au centre se trouve une grande table sur laquelle reposent des fruits opalescents.
Maedh saisit l'un des fruits et commence aussitôt à l'aspirer. L'étrange agrume commence à se dissoudre tandis que sa matière devient une poussière scintillante qui s'engouffre dans la bouche de la jeune fille. Une fois le fruit consommé, Maedh balance son cartable sur son dos et se dirige vers la sortie de la maison, un couloir plus loin. J'ai tellement, tellement hâte, chantonne-t-elle gaiement dans sa tête, aujourd'hui est le jour, je vais le faire aujourd'hui!
Son euphorie ne retombe pas alors qu'elle se dirige vers son lycée. Elle sautille presque tout le long du chemin. Je vais le faire, se répète t'elle, je vais le faire. Je vais révéler qui je suis à Jennifer. Plus de secrets, plus de faux-fuyants, je vais enfin avoir une vraie, honnête amitié. Maedh a longtemps été seule, enfin, il y a son père bien sûr mais elle n'a jamais vraiment eu d'amis. Son père les fais bouger en permanence, monde après monde, galaxie après galaxie, c'est donc difficile de garder contact. Mais le fait de dissimuler qu'elle est une princesse fée, une créature surnaturelle, complique aussi les choses.
Cela fait si longtemps que j'attends ça, une chance d'être moi sans rien cacher. D'un geste, elle sort son agenda de son sac, alors quelle classe, quel cours ?... Français, B3, ok. Elle continue d'un pas léger, ignorant les sourcils froncés et les regards retournés que son comportement provoque. Les opinions des autres ne l'atteignent pas, d'ici à peine un siècle, ils seront aussi vides que les carcasses de leurs propriétaires. Aujourd'hui, rien n'importe plus que l'opération "amitié en toute honnêteté".
Sélectionner le bon candidat n'a pas été une mince affaire. Il fallait de préférence quelqu'un d'ouvert à l'idée que la magie existe, de passionné même. Juste pour minimiser les risques de provoquer une crise cardiaque. Brûler des trucs, c'est facile, c'est dans sa nature, mais ranimer un cœur défaillant est une toute autre paire de manches. Et si quelque chose tourne mal, elle sait qu'elle ne pourra pas compter sur son père.
C'est pour cela qu'elle a jeté son dévolu sur Jennifer, petite rousse au visage blanc parsemé de taches de rousseur comme une sombre constellation, grande passionnée de donjon et dragon et de fantastique. C'est une passionnée de magie, donc il y a de meilleures chances pour qu'elle réagisse positivement... Enfin j'espère.
Arrivée au lycée, cet étrange bloc de béton, elle se dirige rapidement vers la salle B3, prenant le chemin le plus rapide pour rejoindre les bâtiments annexes. La plupart des autres élèves sont déjà devant la classe dont Jennifer, pas encore installés. Maedh sourit et attend que la jeune fille choisisse sa place, au centre de la classe pour se poser derrière elle et installer ses affaires.
Alors que la professeure commence son cours, Maedh doit faire rapidement face à l'un de ses pires travers, l'une de ces choses qui peuvent vous faire détester toute une institution par sa seule existence : écrire. Ça ne fait pas si longtemps qu'elle et son père sont revenus sur Terre. Quand elle avait insisté pour intégrer le programme scolaire humain, elle s'était vite confrontée à un problème. Le langage avait drastiquement changé et elle avait dû tout réapprendre.
La magie l'avait aidée à combler les lacunes qui la séparaient des autres adolescents sans avoir à passer en CP. Mais l'écriture reste un challenge car même la magie ne peut pas tout faire à sa place. Ah, si seulement j'avais un peu plus d'affinité avec la magie d'Esprit.... ou si seulement la Cour de la Mort existait encore. Je pourrais facilement intégrer le langage français et écrire avec style au lieu de galérer... Regarde moi ça, on dirait que j'ai appris à écrire avec les Koorigans !
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