chapitre 17 - Premières tensions

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La lumière pâle de la Tour filtrait à travers les fissures des murs, peignant des formes irrégulières sur le sol de pierre. Takuya ouvrit lentement les yeux. Son dos était raide, ankylosé par la nuit passée contre une paroi rugueuse. Il leva la tête, étira les épaules et observa les alentours sans bouger. La ruelle était encore calme, silencieuse, mais les sons de la ville au loin confirmaient déjà le début d’une nouvelle journée.

Rek dormait encore, recroquevillé dans sa cape de fortune. Une jambe tremblait légèrement, peut-être à cause du froid, ou d’un rêve dont il ne parlerait jamais.

Takuya consulta instinctivement son interface.

> [Système CAINE : Mise à jour en cours… Veille temporaire.]
[Temps estimé : indéterminé.]

Toujours aucune réponse. Toujours cette voix absente.

Il soupira, passa une main sur son visage fatigué, et se leva. La pierre froide sous ses pieds lui rappela qu’ils n’étaient pas dans un abri, mais dans une ville étrangère, sur un étage inconnu, sans statut, sans soutien, sans information.

Et pourtant… ils étaient encore là.

Rek émergea lentement, frottant ses yeux jaunes.

— « Tu dors encore debout ? » grogna-t-il, la voix rauque.

Takuya répondit d’un hochement de tête.

— « Non. J’attendais que tu reprennes vie. On bouge ? »

Le gobelin se redressa, ajusta les sangles de sa ceinture, et hocha la tête à son tour.
Ils savaient ce qu’ils avaient à faire aujourd’hui.
Chercher. Comprendre. Survivre.

Ils quittèrent la ruelle à pas prudents, évitant les grands axes, traversant des ruelles où le sol semblait trop propre, les murs trop silencieux. À mesure qu’ils progressaient, la ville se réveillait peu à peu. Des groupes d’individus de différentes races marchaient ensemble, parlaient à voix basse, certains échangeaient des objets dans des langues inconnues.

Takuya nota la diversité : des humanoïdes cornus, des êtres masqués, d’autres à la peau d’argent ou d’écailles. Tous arborant les mêmes marques lumineuses près du cœur ou de la gorge. Certaines pulsatiles, d’autres figées. Leur forme semblait codifier quelque chose que Takuya n’était pas encore en mesure de décoder.

Statut ? Rang ? Appartenance ?

Il se força à ne pas trop fixer.

Ils s’arrêtèrent devant un marchand ambulant. L’étal proposait des fruits étranges, ronds, couverts de fines vrilles transparentes. L’homme derrière le comptoir — un être à la peau bleue, les yeux couverts de lentilles métalliques — les fixa sans un mot.

Takuya fit un pas, montra l’un des fruits.

— « Informations ?… échange ?… langue… » tenta-t-il.

Le marchand le fixa un long moment, puis répondit d’une voix traînante :

— « Arva’ten… sal’raï. I-harash ? Tra’dû ? »

Takuya cligna des yeux. Il reconnut quelques éléments seulement. Le mot "Tra’dû" ressemblait à ce qu’il avait vu sur la stèle : peut-être un mot pour étranger, ou statut inférieur.

Il ouvrit la bouche pour réessayer, mais l’homme le devança :

— « No’tryn… karesh. »

Et se détourna. Purement. Simplement.

Rek grogna, bras croisés.

— « Je crois qu’il vient de nous insulter. »

Takuya ne répondit pas. Il tourna les talons, et ils reprirent leur marche.

Au fil des minutes, la même scène se répétait.

Des tentatives.
Des regards.
Des mots partiels, jamais décodés entièrement.
Et toujours cette sensation d’être de trop.

Ils comprenaient peut-être 10 à 15 % des mots parlés. Des fragments. Des syllabes. Des intentions. Mais c’était comme essayer de lire un roman dont on ne reconnaissait que les voyelles.

Takuya nota aussi les gestes. Les mouvements des mains, les inflexions de voix, les changements de teinte dans les marques. Cela allait bien au-delà d’un simple langage oral. Cette ville… cette civilisation… s’était construite sur une grammaire sociale multisensorielle, bien plus riche que ce qu’ils pouvaient interpréter pour l’instant.

Ils passèrent devant un groupe de jeunes êtres vêtus de longues tuniques, chacun portant une marque en forme d’hexagone lumineux sur le front. L’un d’eux les fixa longuement. Il dit quelque chose à ses compagnons, qui éclatèrent de rire.

