Chapitre 7 - L'humain parmi les ombres
Il y avait un rythme.
Pas de cloches. Pas d’horloge.
Mais un rythme, profond et organique, que Takuya commençait à discerner.
Le village gobelin battait comme un cœur malade : irrégulier, parfois saccadé, mais vivant malgré tout.
Chaque groupe avait son heure. Chaque tâche, son cycle.
Takuya était assis sur une pierre plate à l’entrée de la grotte où il dormait. Le sol était sec. L’air portait une odeur de cendre, de cuir, et de sève écrasée.
Il ne faisait rien. Il regardait.
Et il comptait.
> « CAINE. Relevé comportemental : zone B2, groupe des trois porteurs. »
> [Activité : collecte.
Outils utilisés : crocs d’os / sacs en fibres végétales.
Comportement : silencieux, synchronisé, non hiérarchisé.
Cible : racines spiralées (toxiques à faible dose).]
> « Ils n’échangent pas un mot.
Même pas un regard. »
> [Observation confirmée.]
Takuya fronça les sourcils.
Cela faisait six jours qu’il vivait dans le camp. Six jours qu’il dormait, mangeait, respirait aux côtés de ces créatures.
Et pourtant, il n’avait toujours pas déchiffré leur fonctionnement réel.
Ils ne semblaient pas motivés par l’ordre, ni par l’ambition. Pas de récompense évidente, pas de punition visible.
Et pourtant, ils obéissaient à quelque chose.
Il leva les yeux vers le centre du camp.
Un ancien gobelin, à la peau flétrie comme du cuir séché, frappait doucement un tambour de pierre. Trois coups. Puis deux.
Des jeunes surgirent d’une caverne voisine et commencèrent à transporter des jarres vers un puits.
> « Pas un mot.
Mais ils savent.
Ils savent ce que ces sons signifient. »
> [Communication rythmique identifiée. Probable structure symbolique non verbale.]
Takuya soupira.
Il avait cru, en arrivant ici, qu’il pourrait briser ce monde en l’observant assez longtemps.
Mais la vérité était plus dense que prévue.
Le monde ne s’offrait pas. Il se protégeait.
Une gobeline passa non loin de lui, portant un panier de fruits noirs. Elle ne le regarda pas. Ne ralentit pas. Ne manifesta aucune hostilité.
Mais pas non plus de reconnaissance.
Il était là.
Juste là.
Un humain dans un nid d’exilés.
Et il n’était toujours rien.
> « CAINE. Recensement social.
Qui m’a adressé un mot aujourd’hui ? »
> [Réponses directes : 0.
Contacts visuels : 3.
Interactions physiques : 1 (collision involontaire).
Reconnaissance gestuelle : 0.]
> « Donc je suis… un fantôme. »
> [Statut actuel : toléré sans intégration.]
Il hocha la tête.
Il avait tenté. Saluer. Répéter des mots simples. Aider.
Mais leur système n’avait pas de place pour lui.
Pas encore.
Il se leva. S’étira. Son dos craqua.
Les journées étaient longues. Non parce qu’elles étaient pénibles, mais parce qu’elles n’avaient pas de frontières.
Pas de repas fixes. Pas de sonneries. Pas de clarté.
Juste… le flux.
Il descendit vers la petite place centrale. Un cercle d’os noirs marquait une zone de passage, où l’on déposait racines, pierres taillées, peaux, herbes.
Il s’assit sur un bord. Sortit son couteau de fortune.
Et commença à tailler un morceau de bois, juste pour occuper ses mains.
Un gobelin plus jeune, aux yeux jaunes, passa près de lui. Il ralentit.
Regarda ce qu’il faisait.
Takuya se figea.
Le gobelin s’approcha, curieux. Toucha le bois. Renifla.
Puis… il repartit.
Sans un mot.
Mais cette fois… il avait laissé une trace.
Une réaction.
Une question muette.
> [Micro-accroche sociale détectée.]
> « Tu veux dire qu’il a… envisagé que je sois là ? »
> [Affirmatif.]
Takuya se redressa.
Ce n’était rien. Mais c’était un début.
Il regarda à nouveau les porteurs, le tambour, le cercle d’échange.
Il regarda les murs de pierre gravés, les torches qui ne servaient qu’à mi-temps, les enfants gobelins qui ne couraient jamais.
Et il comprit.
Ce monde n’était pas seulement fermé.
Il était résigné.
Pas de cris. Pas de joie. Pas de but.
Juste… survivre dans l’oubli.
Et lui, dans tout ça ?
Il n’était pas une menace.
