Chapitre 19 - S'il tombe, on tombe tous

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Rek s’était levé avant même que la lumière artificielle de la Tour n’éclaire les ruelles. Il veillait dans l’ombre, accroupi, observant les traits tirés de Takuya qui dormait adossé contre un mur fissuré. Même en sommeil, il semblait réfléchir. Toujours prêt à se relever.

Il était comme ça. Et Rek l’admirait pour ça.

Pas parce qu’il était invincible — au contraire. Mais parce qu’il avançait. Toujours. Même quand tout semblait contre lui. Et parce qu’il n’avait jamais regardé Rek comme un simple gobelin. Pas une créature primitive. Pas un outil.

Un égal. Un allié.

Le genre d’ami qu’on ne trouve qu’une fois dans une vie. S’il en avait une deuxième, ce serait toujours Takuya.

Alors Rek avait pris une décision.

Il se leva, d’un mouvement souple, et s’approcha de Shéol, endormi non loin. Le chiot dormait profondément, roulé en boule, le souffle lent. Il avait grandi, un peu, depuis leur arrivée. Mais il restait fragile.

Rek le secoua doucement par l’épaule.

— Réveille-toi.

Shéol ouvrit les yeux, confus, puis se redressa en clignant des paupières.

— Takuya ?

— Il dort encore. Viens. On va marcher.

Le chiot ne posa pas de question. Il se contenta de suivre, les oreilles légèrement basses, les pattes traînantes. Mais Rek allait droit devant lui, le pas précis. Son regard balayait les alentours comme un chasseur, mais son esprit était ailleurs.

Il pensait à ce qu’il allait dire.

Ils traversèrent plusieurs ruelles, le Secteur encore endormi. Le silence régnait, étrange dans un lieu aussi chaotique. Quand ils atteignirent une zone plus large, Rek s’arrêta, se retourna, et planta son regard dans celui de Shéol.

— Écoute-moi bien.

Le ton était calme, mais chargé. Pas de colère. De gravité.

— Tu veux rester aux côtés de Takuya. Je le sais. Mais ce n’est pas un souhait qu’on peut faire sans rien donner en retour.

Shéol le regarda sans comprendre.

— Il est le seul ami que j’ai, reprit Rek. Le seul que j’ai jamais eu. Et je ne laisserai personne lui faire du mal. Ni toi, ni moi, ni personne.
Il croisa les bras.
— Si tu veux rester avec lui, tu dois devenir plus fort. Pas pour te battre. Pas pour tuer. Pour tenir. Pour le protéger. Pour qu’il n’ait jamais à se retourner et te voir tomber.

Shéol baissa les yeux. Il comprenait. Et il avait honte.

Mais Rek, après un instant, posa une main sur sa tête. Un geste court. Pas affectueux. Fraternel.

— Je sais que tu peux le faire.

Ils reprirent leur route. Shéol ne dit rien, mais son pas s’était fait plus ferme. Il n’avait pas grandi d’un coup. Mais il avait compris. Et il avait accepté.

Ce fut CAINE qui brisa le silence suivant.

« Analyse environnementale : correspondance structurelle 78 %. Établissement identifié — École des Protecteurs. »

Le message apparut dans l’esprit de Rek comme une pulsation douce. Il s’arrêta.

Devant eux se dressait un bâtiment massif et usé. Une structure en pierre sombre, sans fioriture. Deux statues brisées gardaient l’entrée, leurs silhouettes érodées par le temps. Un vieux symbole, à moitié effacé, ornait le linteau : un bouclier fendu, recousu par une ligne gravée.

Rek fronça les sourcils. Il regarda Shéol, puis la porte.

CAINE ne disait pas que ce lieu était dangereux. Il disait que ce lieu correspondait. À qui ? À quoi ? Il ne savait pas.

Mais il le sentit.

— C’est ici, dit-il simplement.

Shéol leva les yeux vers le bâtiment. Il ne comprit pas tout de suite. Mais en croisant le regard de Rek, il comprit l’essentiel.

— Tu veux que j’entre ? demanda-t-il, un peu hésitant.

— Je veux que tu choisisses d’y entrer.

Le chiot baissa la tête. Puis la releva, et hocha fermement.

— Si c’est là que je peux devenir utile… je veux essayer.

Rek hocha la tête à son tour. Pas un mot de plus. Il se détourna, laissa Shéol devant la porte, et repartit sans se retourner.

