Chapitre 19
Lizéa courait dans toute la cour, navigant de stand de jeu en stand de jeu depuis plus d’une heure. Je commençais à être fatiguée par les vas et vient incessant de ma fille et la foule, mais je ne voulais pas empêcher Lizéa de s’amuser.
— Maman, ça va ? me questionna Élise qui passait par là.
— Ta sœur me fatigue. J’irais bien me poser quelque part un instant.
— C’est seulement Liz ou c’est aussi ton traitement ?
— Il entre en jeu, c’est vrai.
— Tu devrais rentrer te reposer alors.
— Lizéa s’amuse. Elle ne sera pas contente de rentrer.
— Tu sais quoi, je m’occupe d’elle. Va faire un tour au gymnase, Ben finalise les derniers détails là-bas, c’est calme. Et j’appelle maman voir si elle peut venir.
— Merci ma puce.
Suivant les conseils de ma fille, je rejoignis le gymnase qui était en effet plus calme. Il n’y avait plus d’enfants qui criaient et courraient dans les sens, il n’y avait plus les bruitages et la musique des stands de jeux. Ben et un petit groupe d’étudiants étaient occupés à accrocher quelques décorations et à mettre en place des tables et chaises. Mon fils s’approcha quand il m’aperçut.
— Un problème, maman ? me questionna-t-il.
— Je fatigue, chérie. Mais je ne veux pas empêcher ta petite sœur de s’amuser. C’est Élise qui m’a dit que tu étais ici et que je peux pouvait venir.
— Tu ne veux pas rentrer plus tôt ? Irina est là avec Antoine, elle peut s’occuper d’elle.
— Elle a assez à faire avec son fils. Je ne veux pas la déranger pendant son jour de congé.
— Tu tournes en rond, maman. Comme tu veux te reposer si tu as toujours Lizéa dans les jambes ? Tu dois prendre soin de toi.
— Je sais ce que je fais, chéri. Élise a appelé ta mère pour qu’elles viennent prendre un peu la relève. En attendant, tes sœurs sont ensemble.
— Bon, comme tu veux. Tu peux rester aussi longtemps qu’il te faut.
M’isoler me permit de me ressourcer, du moins c’est ce que je croyais. J’avais réagi trop tard et je le compris en voyant mes mains commencer à trembler. Si Océane n’arrivait pas bientôt, je n’allais pas pouvoir gérer cette crise. Visiblement, la fatigue surpassait les médicaments.
— Ben ! Appelle ta mère, tous de suite.
— Pourquoi ?
— Dépêche-toi.
— Trop tard, je suis déjà là, intervint Elle. Je ne suis pas toujours un fardeau Elena. Bon, cette fois, si, je le convie. Tu croyais vraiment pouvoir échapper au monstre qui sommeille en toi avec un simple traitement ? Tu te fourvoies, Elena. Tu devrais le savoir après tout, rien n’est aussi simple qu’il n’y parait.
— Tais-toi !
— Maman… oh merde, comprit mon fils. Laurent, cours chercher ma sœur, mais qu’elle ne vienne pas avec Lizéa. Dis-lui que c’est urgent. Les gars, empêchait quiconque, hormis ma famille d’entrer, compris ?
— Compris.
— Ton fils est aussi minable que toi. Il croit vraiment pouvoir t’arrêter ? Alors qu’il n’ose même pas faire de mal à une mouche ? Élise, par contre, elle a plus de cran.
— La ferme !
Mes mains tremblaient de plus en plus tandis qu’Elle envahissait mes pensées. Je vis Ben s’approcher, mais sans le moindre contrôle, je le repoussais violemment. J’étais consciente de tout ce que je faisais, mais j’étais incapable de me contrôler. J’étais prisonnière de mon corps et de ma tête. Ignorant les cris de mon fils, je sortis du gymnase. Sans but, je marchais au milieu de la foule, jusqu’à rejoindre ma fille qui m’arrêta. Océane arrivé au même moment derrière moi.
— Décidément, tout le monde semble persuadé de pouvoir t’empêcher de faire du mal. Sauf que le mal est déjà fait, Elena, tu es le mal incarné. En étant de la voir, tu as fait revivre le monstre du passé.
— Maman, respire calmement, d’accord.
— Bouge de mon chemin, Élise.
— Tu ne sais pas ce que tu dis.
— Elena, souffla ma femme en s’approchant. Je suis là, tout va bien.
— Non, tout ne va pas bien ! m’énervais-je. Rien ne va. Tout va mal, c’est l’enfer.
— Oh, c’est pire que ce que je pensais, soupira Océane. Élise, ta mère délire complètement, je vais avoir besoin de toi.
— Je suis là pour ça.
