Chapitre 26
Pour trouver l’inspiration, je déambulais dans les jardins du palais, prenais des photos avec un plan large ou parfois juste une fleur, une couleur. Emportée par un élan de création, je récupérais quelques fleurs afin d’en faire un bouquet que j’irais ensuite offrir à Océane. Le bouquet dans les mains, je me rendis compte que je ne lui que trop peu de fois acheter des fleurs. Ma femme était bien plus romantique que moi. Alors que je m’apprêtais à rentrer, je tombais nez à nez avec Emma, dans les bras de son amant. Telle une enfant, je restais à une distance assez éloigner pour les observer, sans qu’ils ne s’aperçoivent de ma présence.
Emma avait les mains posées dans le dos du Roi Eric. Celui-ci jouait avec l’une de ses mèches de cheveux, un grand sourire aux lèvres. Les deux amants discutaient, mais d’où j’étais, je ne pouvais entendre leur conversation. Finalement, ce n’était pas plus mal. Je voulus leur laissez de l’intimité, aller offrir mon bouquet à ma femme quand le Roi Eric embrassa Emma, recula d’un pas, sortie une petite boite de sa poche et il s’agenouilla devant ma meilleure amie. J’attendis un long moment avant d’en savoir plus. N’ayant pas le son, je ne pouvais que deviner ce qu’ils se disaient ainsi que la réponse d’Emma. Emma souriait quand elle donna sa réponse et je pus la deviner grâce à son hochement de tête. Elle avait dit oui. Elle m’avait écoutée et avait enfin pris la décision de se marier, de ne plus travailler pour moi et de vivre enfin sa propre vie.
Discrètement, sans que les nouveaux fiancés s’aperçoivent de ma présence, je quittais le jardin. Mon bouquet, toujours dans la main, je suis partie retrouver ma femme. Sa réunion venant de se terminait, elle était dans le bureau, Lizéa sur les genoux. Ma fille dessinait, changeant régulièrement de crayons de couleur tandis que ma femme travaillait sur son ordinateur. Discrètement, je retirais une fleur violette du bouquet, pour l’offrir à ma fille, qui risquait d’être jalouse. Je frappais délicatement à la porter, tout en cachant les fleurs.
— Est-ce que je dérange ? Lizéa et Océane levèrent la tête d’un geste synchronisé.
En cet instant, j’avais l’impression d’avoir une seule et même personne en face de moi. La version enfant et la version adulte. Lizéa ressemblait tellement à Océane, tant physiquement que dans les manies qu’elle piquait à sa mère petit à petit.
— Pas du tout, me répondit Océane alors que Lizéa reprenait son dessin. Ta matinée s’est bien passée ?
— Oh oui, à merveille. Et toi, ta réunion ?
— Ta fille nous a été très utile. Elle a décidé d’une bonne partie des activités.
— Et maman m’a même aidé à les améliorer, ajouta Lizéa sans lever la tête de son dessin.
— C’est super ça. Est-ce que vous voulez mon cadeau ?
— Oh oui ! s’exclama ma fille. Qu’est-ce que c’est ?
— Je commence par donner le tien ou celui de maman ?
— Parce que j’ai un cadeau moi aussi ? Pour quelle occasion ?
— Bien sûr, mon amour. Il n’y a pas d’occasion particulière. Je me suis juste dit que ça faisait longtemps que je ne t’en avais pas offert.
— Maman en première alors.
— C’est étonnant ça, rigola ma femme.
Habituellement, Lizéa préférait recevoir les cadeaux en premier. Surtout quand c’était des jouets et qu’elle pouvait les utiliser ensuite. Je sortis le bouquet de fleurs d’Océane de derrière mon dos et lui offrait. Un sourire égaya son visage. Elle le récupéra, huma les fleurs puis vint m’embrasser.
— Elles sont magnifiques, merci, mon amour.
— On pourra remercier le jardinier pour son excellent travail.
