Chapitre 27
Benjamin était parti depuis déjà une semaine. Chaque soir, dès qu’il avait un peu de temps, je l’avais au téléphone pour qu’il me raconte sa journée. Jusque-là, il avait eu l’occasion d’explorer des campagnes reculées où les habitants ne savaient même pas qu’il était le Prince. Très chaleureux, ils les avaient invités à diner chez eux, leur offrant même un peu de nourriture pour la suite de leur voyage. La plupart du temps, ils dormaient à la belle étoile et en toile de tente. Le confort en total opposé de ce qu’il avait toujours connu. Pour le moment, il semblait satisfait. Mon fils s’intéressait à tout. Dans un carnet, il notait toutes ses découvertes. Que ce soit sur les plantes, les animaux ou même l’histoire du lieu. Il savait que les contes et légendes des locaux intéresseraient Élise à son retour.
Aujourd’hui, Élise avait invité son petit ami à diner. Il semblerait qu’il avait quelque chose à me demander, mais il n’avait pas voulu en parler à ma fille et ça le concernait uniquement. Ça devait être important s’il voulait parler à l’Impératrice que j’étais et non à la mère de sa petite amie. Élise était la plus stressée des deux. C’est la première fois qu’il rencontrait officiellement notre famille, mais surtout, elle craignait la réaction de sa petite sœur. Elle avait peur que Lizéa voie son couple comme un abandon de sa part, d’autant plus après le départ de son frère.
— Chérie ? interpellais-je Lizéa en toquant à sa porte.
— Dans la salle de bain, me répondit-elle.
Je la retrouvais, essayant de me coiffer elle-même. C’était drôle à voir, mais je décidais de la laisser faire un moment. Au moins jusqu’à ce qu’elle me demande de l’aide. Sa queue de cheval était trop lâche et des cheveux partaient dans tous les sens.
— Tu en penses quoi, maman ?
— C’est… original.
— C’est moche c’est ça ? Bon bah je recommence.
— Tu veux que je t’aide peut-être ?
— Bon, d’accord.
— Ça te va une natte ?
— Oui.
Je la laissais s’asseoir sur la chaise devant le miroir. Je récupérais sa brosse, un élastique et me mis au travail. Je ne faisais pas de coiffure aussi sophistiquée que ce qu’avait pu faire Emma quand je n’étais encore qu’une Princesse, mais ça importait peu à Lizéa. Ce qu’elle aimait, c’était passer du temps avec moi et elle le réclamait de plus en plus.
— Chérie, je vais te demander de rester sage et à table jusqu’à la fin du repas. Est-ce que tu penses que ce sera possible pour toi ?
— Pourquoi ? On a un invité ?
— Tu as déjà oublié ? Élise nous présente son amoureux.
— Ah oui, c’est vrai. Je fais essayer.
— Tu pourras me le dire si tu sens que tu ne tiens plus en place. On pourra par exemple aller se promener avant le dessert. Je sais que c’est compliqué pour toi. Tu fais des efforts, je dois aussi en faire.
— Merci maman.
— Est-ce que tu veux qu’on se donne un mot de passe ? Comme ça, si tu sens que tu as besoin de bouger, tu me le dis. Ça te convient ?
— Oh oui, trop cool. Heu… lapin ?
— Es-tu sûr de pouvoir placer le mot lapin dans une conversation ?
— Ah oui, non. Alors… oh si, je sais. J’aurais qu’à dire au namoureux d’Élise que je veux lui montrer les fleurs du jardin.
— Mais c’est une super idée ça. Je suis fière de toi mon lapin. Et c’est un amoureux, ma chérie, pas un namoureux.
— Pff, c’est pareil, se moqua-t-elle.
Je terminais rapidement sa coiffure pour la laisser aller gambader dans le jardin, se délier les jambes et décharger toute son énergie supplémentaire avant l’arrivée d’Éthan et d’Élise. Je restais avec elle, la surveillant de loin tout en attendant l’arrivée du couple.
Ils arrivèrent en voiture dans la cour du château. Lizéa me rejoignit rapidement, elles les entendent. C’était Éthan qui conduisait, ma fille n’ayant pas encore le permis. Ce qui n’allait pas tarder. Galant, Éthan se dépêcha de sortir de la voiture pour ouvrir la portière à Élise.
— Bonjour, Votre Majesté, commença-t-il, le visage rayonnant.
— Bonjour Éthan. Tout est prêt pour déjeuner, suivez-moi.