Takuya comprit seulement un mot : "Faibles."

Ils continuèrent sans réagir.

Au détour d’une autre rue, une créature à la peau d’ébène et aux yeux d’insecte croisa leur chemin, s’arrêta, les observa, puis cracha au sol entre eux, avant de repartir sans un mot.

Rek serra les poings. Il était prêt à réagir. Vraiment prêt.

Mais Takuya le retint d’une main ferme.

— « Pas ici. Pas maintenant. »

Rek garda le silence, mais ses dents grincèrent.

Ils marchèrent encore une demi-heure. Aucun progrès. Aucun mot compris. Aucune donnée utile.

Puis ils revinrent à leur point de départ : cette même ruelle où ils avaient passé la nuit. L’ombre y était plus dense maintenant, comme si la ville elle-même cherchait à les éjecter vers l’inconnu.

Takuya s’appuya contre un mur. Rek s’assit, dos à la pierre. Aucun des deux ne parlait.

Le silence, cette fois, n’était pas reposant.

Il était rempli de frustration, d’impuissance, et de rancune sourde.

Puis, au loin, un son.
Un vacarme.
Un choc. Une voix gutturale. Un bruit de renversement.

Rek redressa la tête.

— « Tu as entendu ? »

Takuya hocha la tête, lentement.

Il se détacha du mur.

— « Allons voir. »

Et ils s’élancèrent à pas rapides, sans savoir que ce qu’ils allaient découvrir allait changer leur place dans ce monde.

---

Les pas de Takuya et Rek résonnaient faiblement sur les dalles sombres de la ville. Les ruelles s’élargissaient à mesure qu’ils avançaient, débouchant bientôt sur une petite place commerçante, couverte de voiles translucides tendus entre les murs. Des échoppes de pierre ou de bois flottant y formaient un cercle irrégulier.

Le lieu était vivant.

Des voix s’entremêlaient. Des couleurs circulaient. Des odeurs, étrangères et vibrantes, s’accrochaient à l’air comme des notes invisibles. Les passants formaient un flux presque fluide, des êtres de races inconnues allant et venant sans jamais s’arrêter trop longtemps.

Takuya observa un instant.

Il n’était plus dans un monde sauvage. Il était dans une société.

Et dans cette société, il n’existait pas.

Il inspira profondément, puis se dirigea vers un comptoir circulaire où une femme — ou du moins une créature féminine — manipulait une série de cristaux plats disposés sur un tissu noir. Elle avait la peau écailleuse, verte et bronze, et des yeux fendus comme ceux d’un serpent. Ses mains fines glissaient avec élégance entre les objets, comme si elle lisait leur musique.

Takuya s’arrêta à deux pas, inclina brièvement la tête.

— « Bonjour. Je cherche… informations. Lieux. Règles. Tour. »

Elle releva la tête lentement.

Son regard se posa sur lui, glissa sur ses vêtements rapiécés, son visage humain, puis sur la lueur terne de sa marque. Elle resta immobile un moment.

Puis elle répondit, dans une langue sinueuse, rythmée :

— « Tra-nîl… akara… sel’ûth. »

Takuya reconnut rien. Aucun mot.

Elle le fixait encore, mais ses yeux étaient vides, désintéressés. Elle inclina légèrement la tête, comme pour confirmer une absence de valeur.

Puis, sans dire un mot de plus, elle rangea ses cristaux, rabattit un pan de son voile sur son épaule, et quitta la place, contournant Takuya comme une pierre sans importance.

Il ne bougea pas.

Il avait déjà compris.

— « À moi d’essayer, » souffla Rek à ses côtés.

Le gobelin s’approcha d’un jeune marchand vendant des fruits pulpeux dans des paniers suspendus à une arche. Il tendit l’un des petits outils qu’ils avaient ramassés quelques jours plus tôt — une sorte de lame courbe incrustée de cuivre — et montra du doigt un fruit bleu-noir.

Le marchand, un adolescent à la peau d’onyx et aux yeux dorés, observa Rek, puis leva lentement les yeux vers Takuya resté en retrait.

Son expression changea. D'abord neutre. Puis froide.

Il répondit :

— « Karesh... vërnak. »

Et il referma brutalement l’auvent de son étal, tirant une toile opaque entre lui et le reste du monde.

Rek resta là, bras tendu, quelques secondes. Puis il laissa tomber l’outil, soupira, et recula.

