Chapitre 10 - Ceux qui regardent

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La lumière qui perçait depuis les fissures du plafond n'était ni vive, ni agressive.

Elle avait la douceur des débuts.
La nuance de ceux qui ne cherchent pas à s’imposer, mais simplement à exister.

Takuya rouvrit les yeux pour la première fois depuis qu’il avait sombré.

Pas une alerte.
Pas une crise.

Un réveil.

Son corps était lourd, mais paisible.
Comme une machine qui aurait fonctionné trop longtemps, et qu’on aurait enfin laissée reposer.
Ses muscles lui renvoyaient des signaux discrets — douleurs fantômes, tiraillements maîtrisés.
Rien d’invalide.
Tout de réel.

Il tourna lentement la tête.
L’odeur du feu éteint flottait dans l’air.
Le bois, l’humidité de la pierre, la présence d’objets familiers.
Et là, contre le bord du lit de mousse et de tissu, il le vit.

Rek.

Le jeune gobelin était recroquevillé, endormi en travers d’un banc rudimentaire, une couverture à moitié tombée au sol.
Sa respiration était lente, régulière.
Une main pendait dans le vide, l’autre tenait encore — comme par réflexe — le manche de son petit couteau d'entraînement.

Takuya l'observa sans un mot.

Pas de surprise.
Pas d'émotion vive.
Juste… une forme de reconnaissance tranquille.

Rek était là.
Toujours.

Et cette simple évidence pesait plus que tous les rapports de CAINE.

Il ne bougea pas tout de suite.

Son regard parcourut l’intérieur de la pièce.
Des pierres sculptées avec soin encadraient les coins.
Un bol vide reposait sur une dalle plate.
Sa lance était posée contre le mur, nettoyée, réparée avec une sangle neuve.
Son sac avait été remballé.
Un petit galet, poli, peint d’un symbole qu’il ne connaissait pas, reposait sur le rebord d’une étagère.

Tout indiquait qu’il n’était plus un visiteur.

Il n’avait pas été rangé à l’écart.
Ni relégué à un coin.

On avait agi ici comme s’il allait rester.

Il inspira profondément.

Pas de cadre.
Pas d’écran.
Pas de demande d’analyse.

Et il n’en avait pas besoin.

Il savait qu’il avait survécu.
Qu’il avait évolué.
Qu’il avait gagné.

Mais rien dans son cœur ne réclamait une confirmation.

Pas aujourd’hui.

Un petit bruit attira son attention.
Rek s’était agité.
Il ouvrit les yeux lentement, d’abord confus, puis alerté.

Takuya bougea légèrement la main.

Le gobelin bondit presque en arrière, comme pris sur le fait.
Puis il se figea, le regard planté dans celui de Takuya.

Ils restèrent là, un moment, sans un mot.

Puis, doucement, Rek s’approcha à nouveau, et murmura :

— « Tu es… revenu. »

Takuya hocha simplement la tête.

— « Tu nous as sauvés. Tous. »
— « Je n’ai pas été seul. »

Rek baissa les yeux, comme gêné.
Mais son visage portait ce mélange rare : soulagement, respect… et quelque chose de plus lourd. Une forme de fierté retenue.

Il reprit, hésitant :

— « Ils parlent. Les anciens. Les autres. Zark aussi. Ils disent… que tu dois être celui qui part. Vers la lumière. »

Takuya cligna des yeux.

— « La Tour. »

Rek hocha la tête, puis détourna le regard.
Il n’avait pas prononcé le mot.
Comme si le dire rendait la chose réelle.
Comme si ce lieu lointain, inaccessible, avait entendu.

Takuya s’assit lentement.
Ses muscles protestèrent, mais lui obéirent.

Rek s’approcha aussitôt pour l’aider, mais Takuya leva une main.

— « Je vais bien. »

Et c’était vrai.
Pas indemne.
Pas entier.
Mais reconstruit.