Pas un élu.
Juste un élément qu’ils ne savaient pas encore nommer.
Il se leva. Lentement.
Et murmura :
> « D’accord.
On va faire ça autrement. »
Demain, il irait trier les pierres avec les autres.
Demain, il cueillerait les racines.
Demain, il ne parlerait pas.
Mais il verrait tout.
Parce que même si personne ici ne voulait lui parler…
le monde, lui, parlait en silence.
Et lui, il savait l’écouter.
---
Le sol râpait la paume, même à travers le tissu.
Takuya grimaça en triant les pierres pour la troisième heure consécutive. Sa tunique — ou ce qu’il en restait — était maculée de poussière, de sucs végétaux et de terre grasse. La sueur perlait sur son front.
Autour de lui, cinq gobelins travaillaient en silence.
Pas de regard.
Pas de parole.
Juste le bruit sourd des pierres qu’on déplaçait, qu’on frottait, qu’on écrasait.
Une sorte de rythmique instinctive.
Un langage sans mot.
Takuya avait été guidé ici dès l’aube. Un gobelin à la mâchoire brisée lui avait simplement montré un tas de racines, un tas de pierres, un carré de tissu pour s’agenouiller.
Et rien de plus.
> « CAINE. Analyse de la tâche. »
> [Fonction : traitement de composants de construction rudimentaire.
Tri par densité / résonance / texture.
Objectif : sélectionner les pierres adaptées à l’imprégnation alchimique ou thermique.]
> « Donc ce n’est pas juste empiler des cailloux. »
> [Affirmatif. Processus utilitaire avancé.]
Takuya prit une pierre noire, plus lisse que les autres. Il la fit rouler entre ses doigts, puis la heurta contre une autre.
Un son mat. Dense.
Mais pas sourd.
> « Composition ? »
> [Granite corrompu. Inclusion métallique faible. Conductivité thermique basse.
Utilisable pour structure défensive ou stockage d’énergie stabilisée.]
Il sourit. Faiblement.
Les gobelins ne l’avaient pas affecté ici au hasard.
Ils l’avaient placé là où l’erreur se punit par l’échec, pas par la mort.
Il continua à trier. Lentement. Régulièrement.
Il laissait CAINE enregistrer chaque type de pierre, chaque texture, chaque micro-son produit à l’impact. Il comparait les méthodes des gobelins.
Certains tapaient légèrement la pierre contre leur front avant de la classer.
D’autres l’humidifiaient avec de la salive avant de la manipuler.
Un seul la flairait.
> [Comportements sensoriels spécifiques à chaque individu.
Absence de méthode uniforme.
Fonctionnement empirique.]
> « Ce sont des chercheurs, sans le mot. »
> [Observation probable.]
Un des gobelins à sa gauche l’observa un instant. Takuya venait de classer trois pierres d’un coup. Correctement.
Le gobelin ne dit rien. Mais il hocha imperceptiblement la tête.
> [Reconnaissance tacite. Statut micro-social : ajustement léger en cours.]
> « Ça veut dire que je suis moins un problème. »
> [Ou plus un outil.]
Takuya haussa les épaules. Il pouvait vivre avec ça.
Il commença à trier plus vite. Il utilisait une méthode de test sonore rapide : frapper une pierre contre deux autres, et écouter le retour.
CAINE compilait les spectres.
Il arriva à classer huit pierres en une minute.
Les gobelins s’arrêtèrent.
Regardèrent.
Puis reprirent leur tâche.
Mais à son rythme.
> [Vous avez modifié la cadence locale.]
> « Sans dire un mot. »
Il y avait dans cette victoire un goût étrange.
Pas celui du pouvoir.
Pas celui de la reconnaissance.
Mais une validation tranquille.
Un gobelin, plus âgé, s’approcha. Il tendit une pierre rouge. Inconnue.
Takuya la prit.
La regarda.
CAINE analysa.
> [Pierre volatile. Hautement réactive à l’humidité. Stockée dans conditions sèches uniquement.
Danger : modéré. Réaction : effervescence acide.]
Takuya hocha la tête. Il rendit la pierre au gobelin, qui la replaça dans une petite boîte en os.
Un test.
Réussi.
Le gobelin retourna à sa tâche. Sans un mot.
Mais Takuya sentait le changement.
Petit. Subtil. Mais réel.
Il ne leur appartenait pas.
Mais il ne leur était plus étranger.
Il termina le tri du tas, rassembla les pierres classées, et les posa dans les caisses prévues. Il observa comment les autres les rangeaient, comment ils stabilisaient la base, ajoutaient des fibres tressées pour empêcher les secousses.
