Mauvaise rencontre - partie 2
Il relève ma jupe sous les rires de son acolyte qui me fait mal aux bras tout en glissant ses doigts dans mon collant. Je hurle, mais une main bestiale s’abat sur ma bouche, laissant uniquement mes yeux crier toute la terreur que je ressens. Du coin de l’œil, j’aperçois le troisième type traîner Clémentine à une dizaine de mètres de nous. Il l’envoie valser sur un banc avant de se ruer sur elle. Je l’entends hurler aussi et ma panique redouble alors que les doigts de mon agresseur se glissent dans la chaleur de mon intimité. Je le sens empoigner mon collant pour l’enlever d’une manière ou d’une autre et me tortille autant que je peux pour l’empêcher d’atteindre son but. Dans mon dos, celui qui m’immobilise ramène mes bras sur les côtés et plaque son sexe en érection contre mes fesses. Des larmes s’échappent de mes paupières alors que je tente de hurler à nouveau.
Puis, brutalement, celui qui me tient sursaute contre moi et me libère. J’agrippe les cheveux de l’homme qui me fait face et, pleine d’une rage indescriptible, je les tire en arrière en espérant les arracher de son crâne. L’effet de surprise le fait lâcher ma culotte pour tenter de se libérer de moi, mais je tiens bon. J’ai envie de le tuer ! je crois qu’il doit le lire dans mon regard, car une ombre de terreur s’y glisse. Je lâche ses cheveux et lui griffe le visage en le repoussant. Je crie en me tournant vers Clémentine. Son agresseur est toujours sur elle, une main coincée entre leurs ventres dans un geste explicite. Sans réfléchir, je me rue vers eux avec la ferme intention de débarrasser la terre de cette pourriture. Jamais je ne me suis sentie aussi enragée et j’abats mon poing entre les omoplates de l’homme qui râle sous l’impact. Un second coup le frappe, puis un troisième. Mais je ne tape pas assez fort, car il se relève et me gifle. J’effectue un quart de tour sur moi-même et comprends alors pourquoi j’ai échappé au pire.
À quelques mètres de moi, deux yeux rubis brillants de rage accrochent mon regard. Je reste bouche bée une seconde, le temps de réaliser que mes deux agresseurs gisent inertes au pied du vampire. Mon Dieu, il les a tués ? Même si c’est ce que je voulais au plus profond de moi il y a un instant, cette découverte est une vraie douche froide. Heureusement, les pleurs de Clémentine me détournent de la macabre vision. Je me jette sur le banc pour la prendre dans mes bras. Le troisième homme se trouve entre nous et le vampire. Soudain, je ne donne pas cher de sa peau.
Clémentine sanglote contre moi alors que la créature s’avance vers le dernier agresseur qui semble enfin se rendre compte qu’il manque ses deux comparses.
– Putain, connard ! T’as fait quoi ? Enculé ! Je vais te faire la peau !
Je pense qu’un homme dans un état normal n’oserait jamais dire cela à un vampire : il lui aurait suffi de regarder à qui il avait à faire pour prendre ses jambes à son cou ! Sa posture agressive, voûtée vers sa victime, ses griffes prêtent à lacérer les chairs et ses yeux rouges sont autant d’indices propices pour savoir quand se mettre à courir. Cependant, l’homme ne semble rien voir de tout cela. Il s’élance en criant vers le vampire et, instinctivement, je m’assure que Clémentine ne regarde pas dans cette direction. Quant à moi, je ne perds pas une miette de l’action. Une action brève, trop rapide pour que je puisse l’appréhender dans sa totalité, et fatale pour l’humain. Le vampire a évité sa charge, tourné autour de lui, et je le vois planter ses crocs dans le cou de l’ivrogne.
Un frisson d’horreur me parcourt l’échine alors que, paradoxalement, une légère excitation me saisit le ventre. Un instant plus tard, l’homme tombe à terre comme une poupée de chiffon vidée de sa mousse. je contemple notre sauveur dans un état second. Sa bouche ruisselle du sang de son dernier crime alors que son regard rubis semble encore plein d’une rage contenue. Il se rend compte du spectacle qu’il m’offre et se redresse. Je le vois prendre une large inspiration en fermant les yeux puis sortir un mouchoir de la poche de son jean. Sous mon regard incrédule, il s’essuie la bouche, replie le tissu, respire à fond. Il rouvre les yeux : je les trouve moins flamboyants qu’un instant plus tôt. Il s’avance vers nous. J’en profite pour le détailler, avide de reconstruire son image dans ma mémoire. Il porte une chemise noire qui épouse parfaitement ses formes ainsi qu’une veste en cuir. Je trouve qu’il a gagné en épaisseur depuis notre dernière entrevue : certainement le résultat d’un régime alimentaire riche en fer.