Il observa la lumière sur le sol.
Le jeu des ombres sur les pierres.
Le silence qui n’était plus une absence, mais une présence contenue.

Un monde attendait.

Mais ce matin-là, dans cette pièce simple,
avec Rek,
avec le feu éteint,
avec cette lance posée à portée,

Takuya se permit une chose rare :
il resta.

Il ne courut pas vers les réponses.
Il ne chercha pas l’ennemi suivant.

Il s’accorda quelques minutes,
à respirer dans un monde qui, pour une fois,
n’était pas contre lui.

---

L’air extérieur avait cette odeur familière de braise refroidie.
Pas celle du feu de camp paisible,
mais celle d’une bataille terminée,
et des cendres qu’on n’a pas encore balayées.

Takuya franchit lentement le seuil de l’abri.
Rek le suivait de quelques pas, les yeux brillants, son petit sac attaché dans le dos.
Il n’avait rien dit depuis le réveil de Takuya.
Pas besoin.

Dehors, le village semblait suspendu.

Les tentes de cuir noirci, les arches de pierre et les piliers de bois sculptés n’avaient pas changé,
mais l’atmosphère était différente.

Pas de cris.
Pas de rires.

Des regards.

Des dizaines.

Certains, furtifs.
D’autres, directs.
Des pupilles jaunes, rouges, parfois ternes, parfois éclatantes,
fixées sur lui.

Pas comme un étranger.

Comme un problème.

Ou une réponse.

Ou les deux.

Il sentit un frisson, pas de peur,
mais de conscience aiguë.

CAINE s’activa, doucement :

> [Observation sociale : fluctuation de comportement collectif détectée]
— Indices de méfiance, de respect, et de distance émotionnelle accrues
— Réseaux d’influence internes en cours de remaniement.

Takuya inspira doucement.
Il avança entre les habitations rudimentaires, salua d’un signe de tête une gobeline âgée qui baissait les yeux en le croisant.
Deux jeunes, à peine plus grands que Rek, s’éloignèrent sans un mot.

Rek, lui, ne disait toujours rien.

Il avait les épaules droites.
Mais ses pas étaient courts.
Mesurés.

Ils croisèrent un petit groupe autour d’un tas de pierres noircies.
Des gobelins raccommodaient ce qui avait été une forge improvisée.

Un des anciens, au visage balafré, releva la tête quand Takuya approcha.
Son regard ne fuyait pas.

Il hocha lentement la tête.
Une salutation ?
Un avertissement ?
Takuya ne répondit pas. Il continua sa marche.

Une voix faible finit par sortir du silence :

— « Tu les entends pas. Mais ils parlent. »

Takuya jeta un regard en biais vers Rek.

— « Depuis combien de temps ? »

— « Depuis qu’on t’a ramené.
Tu respirais à peine.
Zark a dit que tu avais tué l’Alpha seul.
Même ceux qui ne t’aiment pas ont dû se taire.
Mais ils n’oublient pas.
Tu n’es pas… des leurs. »

Takuya s’arrêta.

Il tourna lentement la tête vers une sculpture à moitié détruite : une arche de pierre, gravée de symboles qui, il y a encore deux mois, n’évoquaient rien.
Aujourd’hui, il pouvait en lire trois.

« Mort »,
« Protecteur »,
et…
« Silence ».

Il se demanda un instant si ces symboles lui étaient étrangers à l’époque,
ou s’ils avaient simplement refusé de se montrer à lui.

Il toucha la surface.
Rugueuse.
Froide.

> [Langue locale : 72 % déchiffrée]
Progression passive continue en cours…
Prochaine étape : compréhension grammaticale profonde.

Il se redressa.

Rek l’attendait, un peu plus loin.

— « Tu es leur souvenir de victoire. Mais aussi… leur rappel de faiblesse.
Ils n’ont pas pu le faire.
Toi si. »

Takuya fixa le ciel, violet pâle, voilé de cendres fines.
La Tour ne se voyait pas d’ici.
Mais il la sentait.

