Chapitre 2, 2éme partie
L'histoire a toujours été l'un des cours préférés de Maedh. Elle-même était présente à l'époque de certains de ces événements et c'est tout bonnement fascinant comment certaines choses, qu'elle jugeait sans importance à l'époque, sont pourtant considérées comme des moments-clés de l'Histoire des millénaires plus tard. Qui aurait cru que cette Cléopâtre serait aussi intéressante ? Moi qui pensais qu'elle était juste un autre tyran assoiffé de pouvoir.
Sans compter tout ce qui se passait à l'époque dont elle n'avait pas la moindre idée bien qu'elle ait voyagé sur les 6 continents (Spoiler, elle a proprement DÉSTESTÉ l’Antarctique! Mais les bébés phoques étaient aussi mignons à l'époque qu'aujourd'hui). Elle avait vu de ses propres yeux bon nombres de ces empires et royaumes mais seulement pour une courte période. Il fallait toujours bouger, rester imprévisible, de peur qu'ils ne soient découverts. Et puis, inévitablement, les Chasseurs se rapprochaient trop et ils devaient quitter la planète pour trouver refuge ailleurs.
Dorénavant, je ferai plus attention à ce qu'il se passe autour de moi, pense-t-elle, Qui sait, peut-être que des évènements apparemment insignifiants vont eux aussi marquer l'histoire pour les millénaires à venir. Ooooh, et je pourrais dire, "j'étais là, j'ai tout vu, ça s'est passé exactement comme ça, non pas comme ça"... Je me demande si papa pourrait me laisser une Perle de Mémoire pour stocker tout ça ? Ce serait quand même un comble de dire "Euh oui, j'étais là mais euh, comment dire, j'ai oublié comment ça s'est passé..."
Peut-être que mes nouvelles amies pourront m'aider à décider ce qu'il vaut la peine de garder ? J'espère que Typhaine et Sophie seront réceptives... Et si... non, non, elles le seront, qui n'aime pas les princesses ? Et ce sera une amitié qui durera dans le temps. Plusieurs décennies au moins!
L'alarme se fait entendre à nouveau, arrachant la jeune fée à ses rêveries. Un dernier signe de la main sous le regard intrigué de Camilia, elle repart chez elle, dans le petit sanctuaire créé par son père. Jennifer, elle, suit la plupart des élèves vers la cantine. Avec un peu de chance, les filles auront déjà pris une table un peu isolée et je pourrai tout leur raconter sans risque d'être entendue par les autres.
Elle cherche méticuleusement dans la file d'élèves qui attendent leur tour pour entrer dans la cantine mais ne trouve aucune de ses amies. Elles sont soit déjà passées, soit elles sont loin derrière. J'espère que c'est la première... commence à penser Jennifer. Soudain, une vive douleur à l’épaule lui arrache une exclamation. Se tortillant tant bien que mal dans la rangée serrée d'adolescents, elle réussit à regarder derrière elle. Là, juste derrière quelques élèves se tient Camilia, apparemment occupée à discuter avec ses amies. Mais ses regards en coin et ses sourires sournois ne laissent aucun doute quant à l'identité de la personne qui vient juste de pincer l'épaule de Jennifer.
Pourquoi Camilia la tourmente, Jennifer l'ignore mais elle a souvent dû faire face à ses moqueries, ses insultes et, heureusement plus rarement, ses attaques sournoises. Le bon côté de la chose, c'est que Jennifer n'est pas son unique cible donc elle n'a pas sa constante attention. Brusquement, les premiers rangs se mettent à bouger, un mouvement qui se répercute le long de la colonne comme une onde dans l'eau. Enfin, pense Maedh alors que son estomac se desserre et un profond soulagement lui traverse le corps.
Une fois entrée dans le bâtiment, la colonne devient une ligne. Chacun prend son plateau, ses couverts et fait la queue pour recevoir le plat du jour. Hmmm, riz et quenelles avec de la sauce. Rose. Je me demande ce qu'il y a dedans pour que ça ait cette couleur-là. Rien de grave j'espère. Oh mon dieu, est-ce que c'est un fondant au chocolat ? C'est Noël avant l'heure ! On fête la mort de qui ? Non, mauvaise fille, compassion pour tout le monde... presque tout le monde.
D'un mouvement de tête, elle repère Camilia et sa bande qui l'ont, les cieux soient loués, apparemment oubliée. Bien, si ça pouvait continuer comme ça pour le reste de la journée, ça m'arrangerait. Arrivée au bout du comptoir, elle se précipite aussi vite que charrier un plateau-repas le lui permet dans la grande salle du réfectoire. Maintenant... Près des fenêtres, Sophie s'assit toujours près des fenêtres si elle en a l'occasion... Bingo !
Là, dans un coin baigné par le soleil, se trouvent ses meilleures amies. Typhaine, la grande brune aux lunettes bleu sombre, mange lentement son assiette, profitant de chaque seconde. L'expression qu'elle fait à chaque bouchée donne du baume au cœur comme un petit soleil. Sophie, à peine moins grande, un peu musclée, contemple d'un air rêveur les plantes baignant sous la lumière printanière. Son air distrait, toutefois, est profondément trompeur. Jennifer avait expérimenté en personne à quel point elle peut être vive avec une fourchette quand on essaie de lui piquer une miette.
– Salut les filles, salue-t-elle en s'installant à la table.