— « C’est pire qu’avec les bêtes. Au moins, elles te sautent dessus quand elles veulent te bouffer. »

Ils reprirent leur marche. Les gens les contournaient. Certains ralentissaient pour les observer du coin de l’œil, d’autres accéléraient le pas pour les éviter.

Autour d’eux, un espace vide se formait, un cercle de silence dans cette foule en mouvement.

Takuya nota chaque détail.

Les marques lumineuses sur les autres habitants pulsaient au rythme de leurs émotions, de leurs interactions. Elles s’échangeaient des couleurs, s’éclairaient quand deux personnes se saluaient, se contractaient comme des glyphes organiques.

La sienne ? Elle restait terne.
Fixe.
Presque morte.

Un groupe passa près d’eux. Trois individus à la peau bleu pâle, vêtus de longues tuniques marquées de symboles géométriques. Ils ralentirent à leur niveau, échangèrent un mot :

— « Sanj-nûl. »

Puis éclatèrent de rire, sans se cacher.

Takuya comprit le ton. Même sans le mot.

Il comprit aussi ce qu’ils représentaient : un système dans lequel lui et Rek ne faisaient pas partie.

Une hiérarchie. Une culture. Une loi implicite.

Et eux ? Ils étaient en bas. Ou pire : hors du classement.

Un instant plus tard, une silhouette encapuchonnée traversa la foule, s’approcha à trois pas de Takuya, le fixa de biais…

Et cracha au sol entre eux.

Elle murmura un mot — cette fois clair, tranchant.

— « Paria. »

Takuya ne broncha pas.

Mais Rek grogna. Il serra les poings, les épaules tendues.

— « Je vais le frapper, » siffla-t-il.

— « Non. »

— « Il vient de cracher. Il vient de… »

— « Ce n’est pas lui. »

Rek se tourna vers Takuya, incompréhensif.

— « C’est pas lui ? C’est qui alors ? »

Takuya gardait les yeux sur la foule.

— « Ce n’est pas une personne. C’est une structure. Un système. Ils font ce qu’ils font parce qu’ils le peuvent. Parce qu’on n’a rien pour les en empêcher. »

Rek baissa lentement les bras.

Il n’y avait rien à répondre à ça.

Leurs pas les menèrent vers une autre ruelle, plus étroite, quand un choc sourd retentit au loin.

Un cri. Un grognement. Une plainte courte, suivie d’un rire rauque.

Takuya s’arrêta.

— « Tu entends ça ? »

Rek hocha la tête.

— « C’est pas un bruit de foule. C’est... »

— « Quelqu’un qui cogne. Fort. »

Un autre bruit. Cette fois un claquement sec. Comme une masse contre un mur.

Puis une voix. Grave. Moqueuse.

Ils échangèrent un regard.

Et cette fois, sans un mot de plus, ils se mirent à courir.

---

Le bruit résonna encore une fois, plus net, plus proche.

Un choc.
Un cri étouffé.
Puis une voix grave, moqueuse, roulante comme une pierre humide.

Takuya accéléra le pas, suivi de près par Rek. Le vacarme résonnait dans la pierre, amplifié par les couloirs étroits de la ville. Ils bifurquèrent à gauche, descendirent une courte pente, puis débouchèrent sur un espace dégagé, un petit carrefour entre plusieurs ruelles encadrées de bâtiments bas.

Au centre de l’espace : une silhouette massive.
Un géant.

Il devait mesurer deux mètres, peut-être plus. Un torse large, couvert d’écailles sombres. Une peau d’un noir d’encre, luisante sous la lumière diffuse de la Tour. Sa mâchoire inférieure dépassait légèrement, découvrant deux crocs recourbés. Ses yeux, fendus, jaunes, brillaient comme ceux d’un prédateur. Un lézard humanoïde, terrifiant dans sa masse et sa posture.

Sous lui, à genoux, recroquevillée, une petite silhouette tremblante.

Une créature maigre, presque squelettique, à la fourrure gris cendré. Sa tête semblait disproportionnée par rapport à son corps, ses bras minces ne suffisaient pas à couvrir son visage. Elle ne criait pas. Elle encaissait. En silence.

Autour de la scène, quelques habitants observaient. Aucun ne bougeait. Certains chuchotaient, d’autres riaient à voix basse. Mais personne n’intervenait. Comme si la scène faisait partie du décor. Une habitude. Une banalité.

Takuya s’arrêta net.

— « C’est… »

Rek plissa les yeux.

