chapitre 2, 1ére partie
Oh non mais là, c'est... Pense Jennifer, c'est fou, c'est complétement fou... Des frissons remontent le long de ses jambes jusqu'à la tête. L'escalier et la porte derrière la créature qui était Maedh quelques instants plus tôt commencent à osciller bizarrement. Oh là, oh non, qu'est qu'il m'arrive ? J'ai... j'ai besoin de m'asseoir, ouch... fait la jeune humaine alors que son dos heurte le mur. Elle se laisse glisser jusqu'au sol, reconnaissante pour cette stabilité tandis qu'elle presse vigoureusement ses mains sur ses yeux. Après deux ou trois minutes, elle rouvre enfin les yeux.
Maedh se tient toujours devant elle, avec ses cheveux d'or et sa peau aux reflets cristallins, radieuse. Littéralement. Jennifer presse à nouveau ses mains sur ses yeux et les frotte énergiquement avant de risquer un nouveau coup d’œil.
– Tu es toujours là ? Tu existes ? Je suis pas en train de devenir dingue, hein ?
– Non mais je peux te frapper si ça peut te prouver que je suis réelle, répond, obligeamment Maedh.
– Euh non, merci mais ça ira. dit Jennifer dans un murmure.
Les mains de la jeune fille tombent le long de son corps tandis qu'elle fixe l'être surnaturel devant elle.
– Tu est une fée. Une princesse fée ?
– C'est comme ça que ton peuple nous appelle en tout cas. Vous nous avez donné plein de noms: fées, Yōkai, esprits, dieux...
– Dieux ?...
– Eh oui, vous... ou du moins certains humains nous vouaient un culte autrefois. Non pas que la plupart des miens s'en préoccupaient réellement mais c'est un réflexe naturel pour les faibles de rechercher la bienveillance des puissants.
– Eh... proteste Jennifer d'une voix plus forte.
– Pardon, c'est sorti plus méchant que ce que je voulais. Je veux dire, la vie des humains, avant vos grandes villes et votre technologie, c'était très dur et beaucoup espéraient que vénérer les miens la rendrait plus facile. Ils avaient tort bien sûr mais comme vous autres mortels dites, l'espoir fait vivre.
– Il y en a beaucoup d'autres des fées ? D’où est ce que vous venez ? Est-ce que vous vous cachez parmi nous comme dans Harry Potter ? Est-ce qu'on vivait côte à côte autrefois ?...
– Wow, doucement, feu follet. S'exclame la jeune fée, mains levées en signe d'apaisement. Voyons voir. Oui, nous sommes très nombreux. De Faerie ou Tir na nog ou Annwyn... Peu importe! Non, on ne se cache pas des humains. Ne le prends pas mal mais vous n'êtes pas vraiment une menace pour nous. Enfin, non pas vraiment. Nous ne sommes pas originaires de cet univers, tu vois ? Nous venons d'une autre dimension avec ses propres règles, nous venons rarement dans celui-ci. La plupart des fées ne l'aiment pas, trop éphémère, trop différent.
– Mais dans ce cas, pourquoi es-tu ici toi ? Et ton père ? C'est aussi une fée ? Comment on appelle une fée mâle ?
– Oui mon père est comme moi. Appelle le comme tu veux, nous ne sommes pas aussi obsédés par le genre que les mortels. C'est un terme relatif pour nous. Quant à pourquoi je suis ici, c'est une longue histoire mais la version courte, c'est parce que je suis une bâtarde.
– Une bâtarde ? Demande Jennifer abasourdie. Wow, je ne m'attendais pas vraiment à ça.
– Oui, tu sais, une enfant illégitime. Mes parents, tu vois, ne sont pas de la même Cour, pas de la même magie. Mais c'est une longue histoire et ici, ce n'est pas le bon endroit ni le bon moment pour la raconter.
– Mais pourquoi... Pourquoi tu te montres à moi ? Pourquoi tu me dis tout ça ? Tu as dit que tu veux être mon amie mais... Pourquoi moi ? Tu ne violes pas des règles de confidentialité ?