> « Ce monde ne veut pas de héros. »

— « Non. Juste des survivants. »

Un cri plus loin attira leur attention : un enfant tombé sur des pierres, vite relevé par sa mère.

Rien d’anormal.

Mais Takuya comprit.
Il n’était plus une figure neutre.
Il était devenu un centre.

Et un centre attire.
Ou dérange.

CAINE confirma, presque sans émotion :

> [Hypothèse comportementale :]
Statut : anomalie reconnue.
Résultats : confiance locale partielle, crainte secondaire, polarisation socioculturelle en expansion.]*

Takuya reprit sa marche.
Mais son regard était plus lourd.

Il ne faisait plus que marcher au milieu d’eux.
Il était dans leurs récits.

Et ceux-ci commençaient à s’écrire sans lui.

---

Le vent soufflait doucement dans la grande salle circulaire creusée à même la paroi rocheuse.
Des racines pendaient du plafond. Des lanternes à braise donnaient à la pièce une teinte ocre, rassurante.
Ici, les mots n’étaient jamais criés.
On y parlait pour peser, pas pour convaincre.

Takuya se tenait droit, face à Zark, le dos contre un pilier sculpté de spirales.
Rek, silencieux, était resté en retrait, adossé à l’entrée.
Personne d’autre n’avait été invité.

Le vieux gobelin, comme toujours, restait immobile dans son siège taillé dans la pierre.
Ses mains noueuses reposaient sur ses genoux, ses yeux perçaient l’obscurité.
Quand il parla, ce ne fut pas une question.

— « Tu as vu ce que nous ne voyons plus. »

Takuya ne répondit pas.
Il attendait.

Zark soupira.

— « Les chiens squelettes… Tu crois que c’était une épreuve ? Une barrière vers la Tour ? Un test ? »

Un silence.

Puis, doucement, Takuya secoua la tête.

— « Non. Ils n’avaient pas de logique. Pas de lien avec ce que vous appelez le centre. Ils tuaient, mais pas pour passer. »

— « Exact. »

Zark se leva lentement. Son manteau traîna légèrement sur le sol.

— « Ce ne sont pas des créatures de la Tour. Ce sont des rebuts.
Des échecs.
Des fragments du monde.
Certains disent qu’ils viennent de plus loin que nous, d’anciens clans, d’espèces mortes ou oubliées.
La Tour ne les reconnaît pas. Alors, ils tournent.
Et quand ils sentent de la vie, ils mordent. »

Il s’arrêta devant une pierre gravée, posa sa paume dessus.

— « Rien ne les guide. Mais rien ne les arrête non plus. »

Takuya baissa les yeux.

> Des rebuts… comme moi ?

Zark le fixa.

— « Tu veux savoir si la Tour t’a vu ?
Je ne peux pas te le dire.
Mais eux, ces bêtes, non.
Ils étaient là parce que ce monde ne sait plus quoi faire d’eux.
Ils étaient là parce qu’on est hors du cycle.
Hors des règles. »

Takuya releva les yeux.

— « Et vous vivez ici ?
À la frontière ? »

— « Parce qu’on n’a plus le droit d’être ailleurs. »

Un silence s’abattit.
Zark s’assit à nouveau.

— « Il y a bien longtemps, nous aussi, on marchait dans la Tour.
Nous avions nos représentants. Des groupes.
Puis un jour… un décret est tombé.
Nous ne savions plus créer. Plus parler. Plus grandir.
Alors on nous a dit : vous resterez dehors, jusqu’à ce que vous soyez autre chose. »

Takuya fronça les sourcils.

— « Et vous avez accepté ? »

Zark sourit. Pas avec joie.

— « Certains se sont rebellés.
Certains sont morts.
Certains se sont transformés.
Et d’autres… ont attendu. »

Il se pencha un peu.