— « Il tabasse un gamin. »

— « Ce n’est pas un gamin. Regarde ses bras. Sa morphologie. »

— « On s’en fout, Takuya. »

Le ton du gobelin était sec, tranchant. Takuya tourna la tête. Les yeux de Rek étaient fixés sur la scène. Immobiles. Brillants de rage contenue.

Le lézard leva un bras. Une gifle sèche partit, envoyant le petit être rouler sur quelques mètres. Il ne cria pas. Il toussa seulement, un petit son rauque, comme un souffle trop faible pour former une plainte.

Un murmure monta dans la foule :

— « Sans-marque… »

— « Faible… »

— « Rejet… »

Takuya sentit son estomac se nouer.

Ce n’était pas de la colère. Pas encore. C’était une dissonance brutale, un choc entre ce qu’il croyait comprendre du monde et ce qu’il voyait.

Rek serra les poings.

— « On doit y aller. »

Takuya ne répondit pas tout de suite.

Il analysait. Toujours.

Leur adversaire était clairement dangereux. Sa musculature trahissait une puissance écrasante. Il était armé — non pas d’outils ou de lames, mais de sa propre chair. Une créature de violence.

Ils n’avaient aucune chance en face-à-face.

Mais le silence du petit être au sol…
Le bruit de l’impact…
Le ricanement du lézard…

Quelque chose céda.

— « On y va, » souffla Takuya.

Ils s’avancèrent ensemble. Lentement. Bras ballants. Sans menace apparente.

Le lézard tourna la tête. Son sourire s’élargit.

— « Oh ? »

Sa voix était rugueuse, vibrante, une basse presque agréable.

— « Vous deux ? »

Il haussa un sourcil, amusé. Son regard coula lentement de Takuya à Rek, puis au petit être tremblant à ses pieds.

— « Deux rebuts qui défendent un rat ? Le spectacle est mignon. »

Takuya ne répondit pas.

Il se posta entre le lézard et la créature au sol. Rek fit de même.

Le silence tomba d’un coup.

Même les rires s’éteignirent autour.

Le lézard inclina légèrement la tête. Il cligna lentement des yeux, comme un fauve intrigué.

— « Vous êtes sérieux ? »

Takuya recula d’un demi-pas. Il n’avait aucune stratégie. Aucun angle. Aucune arme.
Seulement son corps, sa présence, et… la conviction fragile que faire quelque chose valait mieux que rien.

Le lézard leva une main.

Takuya vit le mouvement. Simple. Droit. Rapide.

Un coup.

Puis le sol.

Il n’avait rien vu venir.

Son dos heurta la pierre. Sa tête résonna. Un goût métallique envahit sa bouche.

À peine eut-il le temps de respirer que Rek s’écrasa à côté de lui, roulé comme un sac de sable.

Le lézard soupira.

— « Décevants. »

Il s’accroupit, approcha son visage du petit être au sol.

— « Mais lui… il est intéressant. Il encaisse sans broncher. Un bon jouet. »

Il se releva, tourna les talons.

Avant de partir, il lança par-dessus son épaule :

— « Vous trois. Je vous garde à l’œil. On va bien s’amuser. »

Son rire était doux. Mielleux. Un sifflement de serpent s’y mêlait.

Puis il disparut dans une ruelle, ses pas lourds comme une sentence.

Takuya cligna des yeux.

Son champ de vision tremblait. Son front saignait.

Il tenta de se redresser. Son bras trembla. Ses côtes hurlaient.

Rek grogna, à genoux, crachant au sol.

Ils restèrent là, quelques secondes, le souffle court.

Puis, doucement…
Quelque chose bougea à côté d’eux.

Le petit être.

Il s’était relevé. Lentement. Douloureusement.

Il s’approcha à pas hésitants.

Et, sans bruit, se glissa contre Takuya, posant une main fine et griffue sur son bras.

Pas un mot.
Pas une question.
Juste… un geste.

Takuya le regarda.

Les yeux du petit être brillaient d’un ambre triste, mais vivant.

---

Le froid de la pierre s’infiltrait dans son dos, dans ses os, jusque dans sa respiration. Takuya fixait le ciel gris perle de la Tour, sans réellement le voir. Sa bouche avait le goût du sang, ses côtes l’élançaient à chaque inspiration. Il entendait le martèlement lointain de pas, d’échos de voix, de vies… mais aucun de ces sons ne s’approchait.

Tout s’éloignait. Même la douleur.

Il tenta de bouger, juste un bras. Un grésillement traversa son épaule et lui coupa le souffle. Il grimaça, ferma les yeux quelques secondes. Il ne s’était jamais senti aussi vulnérable depuis son arrivée dans ce monde. Pas même le jour de sa résurrection.