— Tu les as prises dans le jardin ? — Oui, je voulais trouver quelques inspirations avant de commencer à peindre.
— A moi ! nous interrompis ma fille. Je lui donnais à son tour sa petite fleur. Comme sa mère, en plus exagérée, elle plaqua son nez contre les pétales pour en sentir le parfum.
— Elle est trop belle, merci, maman.
— De rien, ma chérie, ça me faisait plaisir.
— Poussin, tu veux aller avec maman ou rester avec moi ? lui demanda Océane. J’ai beaucoup de travail pour mettre en place toutes tes idées, ce ne sera pas très intéressant.
— Tu vas faire quoi maman ?
— Peindre. Enfin, je vais essayer.
— Est-ce qu’on pourra faire des cookies âpres ? proposa-t-elle.
— J’ai un livre avec plein de recettes de gâteau que tu as même m’a offert. On peut essayer autre chose.
— D’accord. Je viendrais avec toi à ce moment-là.
— Très bien. Installe-toi à mon bureau, mon bébé, tu seras plus à l’aise que sur les genoux de maman.
— Ah oui, pas bête.
Je décoiffais ma fille en lui caressant la tête, ma femme me remercia d’un sourire et je les abandonnais pour m’isoler dans mon nouvel atelier. Pour plus de facilité, j’imprimais les différentes photos que j’avais pu prendre durant ma promenade. Je peignis pendant une bonne heure, sans vraiment savoir ce que je faisais. C’était plus un mélange de couleurs, d’émotions, qu’une image en tant que telle.
L’arrivée d’Emma dans l’atelier me fit sursauter. Heureusement, je n’avais pas de pinceau dans la main à se ce moment-là. La porte s’ouvrit en grand, qu’elle referma aussi vite qu’elle était arrivée et s’essuya sur l’un des fauteuils que j’avais installés en soupirant. Mon regard dévia rapidement sur sa main gauche, où la bague de fiançailles que le Roi Éric venait de lui offrir était toujours en place.
— Il faut que je te parle, avoua-t-elle comme si un drame venait de se produire.
Sachant exactement de quoi elle allait me parler, je pris le temps de ranger mon matériel et de m’asseoir avec elle.
— Raconte-moi tout.
— Éric m’a demandé en mariage. Tu te rends compte, Elena ? Il m’a fait sa demande et j’ai dit oui.
— C’est super, je suis contente pour toi, Emma. Vraiment.
— Mais je vais devoir te laisser. Éric veut que je devienne sa Reine et que je l’aide à gérer le palais de Thérénia. Mes compétences de gouvernante lui seront utiles. Je n’ai pas envie de te laisser, Elena. Pas alors que les enfants partent aussi.
— Écoute-moi, Emma. Ta mère a dû te dire exactement la même chose quand tu as quitté la maison et Océane m’a dit la même chose hier. C’est normal de partir. Tu ne peux pas toujours rester auprès de moi. Toi aussi tu as le droit d’avoir la vie que tu souhaites, dans les bras de l’homme qui t’aime. Je ne veux pas être celle qui t’empêchera d’être heureuse. Et même si pour ça, tu dois partir dans un autre royaume, loin de moi, je l’accepte. Tu es plus que ma gouvernante, Emma. Tu es ma cousine, mais aussi ma meilleure amie. Je ne veux que le meilleur pour toi.
— Mais… tenta-t-elle.
— Tu l’aimes ?
— Oui, beaucoup.
— Alors, ne tergiverse pas plus longtemps. Tu vas partir avec lui, tu vas te marier avec lui et je suis certaine que tu feras une excellente Reine. Et puis tu sais qu’au moindre problème tu pourras me demander de l’aide. Que tu deviennes la Reine d’un autre royaume n’y changera rien, je serais toujours là pour toi.
— Merci, Elena. Ton approbation compte beaucoup. J’ai une dernière demande et j’en ai déjà discuté avec Éric. On aimerait que ce soit toi qui officies notre mariage.
