Chapitre 12

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Cela faisait déjà quelques jours que j’étais interné. Chaque journée était identique à la précédente. Mais ce matin, Elle était revenue. Elle parlait de tout et de rien et je ne comprenais pas le moindre mot. Le nouveau traitement que je prenais depuis quelques jours me provoquait des migraines et des nausées, mais je devais tous de même participer aux sciences du groupe de soutien.


— Elena, m’interpella le Dr Elton. Pourquoi ne pas nous parler de votre enfance, aujourd’hui ?

— Que voulez-vous je vous dire ? cinglais-je sans le vouloir.

— Quel est votre meilleur souvenir ?

— Pendant mon enfance ?

— C’est ça.

— Je n’en ai aucun.

— Aucun vraiment ? Pourquoi ?

— Vous savez qui est ma mère, Docteur.

— Et je veux justement que vous en parliez, Elena.


Je restais silencieuse, tout comme elle. Elle attendait, les secondes défilaient au même rythme que le tic-tac de l’unique horloge. Je n’avais pas envie de parler de ma mère. Je ne voulais pas revenir sur toutes les horreurs, toute la souffrance que j’avais connue en vivant avec elle.


— Elena. Ce n’est pas en restant muette que vous parviendrais à surmonter vos traumatismes.

— Je suis une écorchée de la vie ! m’écriais-je. Vous avez vraiment envie de savoir tout ce qu’elle m’a fait subir ? Vous croyez vraiment que ça va les aider, eux, t’entendre toutes ses horreurs ?

— Et si vous vous calmiez ?

Pitoyable. Tu es pitoyable, Elena. Une moins que rien qui se met en colère pour un oui ou pour un non. Une moins que rien, incapable de se contrôler.

— La ferme ! Je ne vous ai rien demandé !

— Infirmières !


Deux infirmières entrèrent dans la salle et m’attrapèrent par les bras, tentant de m’immobiliser. Je ne pouvais pas me laisser faire. SI je les laissais m’emmener, ma mère me battrait, comme elle avait toujours fait. Je tentais de me débattre jusqu’à ressentir une légère pression dans le bras. En quelques secondes, je n’étais plus maitresse de mon corps. Mes sens étaient enveloppés dans du coton et je me laissais porter, jusqu’à une pièce beaucoup plus petite, une cellule d’isolement capitonné selon les infirmières. J’allais y rester le temps que ce qu’il se passait dans ma tête se calme. Mais dès que la porte fut refermée à clé, la tempête s’accentua et je ne pouvais rien y faire. Je n’arrivais pas à lutter. Je me recroquevillais sur moi-même, coinçant ma tête entre mes jambes.


——


— Elena !


Le hurlement de ma mère me liquéfia sur place. Je n’arrivais plus à respirer, je ne pouvais plus bouger. J’entendis ses talons claquer sur le sol avant de la voir arriver. Elle attrapa mon poignet et me tira violemment. J’avais quitté la salle de réunion, où j’étais censé être la princesse idéale, sans l’autorisation de ma mère. Elle m’avait retrouvé dans ce couloir, caché derrière une colonne de pierre. Malgré mes quinze ans, mes larmes brouillaient ma vue. Elle serrait si fort mon poignet qu’elle m’en faisait mal. Mais je ne pouvais rien dire, j’étais obligé de courir derrière elle. Arrivé dans ma chambre, elle me poussa violemment et je me cognais la tête contre le bord de mon lit. Ne m’étant pas relevée assez vite, elle attrapa mes cheveux et les tira.


— Qu’est-ce que je vous avais dit ? Pourquoi vous ne m’écoutez jamais !

— S… s’il vous plait, tentais-je en larme.

— Taisez-vous ! J’en ai rien à faire de vos supplications d’enfant gâté.


Elle lâcha enfin mes cheveux et son poing rencontra ma joue. Je me mordis la langue. Du sang emplit ma bouche que je recrachais sur le parquet de ma chambre. Ma mère le remarqua et je reçus cette fois-ci un coup de pied dans la poitrine. La pointe de la chaussure à talon me bloqua la respiration. Je ne pouvais littéralement plus respirer et ça lui était égal. J’étouffais, elle rigolait.