Pas parce qu’il ne se souciait pas de lui.

Mais parce qu’il savait que Shéol ferait le pas seul.

Et lui, maintenant, devait suivre le sien.

---

Rek ne se retourna pas après avoir laissé Shéol devant l’École des Protecteurs.

Il savait que le chiot hésitait encore, qu’il attendait peut-être une dernière parole. Mais s’il avait dit quelque chose, s’il avait adouci l’instant, alors Shéol aurait douté de sa place. Et il n’y avait pas de place pour le doute dans ce monde.

Alors il s’enfonça seul dans les ruelles. Il savait où aller. Il l’avait repéré la veille, pendant que Takuya était avec ce vieux fou à moitié imbibé. Tandis que le ciel artificiel virait à l’orange terne, il avait vu la silhouette d’un bâtiment discret, presque effacé dans le décor.

Pas de panneau. Pas d’agitation. Juste une façade noircie, griffée. Une structure discrète, alignée entre deux bâtiments éventrés. Une seule chose le marquait : une griffe noire gravée dans la pierre, sur fond d’un croissant inversé. Symbole d’un prédateur qui frappe sans être vu. Ça ne criait pas sa présence. Ça la murmurait à ceux qui savaient écouter.

Rek s’arrêta devant l’entrée.

Pas de porte. Juste une ouverture béante, un rideau épais d’ombre. L’air à l’intérieur était plus sec, plus immobile. Comme s’il craignait de déranger.

Il entra.

Le sol était nu. Des traces de pas. Des marques sur les murs. Des clous tordus, des cordes suspendues, des poutres creusées par les sauts. Tout ici semblait avoir été utilisé, mais jamais nettoyé. Ce n’était pas un lieu d’enseignement classique. C’était un labyrinthe brut, un terrain de survie.

Un mouvement.

À sa gauche, dans l’ombre d’un pilier, une silhouette apparut.

Grande, mince, drapée dans un manteau gris aux coutures effilées. Il ne faisait pas de bruit. Pas même en marchant.

— T’es venu pour quoi ? lança-t-il sans chaleur.

Rek se figea. Il n’avait pas entendu son approche. Pas du tout.

— Pour apprendre, répondit-il simplement.

— T’as rien pour ça. Pas de vitesse. Pas d’arme. Pas de silence.

L’homme s’approcha lentement. Ses yeux étaient gris pâle, presque transparents.

— Tu veux devenir quoi ? Une lame ? Un fantôme ?

— Je veux… devenir l’ombre de quelqu’un.

Un long silence suivit. Puis un souffle.

— Tu veux t’effacer. Pas briller.

Rek hocha la tête.

L’homme tourna le dos.

— Suis-moi.

Il ne vérifia pas s’il était suivi.

Rek obéit.

Ils traversèrent une salle obscure, contournèrent des poutres, enjambèrent des obstacles bas. À chaque pas, l’homme avançait sans bruit. Pas un froissement de tissu. Pas un craquement de planche.

Rek fit de son mieux. Il glissa deux fois, rattrapa une pierre du bout des doigts, retint son souffle quand il effleura une chaîne suspendue.

L’homme ne dit rien. Il ouvrit une trappe.

— Monte.

Un mur vertical. Des prises creusées à la main. Une corde en lambeaux.

Rek grimpa. Pas vite. Pas souplement. Mais il grimpa. Une écharde lui coupa la paume. Il serra les dents. Il monta.

En haut, l’homme l’attendait, accroupi dans une alcôve.

— Retiens ton souffle.

Rek le fit. Il compta mentalement. Dix. Vingt. Trente. Il trembla. La tête lui tourna. Mais il tint.

— Redescends. Sans bruit. Si j’entends le bois… tu recommences.

Il descendit. Chaque planche menaçait de craquer. Il en sauta une. L’autre faillit céder. Il glissa. Se rattrapa. Une corde grinça. Juste une seconde.

L’homme, en bas, le fixait.

— Recommence.

Rek inspira à peine. Et recommença.

Une, deux, trois fois.

À la quatrième, il ne tomba pas. Il ne glissa pas. Et le bois se tut.

L’homme s’approcha enfin.

— T’as pas la grâce. T’as pas la vitesse.

Il marqua une pause.

— Mais tu fermes ta gueule. Tu te plains pas. Et tu retentes.