– Parce que je suis seule. dit Maedh, sombrement. Un air sauvage et triste, incommensurablement triste, traverse un instant ses yeux d'or. Un gouffre de mélancolie, creusé au long des siècles de solitude, si ancien qu'il ébranle Jennifer jusqu'au centre de son être. Vraiment seule. J'ai passé toute ma vie, qui fut fort longue soit dit en passant, parmi les mortels, à cacher qui je suis, à rester dans l'anonymat pour ne pas attirer l'attention. Je me suis fait beaucoup d'amis mais je n'ai jamais pu être moi avec eux, toujours à prétendre être quelqu'un d'autre. Aujourd'hui, j'en ai assez. Je veux une vraie amitié, sans faux-semblants. Et je suis venue vers toi parce que tu aimes la magie. La plupart des gens n'y croient pas, ils sont trop confortables dans leur monde scientifique. J'ai eu peur de leur faire du mal en leur révélant ma vraie nature, tu sais, comme dans ces films où les gens ont le cœur qui s'arrête de marcher après un gros choc ? J'ai peur d'être un trop gros choc. Je me suis dit qu'une humaine qui aime la magie aura peut-être une meilleure réaction. En plus, ça nous fait un point commun. Tu veux en savoir plus sur la magie ? Je suis la personne qu'il te faut, j'en suis littéralement faite. Et non, je ne viole aucune règle. Il n'y a pas de règles qui interdisent à une fée de se montrer telle qu'elle est à des mortels.
Les yeux de Jennifer papillonnent un instant alors qu'elle enregistre tout ce que la mythique princesse d'un autre monde lui raconte.
–... D'accord mais pourquoi...
À cet instant, la douce mélodie de l'alarme se fait entendre, annonçant la fin de la récréation et le retour aux cours.
– Ah, fin de la pause. Je sais que tu dois avoir plein de questions et je serais ravie d'y répondre mais là, il n'y a pas le temps. Je te propose qu'on mette tout ça en pause et que je t'invite chez moi ce week-end. On aura tout le temps qu'il faut pour bavarder.
– Mais c'est dans deux jours! geint Jennifer, en plein désarroi. J'ai besoin de réponses, genre maintenant!
– Justement, ça te laissera le temps de préparer toutes tes questions, dit Maedh avec un sourire mutin avant de prendre une expression plus sérieuse. En revanche, tu dois garder tout ça pour toi, il ne faut pas que tu en parles autour de toi. Ça doit rester notre secret à nous.
– Pourquoi ? Tu disais que rien ne t'interdit de te révéler aux mortels.
– En effet mais mon père ne serait pas content. Il aime sa tranquillité, tu vois, il détesterait qu'on soit le centre de l'attention et que des gens viennent toquer à sa porte pour lui poser des questions. Ça l'ennuierait terriblement et quand quelque chose l'ennuie, il nous fait quitter la planète et je n'ai pas envie de partir maintenant. Donc, s'il te plait, gardons ça entre nous.
– D'accord, d'accord, S'exclame Jennifer, brandissant ses mains en signe d’apaisement. Je promets de ne rien dire à qui que ce soit... mais tu as intérêt à tout me dire en échange samedi, marché conclu ?
Elle tend sa main vers Maedh, de l'attente dans les yeux. La fée la lui prend, amusée.
– Une poignée de main ne signifie pas grand-chose pour mon peuple mais une promesse est absolue. Je promets donc solennellement de répondre à n'importe laquelle de tes questions samedi. dit-elle avec un grand sourire.
– Qu'est-ce qui vous arrive quand vous ne respectez pas vos promesses ? demande Jennifer, les yeux ronds et pétillants de curiosité.
– Samedi, Jennifer, samedi.
Et sur la longue plainte exaspérée de Jennifer à cette réponse, elles repartent en cours. Avant d'entrer dans la salle de math à nouveau, Jennifer, prise d'un pressentiment, sort son téléphone portable. Elle se mord la lèvre en constatant qu'elle a reçu plusieurs messages des filles qui se demandent bien où elle était durant la récré. La jeune fille jette un œil par la petite fenêtre de la porte. Le prof n'est pas encore installé, elle a sans doute encore 10 secondes, probablement.
Désolé de vous avoir laissés en plan, il m'est arrivé un truc pas croyable. Je vous dis tout ce midi. Pianotant rapidement sur son portable, elle envoie le message avant de se ruer à l'intérieur. Mieux vaut ne pas tester la patience ou la tolérance du prof. Elle prend possession de la dernière place disponible.
Mais alors qu'elle s'installe, elle se fige un instant. Mince, non, je ne peux rien dire, j'ai promis à Maedh de ne rien dire. Mais je ne peux pas laisser les filles en dehors de ça, c'est littéralement le plus gros news de dingue de l'histoire !... Il faut que je lui en parle, peut-être qu'elle acceptera de faire une exception pour elles ? Après tout, elles aussi sont fans de magie. Il faut que je lui en parle.