— Vous êtes si minable. Incapable de suivre une seule règle. Je ne vous ai pas élevé pour que vous me désobéissait. Désormais, vous ne rencontrerez plus personne. J’espère que vous aimez votre chambre, vous ne verrez plus qu’elle à l’avenir.

— Je… tentais-je entre deux respirations chaotiques, vous… déteste…


Cette fois-ci, ma mère ne retenait plus ses coups. Ma poitrine était en feu, tout comme mon ventre, mon dos et mon visage. Ma respiration était toujours chaotique quand elle s’éloigna et ferma la porte à clé. J’étais incapable de me relever. Incapable de respirer correctement, mes côtes douloureuses au moindre mouvement. Recroqueviller sur moi-même, à même le sol, je voulais juste dormir. Je voulais en finir pour toujours. Je pris une dernière inspiration malgré la douleur et arrêtais de respirer. Je ne voulais plus vivre, pour la deuxième fois de toute mon existence. J’étouffais, mais ça m’était égal. Des points noirs apparurent sur ma vision alors je fermais les yeux, tout en continuant à retenir ma respiration. Je n’entendis pas la porte s’ouvrir. Je n’entendis pas les pas précipiter vers moi. Je n’entendais pas Emma crier, m’ordonner de respirer. Je ne voulais pas l’entendre. Mais elle n’était pas décidée à me laisser mourir. Cette femme qui était entrée dans ma vie quelques jours auparavant. Elle donna un coin de poing dans ma poitrine, la douleur m’obligea à rouvrir les yeux et à inspirer. J’étais obligé de respirer, même si ça faisait mal.


— Vous devez respirer, Mademoiselle ! Je ne vous laisserai pas tomber. Que quelqu’un appelle un médecin ! Vite.


——


— Elena ? Elena ! Respire.


En face de moi, Jeanne me secouait. Je pris une grande inspiration suivie d’une quinte de toux. Je ne m’étais même pas rendu compte que j’avais retenu ma respiration. Comme ce jour-là. J’avais eu Emma la première fois, aujourd’hui, j’avais sa sœur à mes côtés.


— Voilà, doucement. Respire doucement.


Elle me prit dans ses bras et je laissais mes larmes couler dans son cou. Mes mains tremblaient et j’étais incapable de les empêcher. J’étais incapable de contrôler mon corps, aussi perdu que mon esprit.


— Parle-moi, Elena. Dis-moi ce qu’il s’est passé.

— Ta sœur aurait dû me laisser mourir. Elle…

— Chut, ne dis pas ça. Tu n’es pas suicidaire.

— Si je le suis ! J’ai tenté à plusieurs reprises. Je ne supportais plus de vivre. Je ne la supportais plus.

— Tu es fragile, Elena. Ta mère t’a fragile. Laisse-toi le temps de te construire.

— Il faut des fondations pour construire. Je n’en ai aucune. Tout est brisé en moins. Tout.

— Tu es une écorchée vive, je sais. Mais tu vas y arriver. Tu vas réussir à surmonter cette crise.

— Non. Je veux juste que ça s’arrête. Qu’elle arrête d’être toujours au-dessus de moi.

— Alexandra, amenez-moi un sédatif, je vous prie.

— Ne devrait-elle pas rester en isolement, docteur ?

— Non. Elle tenterait à nouveau d’arrêter de respirer.


Je m’abandonnais dans les bras de Jeanne. Après m’avoir sédaté, elle finit par m’allonger dans un brancard pour me ramener à ma chambre. Depuis mon lit, elle m’attacha. Un autre médecin apporta diverses machines qu’elle mit en place, dont un masque à oxygène.


— Je ne te laisserais pas mourir, Elena. Si je dois lutter à ta place, je le ferais. Alexandra, annulez tous mes rendez-vous, je vais rester auprès d’elle.

— Êtes-vous sûr que…

— Elle a seulement besoin d’être entourée.


Branchée à diverses machines, je basculais la tête côté mur. Je fermais les yeux, m’abandonnant. Mon corps était douloureux. Les côtes cassées, le visage tuméfié, les bleus que ma mère m’avait laissés après ce jour-là, toute la douleur étaient revenue me hanter. Même si je le voulais, je n’arrivais pas à respirer. Je ne le pouvais pas, même avec Jeanne à mes côtés.

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