— « C’est pour ça que tu es important. Tu es nouveau.
Tu es vu.
Et si tu entres… peut-être que nous, à travers toi, on existera à nouveau. »

Takuya plissa les yeux.

— « Je ne suis pas un étendard. »

Zark hocha la tête.

— « Non. Tu es un pacte. »

Un frisson passa dans le dos de Takuya.

Zark poursuivit :

— « C’est pour cela qu’on te laissera partir. Mais pas seul.
Rek t’accompagnera. Il l’a choisi.
Mais je pose une condition. »

Takuya resta immobile.

— « Un contrat.
Un vrai. Lié par le mana.
Pas juste une promesse.
Un lien.
Comme ceux qu’imposent les guildes de la Tour.
Tu ne contrôles pas encore le flux, alors je t’aiderai.
Mais sache-le : ce lien… change les choses. »

Takuya serra les dents.

— « Rek est libre. Je ne veux pas… »

Zark l’interrompit d’un geste lent.

— « Ce n’est pas de l’asservissement. C’est une reconnaissance.
Un passage.
Sans ce contrat… il ne pourra probablement pas franchir les portes de la Tour avec toi. »

Takuya releva les yeux.

— « Tu dis “probablement”. »

— « Parce que je n’en suis pas sûr.
Mais ceux qui ont tenté… sans pacte… n’ont jamais été revus.
La Tour n’accepte que ce qu’elle comprend.
Et elle comprend les contrats. »

Takuya regarda vers Rek.
Le jeune gobelin n’avait pas bougé.
Mais il fixait le sol, tendu, comme s’il connaissait déjà la réponse.

Takuya ferma les yeux un instant.

Puis, simplement, il dit :

— « D’accord. Fais-le. »

Zark sourit. Pas de joie.
Mais de certitude.

— « Alors… commençons. »

---

Le silence était dense dans l’antre de pierre.
Zark traçait lentement un cercle à même le sol, à l’aide d’une poudre noirâtre qu’il dispersait du bout de ses griffes.
Son souffle était calme, ses gestes méthodiques.

Takuya observait sans un mot.
Il avait vu des schémas complexes, codés, géométriques.
Mais jamais rien d’aussi… ancien.
Le motif n’était pas symétrique.
Il semblait organique.

Presque vivant.

— « Ce n’est pas une incantation.
C’est un accord écrit dans l’air », dit Zark sans le regarder.

Il se redressa et lui tendit une fine lame de pierre.

— « Il faut une goutte de ton sang. Pour ancrer ton identité dans le lien. »

Takuya prit l’objet.
Il n’hésita pas.
Une entaille, brève, sur la paume.

Le sang tomba dans le cercle.
Zark traça un second arc, qui connectait le premier au petit symbole devant Rek.

Le jeune gobelin avait les yeux grands ouverts.
Il ne tremblait pas.
Mais il semblait… tendu.
Comme quelqu’un qui s’apprête à franchir une porte sans savoir si elle va s’ouvrir.

— « Rek, place ta main droite là. »

Rek obéit, posant sa main au point désigné.
Zark se plaça au centre du cercle, joignit ses mains, et commença à parler.

Pas en gobelin.
Pas en commun.

Mais dans une langue ancienne, rythmique.
Les mots flottaient dans l’air comme des filaments de brume.

Takuya sentit une vibration dans ses veines.
Une pulsation discrète, comme un souffle dans sa colonne vertébrale.

> [Flux de mana externe détecté – nature : stabilisée – origine : Zark]
Infusion indirecte par relais initié…

Une lumière pâle apparut sous leurs pieds.
Le cercle entier s’illumina.
Puis un fil doré se forma lentement, partant de la paume de Takuya, serpentant jusqu’à celle de Rek.

Quand il les relia, les deux fléchirent légèrement.

Zark posa une main sur le sol.
La lumière explosa doucement dans un souffle de poussière.

Puis…

Tout s’éteignit.

Rek s’effondra à genoux.
Takuya, lui, vacilla, mais tint bon.