– OH... s'exclame Typhaine avant de commencer à tousser comme un camionneur, un morceau de quenelle ayant visiblement décidé de faire de la résistance.
J'aurais ptet dû m'annoncer autrement, songe Jennifer tout en tapant énergiquement le bas du dos de son amie. Typhaine parvient finalement à déloger la nourriture dans sa gorge et à l'avaler. Elle accepte le verre d'eau que lui tend Sophie, hochant la tête avec reconnaissance.
– Jennifer... purée... Souffle la brune, les larmes aux yeux.
– Désolée, vraiment désolée, ça va mieux ?
– Oui... Purée, tu m'as surprise, je ne t'ai pas entendu arriver...
– Moi non plus, tu m'as fait peur. Ça plus ton absence à la récré de ce matin, tu les enchaines aujourd'hui, ajoute Sophie qui engloutit une bonne fourchette de riz couvert de sauce rose.
– Oui, tiens, merci de me le rappeler, So. Donc, où étais tu ce matin et c'est quoi ce texto ? demande Typhaine en exhibant le texto sur son portable comme une preuve incriminante.
– Ok, ok, laisse-moi le temps de m'installer quand même ! grommelle Jennifer. Elle jette un œil alentour avant de reprendre d'une voix plus basse. Alors, tu vois, ça a commencé ce matin avec une fille de ma classe qui s'appelle Maedh...
Et ainsi, entre deux bouchées, elle leur raconte tout, l'oiseau messager, les longues heures d'attente anxieuses, enfin, l'incroyable révélation au sommet d'un escalier désert et la promesse faite peu après. Alors qu'elle termine, ses deux amies affichent des expressions inquiètes et sceptiques.
– Jennifer... commence Typhaine d'une voix dure, comme quelqu'un qui n'apprécie pas une plaisanterie.
– Non, non, je sais ce que tu vas dire, ça se passe toujours comme ça dans les histoires : Quelque chose d'absolument incroyable arrive à quelqu'un, tellement incroyable que quand il le raconte, il passe pour un fou et personne ne le croit. Jusqu'à ce que cette chose incroyable leur arrive aussi. C'est pourquoi, assène Jennifer en faisant tourner son doigt dans l'air dramatiquement. Je propose que vous attendiez jusqu'à ce que vous la rencontriez cet après-midi à la récré. Vous verrez bien par vous-même à ce moment-là.
Les autres filles se consultent du regard. Typhaine, les sourcils froncés et la bouche tordue en une moue incertaine, dodeline de la tête. Sophie, elle, se tapote le menton puis hausse les épaules avant de prendre la parole.
– Tant que c'est dans le lycée, qu'est-ce qu'on risque ? On ne perd rien à vérifier.
– Tu es sérieuse ? Tu veux vraiment aller voir cette fille pour voir si c'est... une fée ? demande Typhaine, ahurie.
– Écoute, on connait Jennifer depuis quoi, 7 ans ? Quand est-ce qu'elle nous a déjà fait ce genre de blague ?
– Il y a une première fois à tout, objecte Typhaine, les bras fermement campés sur la table avant de tourner la tête vers Jennifer, l'air sévère. Soit tu nous fais une blague et franchement, ce serais une blague chelou, soit cette fille se paye ta tête, ce qui m'étonnerait parce que tu es plus maligne que ça d'habitude.
– Au moins, rencontrez la. Tente la jeune rousse en évitant de justesse de croiser les mains. Ça prendra juste 1 minute. Si vous n'êtes pas convaincues après, je jure de ne plus jamais en reparler.
– Tu me laisseras avoir un loup-garou comme animal de compagnie à la prochaine session D&D ? marchande Typhaine, son regard dubitatif soudain brillant et machiavélique.
– Ce sont des personnes qui se transforment en monstres à la pleine lune, pas des chiens ! s'insurge Jennifer tandis que Sophie dissimule son gloussement derrière sa main.
– Ça c'est toi qui le dis. fais la brune, un sourire insolent sur les lèvres.
– Urgh, très bien mais pas de meurtres en masse !
– Awww, rabat-joie, dit Typhaine en essayant de faire la moue mais son sourire gâche ses efforts.
– À propos de session, commente Sophie, les doigts croisés, la mine sérieuse. Quand aura lieu la prochaine ? Est-ce que tu as déjà un scénario de prévu, Typhaine, ou... Oui, non, ne réponds pas, je me demande même pourquoi j'ai posé la question. Et est-ce que ton Marc d'amooouuur va participer cette fois ?
Elle et Jennifer se mettent aussitôt à faire des roucoulements moqueurs tandis que Typhaine leur conseille calmement de la fermer et de se concentrer sur leur repas. Après avoir terminé leurs assiettes et dévoré leur fondant au chocolat malgré leurs meilleurs efforts pour le savourer, elles utilisèrent le temps restant du déjeuner pour se poser dans un petit coin au soleil. Sous le ciel d'azur, elles rient et échangent des nouvelles, un moment seules, perdues dans leur petit monde.
Jennifer observe sans vraiment voir les photos de nature et de monuments que Sophie avait reçues d'un de ses cousins en Asie. Prise dans leur moment, ses amies ne semblent plus se préoccuper de ses révélations. J'ai hâte d'être à cet après-midi, pense-t-elle en souriant. Elles vont voir, nos vies vont prendre un tournant extraordinaire.
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