À sa droite, il entendit un râle étouffé. Un frottement. Puis un craquement sec, comme un os déplacé.

— « Tch… »

La voix rauque de Rek. Vivant. Mal en point, mais debout.

Le gobelin se tenait à moitié agenouillé, l’une de ses mains pressée contre ses côtes. Du sang s’échappait d’une entaille le long de son flanc. Il haletait, les dents serrées, son regard noir rivé sur l’endroit où le lézard avait disparu.

— « Bordel… » grogna-t-il. « On n’a même pas pu le ralentir. »

Takuya essaya de parler, mais seul un souffle rauque s’échappa de ses lèvres. Il se contenta de poser sa main à plat sur la pierre. Elle était tiède. Ou était-ce sa propre fièvre qui trompait ses sens ?

Autour d’eux, le monde avait repris sa danse.

Les curieux s’étaient écartés. Les rieurs s’étaient tus. Il ne restait que les pas lointains d’habitants pressés, contournant leur espace comme on évite une tâche gênante sur un mur trop propre.

Ils n’existaient plus. Ils n’étaient plus que silence et poussière.

Rek grimaça, s’effondra à genoux.

— « Il nous a… balayés. Comme des chiots. »

Takuya força son corps à se redresser. Il parvint à rouler sur le côté, puis à s’asseoir, adossé contre le mur. Chaque mouvement déclenchait une onde de douleur dans ses flancs.

Il n’avait aucune donnée.
Aucune mesure.
Pas d’analyse.
Pas de CAINE.

Juste un corps brisé… et un silence assourdissant.

C’est alors qu’il sentit quelque chose.

Un souffle. Léger. Un mouvement discret.

Quelque chose — ou quelqu’un — s’approchait.

Il ouvrit les yeux, lentement.

Et le vit.

Le petit être.
Le chiot humanoïde.
Toujours là.

Il était debout à quelques pas d’eux, les bras le long du corps, tremblant encore. Son pelage était couvert de poussière, ses genoux écorchés. L’une de ses oreilles tombait sur le côté, déchirée à la base. Mais il ne pleurait pas. Il ne parlait pas.

Il les regardait.

Droit dans les yeux.

Takuya croisa ce regard.

Il n’y vit ni peur, ni reconnaissance immédiate.

Seulement de la stupeur.
Comme si ce qu’il venait de vivre dépassait son cadre de référence.

Il fit un pas. Puis un autre.

Takuya sentit son cœur battre plus fort.

Il s’attendait à ce que la créature s’enfuie. Qu’elle les abandonne à leur sort. Qu’elle les traite avec la même indifférence que le reste de ce monde.

Mais non.

Le petit être s’agenouilla lentement, s’assit entre Takuya et Rek, puis leva une petite main fine, griffue, et la posa avec une lenteur extrême contre le bras de Takuya.

Un contact.

Chaud.

Vivace.

Présent.

Takuya ne bougea pas. Il se contenta de le regarder. Puis, lentement, il sentit ses muscles se relâcher, un soupir s’échapper de ses lèvres.

Rek tourna légèrement la tête. Il les observa, puis haussa un sourcil.

— « Il reste ? »

Pas de réponse. Mais le petit être se blottit doucement contre la jambe du gobelin, comme s’il avait décidé. Comme si un lien s’était formé, au-delà des mots.

Rek grogna, mais ne bougea pas.

— « C’est… bizarrement rassurant. »

Takuya hocha lentement la tête.

Il murmura, presque pour lui-même :

— « Il n’a pas fui… Peut-être que nous trois, on n’est pas si seuls. »

Le silence reprit, mais cette fois… il n’était plus aussi vide.

Le chiot s’endormit contre Rek, la tête posée sur sa cuisse, les oreilles frémissant doucement à chaque bruit.

Takuya ferma les yeux.

Son corps souffrait.

Son orgueil aussi.

Mais son cœur…

Son cœur avait trouvé une note d’ancrage dans ce monde qui n’avait cessé de les rejeter.

Et parfois, une seule note… suffit à construire une symphonie.

---

La lumière de la Tour ne se couchait jamais vraiment. Mais parfois, elle semblait hésiter. Comme en ce moment.

Un voile pâle s’était tendu sur les murs de la ville. Les ombres s’étaient allongées, glissant lentement entre les interstices des pierres comme une brume discrète. L’air s’était rafraîchi, ou peut-être était-ce seulement la fatigue qui glaçait les o

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