> [Contrat scellé :]
— Nature : Lien de subordination partielle
— Cible : Rek
— Durée : illimitée
— Effet : priorisation des ordres directs, stabilisation du flux partagé, partage sensoriel limité

[Connexion active établie]
— Accès à l’analyse partielle de l’entité liée autorisé.

CAINE s’activa aussitôt, voix plus nette que d’habitude.

> [Entité : Rek – Analyse interne active]


---

> Nom : Rek
Race : Gobelin (Évolutif)
Niveau : 6

Rôle : Soutien mobile – Furtivité / Lancer / Évasion

• Force : 6
• Agilité : 11
• Intelligence : 7
• Perception : 9
• Endurance : 8

Affinité latente : altération / instinct

Note : race Gobelin – mention rare : “peut évoluer”


---

Takuya fronça les sourcils.

— « Zark… il y a une note étrange.
Sa race… est indiquée comme évolutive. Tu le savais ? »

Zark resta silencieux un instant.
Puis il soupira.

— « Certains d’entre nous portent cette marque.
Elle n’apparaît qu’à ceux qui peuvent la lire.
Mais ce n’est pas une certitude.
Une possibilité, peut-être.
Un écho d’ancienne lignée.
Mais moi, je n’ai jamais vu un gobelin devenir autre chose. »

— « Jamais ? »

— « Peut-être que ceux qui ont réussi… sont allés trop loin pour revenir.
Ou qu’ils ont cessé d’être gobelins. »

Takuya observa Rek.
Le jeune gobelin s’était redressé.
Il semblait différent.
Rien de visible.
Mais quelque chose dans ses yeux… une lueur de tension apaisée.

Zark s’approcha lentement.

— « Ce lien est plus qu’un fil.
C’est un pont.
Il vous lie, oui.
Mais il te lie aussi à lui.
Ne l’oublie jamais.
Il te suivra dans la Tour.
Mais ce lien… il le portera avec lui.
Et la Tour ne tolère pas les liens faibles. »

Takuya hocha la tête.

— « Alors je le rendrai fort. »

Zark recula d’un pas.

— « Le pacte est fait.
Et maintenant… vous partez.
Le Conseil vous attend. »

---

L’air de la salle du Conseil était lourd.

Pas de chaleur.
Pas de fumée.
Mais une pression sourde, palpable, comme un souffle retenu depuis des jours.

Sept anciens étaient réunis, chacun sur une dalle circulaire.
Des lanternes suspendues diffusaient une lumière orange pâle, projetant sur eux des ombres géantes.

Takuya entra sans mot.
Rek à ses côtés, silencieux.
Zark était déjà là, assis au centre, mais légèrement en retrait.

Personne ne se leva.
Aucun salut.

Le respect, ici, ne se donnait pas.
Il se méritait.
Ou se prenait.

Un gobelin au museau allongé, le dos voûté, ouvrit la séance :

— « Il veut partir.
Il veut marcher vers la Tour.
Et il veut emmener un des nôtres. »

Une vieille femelle, couverte de colliers de dents, gronda :

— « Il n’est pas des nôtres.
Il ne comprend pas nos dettes.
Ni nos morts.
Il a tué pour nous, mais… »

— « …mais il a vécu », coupa Zark.

Le silence tomba à nouveau.

Takuya s’avança d’un pas.
Pas arrogant.
Mais ancré.

— « Je ne suis pas venu pour obtenir un titre.
Ni pour prouver ma valeur.
Je suis ici parce que je suis vivant.
Et parce que vous savez que je peux aller là où vous ne le pouvez pas. »

L’un des anciens ricana.

— « Et pourquoi t’y laisserions-nous aller ?
Tu pourrais ne jamais revenir.
Tu pourrais vendre nos secrets.
Oublier qui t’a protégé. »

Takuya ne cligna pas des yeux.