Des gestes millimétrés.
Répétés des centaines de fois.
> « Ils n’ont pas besoin de mots.
Leur monde est fait de gestes.
De rythmes.
De silences pleins. »
> [Et vous y avez laissé une empreinte.]
Takuya sourit, malgré lui.
Il se leva. Ses genoux craquèrent.
Le soleil inexistant projetait la même lumière permanente, ce faux crépuscule suspendu.
Mais dans l’air… il y avait quelque chose de nouveau.
Pas une odeur.
Pas un son.
Une tension réajustée.
Il regarda ses mains noircies de poussière.
Il n’avait rien conquis.
Rien changé.
Mais il avait existé.
Dans ce cycle. Dans ce flux.
Et ça, ici, c’était déjà une percée.
---
Le jour n’existait pas vraiment ici, mais quelque chose dans l’air changeait.
Une lourdeur. Une fatigue qui s’accumulait.
Takuya remontait lentement une pente pierreuse, un panier de pierres sélectionnées calé contre sa hanche. Il avait mal au dos, les doigts engourdis.
Mais il continuait. Méthodique. Régulier.
Les autres gobelins faisaient de même.
Un flux discret. Organisé.
Et pourtant, depuis quelques heures, il sentait un regard dans son dos.
Il s’arrêta, posa le panier.
Se retourna, sans précipitation.
Le gobelin était là.
Un peu plus grand que les autres.
Corpulence noueuse.
Peau plus foncée, presque grise.
Trois cicatrices sur le crâne, et un regard fixe.
Il ne travaillait pas.
Il regardait.
> « CAINE. Connu ? »
> [Individu répertorié : Grath.
Rôle : tâche physique, groupe de chasse secondaire.
Profil : dominant impulsif.
Comportement : agressif à faible seuil de provocation.]
> « Merveilleux. »
Takuya reprit sa marche.
Mais il savait.
Grath allait le tester.
Et cela arriva à peine quelques minutes plus tard.
Dans le couloir rocheux entre deux zones de dépôt, alors qu’il portait un second panier, Grath fit mine de passer à côté de lui.
Puis le heurta violemment à l’épaule.
Le choc fut brutal.
Takuya perdit l’équilibre, glissa sur la poussière. Le panier tomba. Les pierres roulèrent.
Personne ne dit rien.
Deux gobelins plus loin levèrent les yeux.
Puis les baissèrent aussitôt.
Grath se retourna.
Lentement.
Un demi-sourire déformait sa bouche.
Takuya se releva.
Doucement. Sans trembler.
Il redressa le panier. Une pierre manquait. Il la ramassa.
> « CAINE… réaction optimale ? »
> [Riposte déconseillée.
Statut social fragile.
Comportement défensif recommandé.]
> « Parfait. »
Grath s’approcha à nouveau.
Pas de cri. Pas de mot. Juste son ombre plus large qui se posa devant lui.
Il leva la main.
Pas en poing. En test.
Une gifle, rapide.
Takuya la vit venir.
CAINE analysa en instant :
> [Trajectoire – latérale / dominante.
Impact anticipé : joue gauche / modéré.]
Il esquiva.
Pas par instinct. Par calcul.
Son corps était lent.
Mais il avait vu avant.
Grath grogna. Avança d’un pas.
Mais Takuya ne recula pas.
Il leva les deux mains. Non pas en défi.
Mais en cadrage.
Pas un mot.
Le silence entre eux était plus bruyant que cent cris.
Grath le fixa. Longtemps.
Puis, il cracha au sol.
Un filet noirâtre.
Et il s’éloigna, sans un mot.
Takuya attendit qu’il disparaisse au coin du tunnel.
Il respira profondément.
Ses jambes tremblaient à peine.
Il se baissa, reprit le panier.
Avança.
Les deux gobelins plus loin l’observaient.
Pas avec hostilité.
Avec… calcul.
> « CAINE ? »
> [Statut du porteur : intact.
Niveau de menace perçu : modéré.
Risque immédiat : diminué.]
> [Statut social : stabilisation en cours.
Perception tribale : non-agressif, mais résilient.
Capable de se maintenir dans le cycle.]
> « Traduction ? »
> [Vous êtes moins seul.
Mais toujours seul.]
Takuya hocha la tête.
Il pouvait vivre avec ça.
Il atteignit la zone de dépôt. Déposa le panier.
Un gobelin à la peau pâle passa à côté.
Toucha brièvement son épaule.
Pas une caresse. Pas un coup.