— C’est si c’est que tu veux, d’accord.
Avec un grand sourire, elle me prit dans ses bras. J’étais vraiment heureusement pour elle. Emma m’avait vu grandir, lutter contre ma mère, devenir Impératrice et tout apprendre sur le tas. Elle était là lors de mes débuts avec Océane, à mon mariage et à la naissance des enfants. C’était important pour moi qu’elle puisse enfin avoir sa propre vie, qui ne soit, pour une fois, par reliée à moi. Pour le moment, elle me demanda de garder le secret. Elle voulait en parler elle-même à ma famille ce soir, pendant le diner auquel Éric était convié, mais aussi en informer sa mère et ses sœurs avant. Pour l’occasion, je lui accordais le reste de sa journée.
J’attendis au moins une heure pour retrouver le Roi Éric, dans ses quartiers, profitant de l’absence d’Emma pour lui parler. Je lui avouais tout ce qui, concernant ma cousine, me semblait important, en particulier ses doutes sur l’envie de me quitter. Pour elle qui travaillait pour moi depuis mes quinze ans, alors que j’en avais aujourd’hui quarante, le plus dur de cet avenir c’était de ne plus me voir aussi souvent. De ne plus pouvoir répondre au moindre de mes besoins, de ne plus être présente quand ma maladie prenait le dessus ou quand mes enfants m’épuisaient. J’avais vécu plus de temps auprès d’elle qu’après de ma femme, mais il était désormais temps de se séparer, de vivre chacun notre vie de notre côté, comme les adultes que nous étions devenues, en grandissant l’une avec l’autre.
Après ma longue discussion avec le Roi Eric, ma journée n’était toujours pas terminée. J’allais désormais devoir investir la cuisine avec Lizéa pour tester une nouvelle recette de pâtisserie. Je récupérais ma fille dans le bureau d’Océane, qui avait troqué ses dessins contre un livre, avachi dans ma chaise de bureau. Océane avait dû être très convaincante pour faire lire Lizéa. À mon entrée, elle leva les yeux de son livre et le posa. Elle avait compris que mon retour annonçait le début de notre activité en pâtisserie. Elle fut la première à l’arrivée en cuisine et sortie aussitôt tous les outils que nous allions avoir besoin. Du moins, ceux qu’elle pensait qui pourrait nous être utile.
— Bon, commença-t-elle, en prenant le ton d’un Chef. Qu’est-ce qu’on fait ?
— J’ai apporté le livre de recettes que tu as mère m’a offerte. Regarde s’il y a quelque chose qui te fait envie.
— Mais… si ce que j’ai envie n’est pas dans le livre ?
— Quelle est ton idée ? — Des cookies ?
— Liz, soupirais-je.
— Je rigolais, maman. J’aimerais bien essayer le fondant au chocolat.
— Il y a toujours du chocolat avec toi, rigolais-je. Ça tombe bien, je crois que j’ai vu une recette dans le livre. Je te laisse chercher par contre.
— Houpi ! Merci, maman.
Elle attrapa le livre en vitesse et le feuilleta jusqu’à trouver la page correspondante. Ma fille était douée de ses mains. Elle était agile, patiente et délicate. Résultat, il y avait plus de farine sur le plan de travail que dans le bol. Du beurre rendait les ustensiles et collait sous mes doigts. Pour la rendre plus responsable de ses actions, je la laissais nettoyer seule son bazar, pendant que je surveillais la cuisson de notre fondant au chocolat. Même pour passer un coup d’éponge, elle n’était pas douée et je dois repasser derrière elle. Contente du résultat final, je la laisser emmener une boite de fondant à sa mère, qui travaillait toujours dans le bureau. Je gardais le reste pour le dessert de ce soir, en prévision de l’annonce officielle des fiançailles d’Emma du Roi Eric de Thérénia.
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