D'un œil discret, elle se met à chercher la position de Maedh. Merde, elle est trop loin ! Bon ben, va falloir attendre l'interclasse. Concentre toi sur les maths en attendant. Mais après ce qu'elle vient de voir, les problèmes mathématiques semblent encore plus abstraits que d'habitude. Encore et encore, l'image de Maedh dans toute sa gloire fantastique revient dans son esprit. De quoi est-elle capable ? Elle peut changer d'apparence et faire apparaitre du feu mais quoi d'autre ? Qu'est-ce qu'elle mange ? C'est quoi la mode du monde des fées ? Est-ce qu'il y a de méchantes fées ? Mon dieu, j'ai tellement hâte de savoir... J'espère que ce n'est pas un rêve et que je vais me réveiller bientôt... Oh non, et si c'était un rêve ?... Si je me pique avec mon compas, est-ce que je vais me réveiller ?
Le professeur poursuit son cours, imperturbable. Peu de jeunes n'auront jamais une quelconque utilité pour des algorithmes dans leur vie de tous les jours mais bon. Il est là pour enseigner donc il enseigne. Qui sait, ça leur sera peut-être effectivement utile un jour? Brusquement, une exclamation stridente l'interrompt dans ses opérations et il se retourne aussitôt. Le reste de la classe regarde confusément Jennifer qui suce son index. Notant l'attention fixée sur sa petite personne, elle sens ses joues rougir furieusement.
– Jennifer ?
– Désolée, désolée, dit la jeune fille dont le teint ferait l'envie des fraises. je me suis piqué sur mon compas. Par accident.
Quelques petits gloussements s'échappèrent alentour tandis que l'enseignant, se retenant à grand-peine de lever les yeux au ciel, se concentre à nouveau sur son tableau. Bravo, bien jouée, Jennifer. Stupidest idea ever ! Mais bon, au moins, je suis rassurée : Je ne rêve pas.
Quand enfin l'alarme retentit, ce n'est pas tout juste si Jennifer bondit sur Maedh.
– Maedh! Un instant s'il te plait, il faut qu'on parle.
– Jennifer! s'exclame la jeune fée, la main sur la poitrine avant de reprendre plus bas. Du calme, tu m'as foutu la trouille ! Si j'avais un cœur, je ferais une attaque ! Qu'est-ce qui se passe ?
– Ah, douce vengeance, ne peut s'empêcher de sourire la rousse, Attends, les fées n'ont pas de cœurs ? J'ai besoin de te parler à propos... de la promesse que je t'ai faite.
–Ah ? Eh bien quoi ? Je t'assure que je ne te l'ai pas demandé pour rien. Ce serait vraiment mieux si...
–J'aibesoinquetufassesuneexceptionpourmesmeilleuresamies ! débite Jennifer en un seul souffle.
– Quoi ? demande Maedh, perplexe en finissant de ramasser ses affaires.
– J'aibesoin, Jennifer prend une inspiration avant de souffler doucement. Que tu me laisses parler de toi à mes meilleures amies, Typhaine et Sophie, que tu fasses une exception pour elles.
– Mais...
– S'il te plait ? Je te promets qu'elles sont fiables, elles ne répéteront ton secret à personne. Ce sont mes meilleures amies depuis le collège. On se dit tout et elles sont aussi passionnées par le fantastique que moi. Je ne me sens pas bien de leur cacher ça. Sophie est une super fan des fées, elle étudie tous les mythes et folklores à propos d'elles. Elle adorerait te rencontrer.
Maedh ne dit rien, écoutant les arguments de sa nouvelle amie tout en se dirigeant vers la porte. Dévoiler son secret à plus de personnes ne l'enchante guère. Ça augmente les risques. Même si elles jurent de ne rien dire, un accident peut arriver. Les mortels ne font pas autant attention à leurs promesses que les miens. D'un autre côté, pense-t-elle tandis qu'elles se dirigent à pas lent vers la salle d'histoire. Ça me fera encore plus d'amies, plus de gens avec qui sortir et parler honnêtement. Ça en vaut la peine, non ? Et puis, Je suis sûre que les Chasseurs ne se trouvent pas sur Terre. C'est bien pour ça qu'on est revenus, non ? Le pire scénario, c'est qu'elles en parlent et que les mortels nous ennuient. Avec de la chance, peut-être que papa se contentera de leur laver le cerveau plutôt que nous faire quitter la planète ?
– D'accord, d'accord. Écoute, si tu penses qu'elles sont fiables et si elles aiment la magie autant que toi, je veux bien que tu leur dises. Ce sont les filles avec qui tu traines tout le temps dans la cour et dehors, non ? Elles ont l'air sympas. Tu peux leur dire mais, insiste Maedh, les traits du visage sérieux. Tu réponds d'elles, d'accord ?
– D'accord, accepte Jennifer avec un sourire soulagé. Tu ne le regretteras pas, je te le promets. Elles vont t'adorer.
– Évidemment, dit la jeune fée en faisant voler ses cheveux d'un geste impérial. Qui n'aime pas les princesses ?
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