Un contact.
> [Reconnaissance physique minimale.]
Takuya sourit.
Pas une victoire.
Mais un signal.
Et dans ce monde fait de silences, un signal valait un empire.
---
Il y avait des lieux dans le camp où l’on n’allait pas sans y être appelé.
La grotte de Zark en faisait partie.
Et ce matin-là, après le tri de pierre, Takuya vit un gobelin s’approcher de lui. Petit. Courbé. Les yeux laiteux. Il ne parla pas. Il se contenta d’un signe : un doigt pointé vers une faille étroite, plus haut, sur la pente rocheuse.
Takuya suivit.
La cavité s’ouvrait sur un espace plus large qu’il ne l’imaginait. La roche était noire, l’air épais d’odeurs étranges — sucrées, métalliques, parfois presque florales. Des lueurs vacillaient au plafond, émanant de petites pierres luisantes accrochées avec de la résine.
Zark l’attendait.
Debout, près d’un établi rudimentaire, le dos voûté, les mains tachées de pigments. Il ne leva pas les yeux tout de suite. Il termina ce qu’il faisait — plonger une tige d’os dans un liquide rougeâtre — puis se tourna vers lui.
Il tendit la main.
Un petit objet y reposait : une pierre noire, taillée avec soin, traversée par trois fines nervures de métal terne.
Takuya la prit, précautionneusement.
> « CAINE ? »
> [Outil rudimentaire – capteur d’odeur thermique.
Fonction : révélation olfactive des seuils de réaction alchimique.]
> « Donc une sorte de nez intelligent… en pierre. »
> [Analogie partiellement valide.]
Zark ne dit rien. Il se retourna et fit signe de le suivre plus profondément dans la grotte.
Ils traversèrent un couloir étroit, où des fioles suspendues cliquetaient doucement à son passage. Puis ils arrivèrent dans une salle circulaire, plus basse de plafond, aux murs couverts de marques, de griffures, de symboles effacés.
Un petit feu brûlait au centre, dans un creux de pierre.
Zark s’accroupit, et sortit de derrière un rocher trois composants :
– Une pâte brun foncé, compacte,
– Une poudre grise claire, très fine,
– Un petit flacon contenant un liquide vert épais.
Il les disposa en triangle, puis regarda Takuya.
L’invitation était claire.
Takuya s’agenouilla lentement. Il saisit d’abord la pâte.
> « CAINE ? »
> [Résine de Salkh. Propriétés : adhésive, malléable à chaud, légèrement toxique en inhalation prolongée.]
Il la malaxa un instant. Elle s’adoucit rapidement sous ses doigts.
Zark l’observait en silence.
Takuya ajouta une pincée de poudre.
> [Poudre de cendre fine. Fonction : catalyseur thermique. Accélère la solidification.]
La pâte changea immédiatement de texture, devenant plus épaisse, plus élastique. Elle commença à chauffer légèrement.
Enfin, il versa une goutte du liquide vert.
> [Extrait de peau de truffe noire. Composé instable. Liant volatile. Réagit à l’air en deux temps.]
La réaction fut subtile : un frémissement, puis une légère fumée blanche. La pâte, auparavant collante, prit une consistance ferme, proche de l’argile.
Zark hocha lentement la tête.
Takuya comprit.
Ce n’était pas une arme.
Pas une potion.
Mais une substance réparatrice. Une colle alchimique. Un scellant.
Il la testa contre la paroi. Une fissure fine.
Il l’appliqua. Pressa.
La pâte durcit instantanément.
La faille était comblée.
> « C’est… pratique. »
> [Analyse complète : substance de colmatage.
Utilité : réparation de murs, scellement de fioles, fixation d’outils.
Durée de vie : moyenne.
Coût énergétique : faible.]
Zark s’était relevé. Il l’observait.
Il ne dit toujours rien.
Mais ses mains croisées contre sa poitrine trahissaient quelque chose de rare.
Du respect.
Il s’approcha. Saisit un morceau de cuir, le tendit à Takuya.
Dessus, gravés grossièrement : les trois composants, et une spirale.
Le symbole de la fusion réussie.
Takuya le prit.
Et pour la première fois, il sentit qu’on lui donnait quelque chose.
Pas comme un test.
Mais comme un héritage.
Zark s’approcha encore.
Et posa sa main sur l’épaule de Takuya.
Une pression simple.
Rien de théâtral.
Mais dans ce monde de gestes rares, c’était une reconnaissance.
Takuya acquiesça, sans mot.
Quand il ressortit, la lumière du camp paraissait différente.