— « Ou je pourrais revenir avec des réponses.
Avec une voie.
Avec une preuve que vous n’êtes pas condamnés à rester dans les ruines. »

Une autre voix, plus calme, s’éleva.

— « Et si la Tour le tue ?
Et si elle le prend ?
Que restera-t-il ? »

Zark se redressa enfin.

— « Alors nous n’aurons perdu que ce que nous n’aurions jamais eu autrement.
Mais si nous ne le laissons pas y aller…
Alors nous resterons ce que nous sommes déjà.
Des ombres.
Des voix oubliées. »

Un murmure parcourut la salle.

Takuya inspira.

— « Je ne vous demande pas la permission.
Je vous offre un choix.
Je pars.
Avec ou sans votre bénédiction.
Mais si je reviens,
je veux que ce soit en ami,
pas en anomalie. »

Les anciens se consultèrent du regard.

Longtemps.
Sans un mot.

Puis l’un d’eux parla enfin :

— « Que proposes-tu ? »

Takuya posa une main sur la tête de Rek.
Le jeune gobelin redressa le menton, fier malgré la tension.

— « Je pars avec lui.
Un contrat nous lie.
Il ne me trahira pas.
Et je ne l’abandonnerai pas.
Mais je veux plus qu’un accord tacite.
Je veux… un mandat. »

Les regards se figèrent.

— « Je veux marcher au nom du village.
Pas comme messager.
Pas comme messie.
Mais comme preuve.
Que vous avez encore un lien avec l’avenir. »

Le silence revint.

Et cette fois…
il pesait moins.

La vieille aux colliers parla la première.

— « Qu’il parte.
S’il trahit, la Tour le jugera.
Et s’il revient… nous écouterons. »

L’ancien au museau long hocha lentement la tête.

— « À une condition.
Il ne parle pas en notre nom.
Il parle en son nom.
Mais il portera nos marques. »

Zark acquiesça.

— « Accepté.
Le pacte est fait.
Lui et son compagnon partiront.
Et s’ils reviennent,
ils seront entendus. »

Takuya ne répondit pas tout de suite.

Puis, doucement, il inclina la tête.

Rek, à ses côtés, souriait.

Un sourire discret.
Mais rendu possible.

---

L’aube n’était pas spectaculaire.

Pas de ciel éclatant.
Pas de lumière dorée.

Juste une lueur grise, douce, étalée sur les pierres du village comme une fine brume.

Takuya ajusta la sangle de son sac.
La lance était attachée dans son dos, équilibrée avec soin.
Son manteau avait été renforcé à l’épaule, recousu par des mains gobelines — du cuir, des écailles, des fragments d’os lissés.

Rek vérifiait son propre sac. Il portait deux dagues de taille inégale, un foulard noué autour du cou, et une gourde de terre cuite qu’il fixait maladroitement.

— « Ça va ? » demanda Takuya.

Rek hocha la tête sans se retourner.

— « J’ai tout. Rations, corde, pierres marquées. Et... la carte. »

Il montra un rouleau de tissu replié, tracé à la main.

Le village était presque silencieux.
Seuls quelques gobelins les observaient de loin.
Pas de foule. Pas de cérémonie.

Mais au centre du chemin, Zark se tenait là.

Droit. Immuable.

Takuya s’approcha.

— « Vous venez pour vérifier si je pars vraiment ? »

Zark esquissa un sourire.

— « Je suis venu voir si tu étais prêt.
Le doute, parfois, se glisse juste avant le premier pas. »

Takuya jeta un regard vers Rek, puis vers la lisière de la route pierreuse qui serpentait entre les collines.

— « Ce n’est pas un doute. C’est une tension.
Comme quand on entre dans un laboratoire qu’on n’a pas conçu soi-même. »

Zark hocha lentement la tête.

— « Tu comprendras vite que la Tour n’a pas été conçue pour être explorée. Elle… se laisse parcourir. Jusqu’à ce qu’elle ne le veuille plus. »

Un silence.

Puis Zark tendit un petit objet à Takuya

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