Je sens Clémentine bouger contre moi en reniflant. Le vampire s’accroupit devant nous sans me quitter du regard. Je me repais de sa présence, détaillant son visage avec une voracité qui m’est inconnue. Il est encore plus beau que dans mes souvenirs, toujours aussi pâle, mais ses cheveux sombres encadrent désormais une mâchoire plus carrée ornée de lèvres bien dessinées.
Clémentine se redresse, décoiffée, les yeux baignés de larmes. Je lui prends les mains pour la forcer à me regarder.
– Clem ? Je voudrais te présenter quelqu’un…
Elle respire vite, encore sous le coup de la peur qu’elle a ressentie. Pour ma part, même si la présence du vampire m’a rassérénée, je suis impatiente de me glisser sous la douche pour enlever toutes ces horribles sensations qui persistent sur ma peau. Mon amie tourne la tête vers notre sauveur et sursaute vivement. Je la retiens pour l’empêcher de fuir. Ses yeux s’agrandissent, sa bouche forme un « oh » de surprise.
– Voici celui dont je t’ai souvent parlé.
Je vois le vampire hausser un sourcil, comme s’il s’étonnait que j’aie pu confier son existence à quelqu’un. Peut-être n’aurais-je pas dû ? Je souhaite éclaircir immédiatement ce point délicat au cas où… Je me tourne vers lui.
– Je vous présente Clémentine, mon amie d’enfance, ma sœur en quelque sorte. Clémentine est une personne que j’aime énormément et elle m’a beaucoup aidée depuis… depuis notre rencontre.
Il l’observe, soupesant visiblement l’importance qu’il va accorder à mes propos. Contre moi, Clémentine frémit de peur. Cependant, elle tient bon. Il se redresse en me tendant la main.
– Votre amie n’a rien à craindre de moi.
Je glisse avec plaisir ma main dans la sienne et entraîne Clémentine avec moi. Celle-ci pousse un petit cri d’effroi en découvrant les cadavres. La voix grave du vampire la fait rapidement détourner les yeux.
– Vous allez sortir par la porte près de votre appartement. Il y a une caméra de surveillance à cet endroit : veillez à être correctement habillée et comportez-vous comme des filles rentrant d’une bonne soirée. Je me charge du reste.
Sa main glisse de la mienne.
– Vous partez ?
Ma voix est un peu trop aiguë pour qu’il n’y lise pas ma déception. Il marque un temps d’arrêt.
– C’est mieux ainsi, Valentine.
Comme entendre mon prénom dans sa bouche m’a manqué ! Je me ruerais contre lui si Clémentine ne tenait pas si fermement ma main. Elle m’entraîne doucement vers la sortie. Chaque pas qui me sépare de lui m’arrache le cœur. Non ! On ne peut pas se quitter comme cela !
Pourtant, pas après pas, c’est bien ce qui arrive : sa silhouette s’éloigne alors que Clémentine me pousse à marcher plus vite. Parvenues à une centaine de mètres de la sortie, nous nous arrêtons. Elle me regarde. Je sais qu’elle peut lire en moi toute la douleur que j’éprouve en ce moment mais je ne souhaite pas la lui cacher. Sans un mot, elle réajuste ma coiffure, le col de mon manteau et la ceinture de ma jupe.
– Remets ton collant comme il faut.
Je tire sur l’épais tissu, vérifie que ma jupe est bien en place, puis je scrute mon amie. Lentement, je passe une main dans ses cheveux, dénoue son chignon pour le refaire, boutonne sa veste et lui souris.
– Je n’ai jamais eu aussi peur de toute ma vie, me confie-t-elle.
Je me mords les lèvres, consciente de l’ambiguïté de sa déclaration. Au fond de moi, j’espère que le vampire a plu à Clem, comme si je cherchais son approbation pour l’aimer plus librement.
– Tu parles de quel moment de cette soirée, exactement ? demandé-je dans un murmure.
Elle soutient mon regard avec cette franchise que j’apprécie tant chez elle.
– À vrai dire, je n’en sais rien…
– Il nous a sauvées.
– Je sais… Mais tu as vu ce qu’il a fait ?
Oh, oui, j’étais aux premières loges : la vision de ses crocs se plantant dans la gorge de l’homme n’est pas prête de me quitter.
– C’était pour nous aider.
Clémentine pince les lèvres, mais opine.
– Il est dangereux, reprend-elle.
– Oui, je sais. Mais il ne nous fera pas de mal.
Clémentine penche la tête comme pour essayer de découvrir la part de vérité dans mes propos. Elle remet son bras sous le mien, prête à affronter la caméra de surveillance qui trône à la sortie du parc. Ses derniers mots éveillent en moi un sentiment d’excitation que je n’oserai jamais lui avouer :
– Et tu te rends compte qu’il sait où nous habitons ?
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