Il avait encore les doigts poisseux, l’odeudr acide dans les narines.
Mais dans sa poche, il avait :
— Une pierre-capteur,
— Un fragment de savoir,
— Et un signe invisible sur l’épaule.
Et pour la première fois,
il portait quelque chose qu’on lui avait confié.
---
La nuit dans le camp gobelin n'était jamais noire.
Elle était simplement… plus dense.
Takuya s’était allongé près de l’entrée de sa grotte. Sa journée avait été longue, éreintante, mais différente. Il avait travaillé, appris, observé. Et il en ressortait avec plus de questions que de certitudes.
Le feu du camp, plus bas, lançait ses dernières lueurs. Les voix, rares en journée, s’étaient tues totalement.
Il n’espérait pas dormir. Pas vraiment.
Alors il attendait. Respirait. Écoutait.
Une ombre glissa dans l’ouverture de la grotte.
Takuya se redressa à demi, tendu.
Mais il la reconnut immédiatement.
Rek.
Le jeune gobelin entra sans un bruit, tenant dans ses mains un morceau de racine noire, grossièrement rôtie.
Il ne dit rien.
Il s’assit simplement, dos contre la roche, à une distance respectueuse, et posa la racine entre eux deux.
Takuya attendit un instant.
Puis il sortit de sa sacoche un petit lot d’herbes comestibles — l’une des rares choses qu’il avait pu identifier sans danger — et les posa à son tour entre eux.
Pas un mot.
Pas un sourire.
Mais un échange.
Ils mangèrent lentement. La racine était âcre, mais nourrissante. Les herbes apportaient un goût amer que Rek sembla supporter sans réaction.
CAINE ne dit rien.
Mais Takuya sentait sa présence silencieuse, en veille.
Même l’IA comprenait que ce moment ne nécessitait aucune donnée.
Leur respiration était presque synchronisée.
Rek leva les yeux vers le plafond, puis tourna la tête vers l’ouverture de la grotte.
Il regarda l’horizon.
La lumière lointaine de la Tour pulsa faiblement, comme toujours.
Takuya la vit aussi.
Mais ce soir… il ne la fixait pas.
Il la partageait.
Rek tendit une main. Pas vers lui. Vers le sol.
Il déposa doucement un petit galet taillé. Une pierre blanche, polie, marquée d’un minuscule triangle gravé à la main.
Takuya regarda le geste.
Il ne comprenait pas sa signification exacte.
Mais il en comprenait l’essence.
> [CAINE : symbole social repéré.
Utilisé pour marquer un passage pacifique.
Probable équivalent de “je reviendrai” ou “je suis passé ici sans peur”.]
Rek se leva sans hâte.
Il jeta un dernier regard à Takuya.
Pas pesant. Pas curieux.
Juste… présent.
Puis il disparut dans l’ombre de la grotte.
Takuya resta seul.
Il tendit la main, effleura le galet du bout des doigts.
Il était froid. Lisse.
Il ne savait pas encore comment parler à Rek.
Mais il comprenait que ce lien-là, né sans langue commune, valait peut-être plus que tous les mots.
Il glissa la pierre dans la poche intérieure de sa tunique.
Et pour la première fois, en s’allongeant sur la pierre brute…
il sentit moins le froid.
Pas parce que la nuit était plus douce.
Mais parce qu’il n’était plus seul dans sa solitude.
---
Le silence, ici, n’était jamais total.
Même la nuit, la pierre murmurait.
Un grincement minéral. Une vibration profonde.
Comme si ce monde lui-même… respirait.
Takuya était allongé sur son lit de fortune, les yeux ouverts, fixant la paroi sombre.
Il tenait dans sa main le petit galet que Rek lui avait laissé.
Il ne dormait pas.
Il ne pensait pas vraiment non plus.
Il… filtrait.
> « CAINE. »
> [En écoute.]
> « Fais-moi un résumé. Tout ce qu’on a appris depuis l’arrivée ici. Pas seulement les faits. Les impressions aussi. »
Un silence court. Puis :
> [Compilation en cours.]
Résumé synthétique :
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> Durée depuis l’arrivée : 18 jours
Localisation : vallée tribale gobeline (nom inconnu)
Entités rencontrées : 57 (dont 39 identifiées, 3 hostiles, 1 alliée)
Système social : tribal, semi-hiérarchique, communication gestuelle dominante
Technologie : alchimique / artisanale, fortement adaptée au milieu hostile
Langue locale : non traduite intégralement (décodage en cours à 12 %)
Niveau d’hosti
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