Élise glissa sa main dans celle d’Ethan, sous le regard scrutateur de sa petite sœur. Mais elle ne dit rien, conformément à ce que je lui avais demandé. J’envoyais un message à Océane pour la prévenir de leurs arrivées et les inviter à s’asseoir. Éthan attendit qu’Élise s’approche de sa place pour lui tirer sa chaise. D’un regard, on se mit d’accord pour discuter de ce qui l’amenait après le repas.
En attendant ma femme, Éthan tenta de se rapprocher de Lizéa. Élise lui avait dit qu’elle aimait les puzzles et il lui en avait ramené un. Ce cadeau lui permit de se détendre, d’être moins sur la défensive face à celui qu’elle considérait, pour le moment, comme un intrus dans notre famille.
Pendant le repas, Ethan se présenta officiellement. Du moins, il se présenta avec l’histoire qui lui avait été inventée lors de sa fuite d’Eldusia, en intégrant le système de protection des témoins. Il n’évoqua ni son père ni ses frères. Sa mère travaillait en tant que vendeuse dans une boutique d’artisanat en bois, tout en cumulant divers travaux de ménage dans des résidences de propriétaire plus riche. Le système de protection des témoins les avait certes aidés à fuir la violence, mais la pauvreté les avait rattrapés. Ethan faisait ce qu’il pouvait pour aider sa mère, tout en continuant ses études.
Océane lui posa beaucoup de questions. Elle ne savait pas qu’Éthan et sa mère étaient protégés par se systèmes et elle n’avait encore jamais eu l’occasion de discuter avec lui. Dans l’interrogatoire qu’elle lui faisait subir, ses rôles de mère et d’Impératrice ressortent. Je du même intervenir un moment, pour l’empêcher d’obliger Ethan à avouer sa véritable identité, d’autant plus qu’Élise n’était elle-même pas dans la confidence. Ethan m’en avait parlé uniquement pour que je lui accorde ma confiance et parce qu’en tant qu’Impératrice, je pouvais l’aider en cas de besoin. Ce qui, je sentais, était le cas en ce moment. Que s’il voulait me parler en tête à tête, le problème avait un lien avec sa situation actuelle.
Peu avant le dessert, Lizéa proposa à Ethan de lui faire visiter les jardins. C’était le mot de passe que nous avions convenu pour qu’elle puisse sortir de table sans paraitre impolie. Depuis que je savais pour son trouble de l’attention et son hyperactivité, j’avais changé ma façon de penser et de faire. C’était à nous de nous adapter à elle, de lui rendre la vie plus facile et non l’inverse. Cette nouvelle philosophie m’avait aussi évité de nombreuses crises de colère et de frustration, autant de son côté que du mien.
Tout en sautillant d’une jambe à l’autre, Lizéa expliqua tout ce qu’elle savait. Nous avions droit à un cours en direct, aussi bien sur les fleurs, les herbes ou les animaux. Je m’interrogeais un instant sur où elle avait pu apprendre tout ça, mais le sourire de ma femme me donna une réponse. Elle en était à l’origine.
— Figure-toi que quand un sujet l’intéresse, elle peut passer plusieurs heures à travailler dessus, chuchota Océane.
— Comme les plantes et les animaux ?
— C’est surement passager, mais pendant ce temps, tout ce qu’elle vient de nous expliquer, c’était dans le livre que je lui ai acheté et tout est juste.
— Tant qu’elle apprend quelque chose, ça me va. Si ça pouvait être pareil avec les cours.
— C’est pas pareil, chérie. Tu ne te rends pas compte, me taquina ma femme. C’est bien plus intéressant quand on n’est pas forcé d’apprendre quelque chose.
— Pendant ce temps, elle en profite bien de son trouble de l’attention. On la laisse un peu trop faire.
— Tu seras plus présente maintenant que tu ne travailles plus. Tu auras plus de temps pour l’aider à se concentrer, à faire ses exercices et à apprendre ses leçons. Ça l’aidera vraiment que tu l’accompagnes et je sais qu’elle apprécie quand c’est toi qui lui expliques. Selon elle, tu expliques mieux que la maitresse.
— Je vais réfléchir à une nouvelle organisation alors. Je ne voudrais pas qu’elle prenne trop de retard avec ses difficultés.
— Avec toi à ses côtés, elle y arrivera.