Une multitude de pensées se bousculèrent dans ma tête, c’était le capharnaüm total. Je n’entendais même plus ma femme et ma fille discuter. Océane aperçut dans mon champ de vision et me corps réagit de lui-même, pour la frapper. Mais ma femme me bloqua rapidement et Élise intervint à son tour, m’injectant dans le bras un produit spécial, que nous avions tous dans nos sacs en cas d’urgence. Petit à petit, mon cerveau se vida, il redevint enfin calme. Je cessais de me débattre dans les bras d’Océane et les larmes coulèrent.
— C’est fini, mon amour, chuchota-t-elle.
— Excuse-moi.
— Ce n’est rien. Vois le positif, tu as su t’isoler et demander de l’aide à temps.
— C’était quand même trop tard.
— Est-ce que ça va aller ? questionna Élise en s’accroupissant devant moi.
— Un peu de repos et elle sera de nouveau sur pied, lui répondit Océane. Tu peux aller chercher Liz, on va rentrer.
— J’aimerais pouvoir aider maman.
— Tu ne pourras pas faire plus, chérie. Tu as fait le maximum.
— Maman, enchaîna-t-elle en s’adressant à moi, je t’aime.
Dans les bras de ma femme, accompagnée par mes enfants, nous rentrons au château. Tandis qu’Élise s’occupait de sa sœur, je partis me coucher, sous le regard attentif d’Océane. Elle s’allongea à mes côtés, me serrant contre elle.
— Tu ne devrais pas trop forcer chérie. Même si c’est pour faire plaisir à Liz, ta santé doit être une priorité.
— J’étais juste fatiguée. Je ne pensais pas que… ça irait aussi loin.
— Ce qui est important, c’est qu’il ne s’est rien passé d’irréparable.
— Je me sens si impuissante quand ça arrive. J’ai conscience de ce qu’il se passe. J’ai conscience que j’ai envie de faire du mal, mais je suis incapable de m’arrêter moi-même.
— Tu as au moins la possibilité de demander de l’aide. Je serais toujours là pour t’arrêter avant qu’il ne soit trop tard. Et si je n’arrive pas à temps, Élise ou Ben le feront à ma place. Tu es très bien entourée, mon amour. Tu auras beau nous dire des atrocités, nous dire que nous ne sommes bons à rien, nous savons que tu ne le penses pas vraiment. Nous n’avons pas le droit de t’en vouloir pour ça.
— Merci. Merci de rester à mes côtés malgré tout ça.
— Je t’aime Elena. C’est mon devoir d’épouse de rester à tes côtés dans les pires moments. Repose-toi, d’accord. Il faudra que je te parle de deux ou trois trucs après.
Elle remonta la couverture sur mes épaules, je fermais les yeux et me laisser emporter par l’épuisement physique et moral.
À mon réveil, Lizéa était allongée dans mon lit, le bras et la jambe posés sur moi. Elle dormait à poing fermé, de la bave coulait sur l’oreiller de sa mère et elle ronflait de temps en temps. J’essuyais sa bouche et déplaçais ses membres sans la réveiller, pour sortir de mon lit. Je replaçais la couverture et récupérais mon téléphone. L’après-midi était déjà presque terminée. Alors que je le reposais sur mon bureau, j’entendis bâiller derrière moi et me retournais. Ma fille était réveillée. Elle se frotta les yeux, et se glissa jusque dans mes bras, sans un mot.
La tête de Lizéa enfuie dans mon cou, son pouce dans sa bouche, je la porte jusqu’au bureau, où Océane et Mélanie travaillaient. Ma femme me sourit en me voyant entrer et Mélanie plaça ma chaise devant le bureau de ma femme.
— Mélanie m’a conseillé quelqu’un qui pourrait être ton assistant. Je pense que tu en as besoin.
— Je vais suivre ton conseil. Je dois faire attention à ne pas trop me fatiguer ou mont traitement ne servira à rien.
— C’est Liz qui t’a réveillée ?
— Je dirais plutôt que c’est le contraire, rigolais-je.
— Cette journée là épuisée. Elle a accepté la sieste à condition de dormir avec toi.
— Tu as eu raison.
— Comment tu te sens ?
— Mieux. Je crois que je devrais dormir une ou deux heures en milieu de journée.
— Bonne idée. Tu te sens capable de réfléchir correctement ?
— Je suis totalement apte.
— Super. D’abord, le problème d’Irina. Sa maison est en piteux état. Les rénovations couteraient bien trop cher et elle n’a nul par ailleurs où aller. Le plus simple et le moins cher pour elle, ce serait de tout détruire et qu’elle l’a fasse reconstruire de zéro. Mais elle n’a pas les moyens.