De retour pour le dessert, Ethan avait réussi à adopter Lizéa. Celle-ci lui grimpa même sur les genoux, repoussant sa sœur au rôle de cinquième roue du carrosse. Même si ça frustrait Élise de ne plus être au centre de l’attention de son copain, je voyais aussi que l’approbation de Lizéa comptait beaucoup pour elle. Surtout quand c’était sa principale préoccupation. En fin de repas, Ethan eu du mal à se libérer de ma fille, pour qu’on puisse discuter seul à seule. C’est Élise qui a réussi à la convaincre, en lui proposant de l’aider à commencer son puzzle, dans sa chambre. Pour plus d’intimité, j’invitais Ethan à me suivre dans mon atelier, tout en demanda quelques boissons à un domestique au passage.
— Je t’écoute. Sert-toi à boire si tu as besoin, commençais-je pour le mettre à l’aise.
— D’abord, je voulais vous remercier de me recevoir. Et de n’avoir rien dit à Élise.
— J’ai cru comprendre que tu n’étais pas censé dire que tu faisais partie de ce programme et que tu avais fait une exception avec moi.
— Je lui dirais. Quand la situation sera redevenue plus calme.
— Êtes-vous en danger, ta mère et toi ?
— Oui. L’un de mes frères nous a retrouvés. Je l’ai surpris à plusieurs reprises en tarin de me suivre et de m’espionner. Je fais toujours très attention, mais d’autant plus depuis que je suis avec votre fille. J’ai peur que s’ils savent quel lien nous entretenons, ils ne s’en prennent à elle pour nous atteindre ma mère et moi.
— A-t-il déjà tenté de t’approcher ?
— Non, pas encore. Mais ça ne saurait tarder. Hier soir, je l’ai vu rôder autour de la maison. J’ai beaucoup hésité à laisser ma mère seule à la maison avant de la pousser à passer la journée avec une amie. Si elle est avec quelqu’un, il n’osera pas l’approcher.
— De quoi aurais-tu besoin ?
— Je ne sais pas si j’ai vraiment besoin de quelque chose. J’aimerais juste éviter que mon frère ne prévienne mon père ou qu’il s’en prenne à ma mère. Normalement, grâce au système de protection des témoins, ils sont interdits de territoire Eryenniens. Je ne sais pas comment il a fait pour arriver jusqu’ici.
— Je peux te proposer une protection supplémentaire. Au moins un soldat de mon armée, habillé en civil qui assurera la sécurité de ta maison et celle de ta mère. Il saura se faire discret et suivra ta mère où qu’elle aille. Et au moins problème, il interviendra. Je me renseignerais aussi sur ce sythème avec le Roi et la Reine d’Eldusia. Si je ne suis pas au courant, il est possible que ma femme non plus. C’est qu’il y a un problème dans son organisation.
— Je vous remercie, Votre Majesté. Si j’avais su, je serais peut-être venu vous en parler plus tôt.
— Est-ce que nous te semblons… inaccessibles, ma femme et moi ?
— Un peu, Votre Majesté. Parce que vous êtes les Impératrices.
— Tu soulèves là un point très important, Ethan. Cette fois-ci, c’est à moi de te remercier. Je vais essayer d’y remédier. D’autre Eryenniens pourrait être dans le même cas que toi, je pourrais les aider, mais ils n’osent pas venir demander de l’aide. Je t’enverrais un soldat avec une lettre de ma part. Il sonnera directement chez toi, comme ça, ta mère et toi saurez qui il est. Ça vous évitera de mauvaises surprises. Il y en aura peut-être un deuxième, pour la nuit. Si tu en ressens le besoin, n’hésite pas à m’en faire.
— Merci beaucoup, Votre Majesté.
— Tu souhaites que je te raccompagne jusqu’à ma fille ?
— Elle m’a montré comment rejoindre sa chambre la dernière fois.
— Très bien. Elle sera plutôt dans celle de Lizéa, mais toutes les chambres sont dans le même couloir. Dans ce cas, je te libère et je vais travailler sur ton problème.
Je le laissais partir en premier avant de chercher ma femme. Celle-ci n’était ni dans le bureau ni dans la chambre. Bianca, qui passait par là, m’informa qu’elle était à la bibliothèque. J’en profitais pour lui demander d’ouvrir une session de recrutement de dame de compagnie. Avec le départ prochain d’Emma, j’allais avoir besoin de quelqu’un pour m’occuper de moi. Je ne pouvais confier cette tâche à Bianca, qui avait déjà beaucoup de travail avec la gestion du château, mais surtout, qui n’était pas formée à cette tache-là. Et je voulais qu’Emma puisse former sa remplaçante, et donner son avis sur son recrutement avant son départ pour sa nouvelle vie de Reine.
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