— Elle n’a pas réussi à trouver d’autres maisons ?
— Je lui ai fait passer plusieurs annonces, mais aucune n’est disponible avant plusieurs mois. Et son fils est en train de tomber malade à cause de la moisissure et du plâtre qui s’effrite.
— Je suppose que tu lui as déjà fait une proposition. Elle ne peut pas rester là-bas.
— Je lui ai proposé de loger au palais, dans l’aile des domestiques, avec Antoine, le temps qu’elle trouve une solution. Mais elle ne veut pas accepter sans ton accord.
— C’est une bonne idée. De nombreux domestiques vivent déjà ici et Lizéa sera contente d’avoir quelqu’un de son âge au palais. Et quand les deux enfants seront ensemble, elle ne sera pas dans nos pattes.
— Je lui dirais que tu es d’accord. Ensuite, on a des invités.
— Qui ça ? Ils sont arrivés quand ?
Lizéa se réveille instantanément, comme si elle n’avait pas dormi. Elle s’assoit correctement sur mes genoux, prête à me faire un long discours qui n’en finira jamais.
— La Reine Stephania est magnifique, ses cheveux roses sont trop beaux. Maman, je veux les mêmes. En plus, elle est trop gentille. Luna, la plus grande, je la voie pas beaucoup, Ben la garde que pour lui. Lyra a joué avec moi et Élise. Elle est trop forte aux cartes, elle ne fait que gagner. Et…
— Doucement chérie, rigolais-je en la serrant dans mes bras. Stephania et ses filles sont là ?
— Oui, reprit Océane. Elle a pris deux semaines de vacances pour faire voyager ses filles et leur faire découvrir le continent. Son mari s’occupe du Reinaume. Enfin, son assistante et son mari l’aide.
— C’est vrai qu’il est plus doué aux jeux vidéos. Je vais aller les voir.
— Elles doivent être dans la cour avec Élise et Ben. D’ailleurs, surveille le comportement de ton fils, tu ne le reconnaitras pas.
— Il drague ? Dans deux ans, nos deux enfants sont mariés, rigolais-je en prenant conscience que les jumeaux allaient bientôt avoir six-huit ans, mais surtout, que nous allions bientôt fêter nos dix-huit ans de mariage.
— Ne dis pas ça, soupira Océane. Déjà qu’ils nous quittent l’année prochaine pour la fac et le tour du monde.
— Ces six-huit dernière année sont passé bien trop vite.
— Ben et Élise vont partir ? s’inquiète aussitôt Lizéa.
— Oui, poussin. Ton frère a prévu de voyager et ta sœur souhaite vivre sur le campus de son université.
— Donc je serais seule au palais ?
— Oui. Mais ils reviendront de temps en temps.
— Je vous aurais pour moi toute seule ? s’exclame-t-elle visiblement ravie.
— Heu… oui.
— Youpi ! Viens, maman, faut que j’aille les remercier.
Ma femme et Mélanie explosèrent de rire en même temps. Tirée par ma fille, je suis contrainte d’abandonner ma chaise pour la suivre jusque dans la cour, où tout le monde était en effet réuni. Stephania m’aperçut et me rejoignit. Un peu plus loin, nos enfants respectifs jouaient ensemble. Les filles de Stephania avaient bien grandi depuis la dernière fois que je les avais vus, aux dix ans des jumeaux.
Luna était devenue une belle jeune femme. Ses cheveux étaient roses comme sa mère, mais avec une teinte plus claire et des reflets bruns, comme son père. Lyra, quant à elle, ressemblait bien plus à son père qu’à sa mère. Comme me l’avait annoncé ma femme, mon fils était en effet occupé à rester dans les bonnes grâces de l’aîné de Stephania. Déjà, lorsqu’il avait dix ans, il avait essayé d’attirer son attention. Aujourd’hui encore, Luna semblait intéresser mon fils.
— Bonjour Elena, comment vous sentez-vous ? me questionna Stephania.
— Beaucoup mieux, merci. Vous êtes arrivées quand ?
— En début d’après-midi. Océane est venue nous accueillir. J’ai prévu de rester deux ou trois jours, histoire de visiter Glenharm et ses alentours.
— Vous êtes les bienvenues. Ben sera déçu si vous repartez trop tôt, rigolais-je.
— En effet, il semblerait que nos aînés s’entendent plutôt bien.
Tout en gardant un œil sur les enfants, je fis un point à Océane de tout ce qui avait bien pu se passer en sept ans. Je lui parlais aussi bien de ma maladie que de ma démarche pour pardonner ma mère. Elle tiqua quand je lui annonçai qu’elle était toujours vivante, mais se détendit avec mes explications. Après tout, elle avait tué sa mère qui avait essayé de m’aider.
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