Rek ne répondit rien.

— Reste. Si tu veux. Je n’enseigne pas. Je montre. Et si t’es encore là demain… on verra.

Puis il disparut, aussi vite qu’il était apparu.

Rek s’effondra sur une poutre, haletant, les bras lourds. Il n’avait pas appris de technique. Pas encore. Il avait juste survécu à une première impression.

Et dans son souffle tremblant, un nom résonna.

Takuya.

---

Le bâtiment semblait plus grand maintenant que Rek était parti.

Shéol restait devant l’entrée de pierre, les oreilles légèrement baissées, le cœur battant fort dans sa poitrine. Il hésitait. Ce n’était pas la peur d’entrer. C’était… la peur de ne pas être à la hauteur. De ne pas être “ce qu’il faut” pour ce lieu.

La porte n’était qu’une arche ouverte. Pas de lumière magique, pas de bruit venant de l’intérieur. Juste un silence épais, lourd, presque rassurant.

Il serra les poings, inspira profondément, et franchit le seuil.

L’air à l’intérieur était plus frais. L’espace, nu, vaste, encadré de piliers épais. Au centre, une large dalle au sol, rayée de marques : cercles d'entraînement, sillons de charges, enfoncements répétés par des pas lourds.

Il n’y avait personne.

Puis une voix s’éleva, grave, posée, calme comme une pierre qui tombe lentement dans l’eau.

— Tu es venu seul ?

Shéol sursauta légèrement. La voix venait du fond de la pièce, là où l’ombre était la plus dense.

Un homme en sortit.

Grand. Large d’épaules. Une barbe poivre et sel. Un bras bandé, l’autre tenant un long bâton qui semblait avoir plus servi de soutien que d’arme. Ses yeux étaient sombres, mais sans menace.

— Je… oui, répondit Shéol, en gardant la tête baissée.

— Tu es blessé ? poursuivit l’homme en s’approchant lentement.

— Non. Fatigué, mais… pas blessé.

L’homme s’arrêta à un mètre de lui, le détailla de haut en bas.

— Tu es petit. Léger. Mais tu tiens debout. Et tu n’as pas fui.

Shéol releva un peu les yeux.

— Pourquoi veux-tu être ici ?

— Pour devenir plus fort. Pour… protéger quelqu’un.

L’homme plissa les yeux, puis hocha la tête lentement.

— Bien.

Il désigna une zone du sol, où étaient disposés deux objets simples : un sac de sable et un bloc de pierre carré, pas plus grand qu’un tabouret.

— Prends ce sac. Pose-le sur tes épaules. Puis tiens-toi sur le bloc. C’est tout.

Shéol hocha la tête, s’avança, et souleva le sac. Il était plus lourd qu’il ne l’avait cru. Il chancela, mais parvint à le placer sur ses épaules frêles.

Il grimpa sur le bloc.

— Et maintenant ? demanda-t-il.

— Tu restes debout.

— Combien de temps ?

— Jusqu’à ce que tu tombes.

Pas de cri. Pas d’encouragement. Juste cette voix calme, posée, immuable.

Les premières minutes furent faciles. Mais bientôt, le sac creusa ses épaules. Ses jambes tremblèrent. Il sentit sa queue s’agiter par réflexe pour trouver l’équilibre.

Puis il chuta.

Il tomba sur le côté, le sac roulant à terre.

Le formateur ne bougea pas.

— Relève-toi. Remets-le en place. Et recommence.

Shéol se redressa. Lentement. Il reprit le sac. Il monta de nouveau.

Et encore.

Et encore.

Il tomba cinq fois. La sixième, il ne se releva pas tout de suite. Il resta là, à genoux, haletant.

— Pourquoi veux-tu protéger ? demanda alors l’homme.

Shéol leva les yeux. Il pensa à Takuya. À ses mains pleines de coupures. À son regard toujours droit, même quand il tombait. Il pensa aussi à Rek. À ses mots secs, mais vrais.

— Parce que… je ne veux pas être celui qu’on protège. Pas toujours. Pas seulement.

Le silence régna. Puis l’homme s’accroupit à sa hauteur.

— Alors commence ici.

Il posa une main large sur son épaule.

— Les murs ne courent pas. Ils tiennent. Et toi, tu es peut-être un mur.

---

Le sol était froid sous ses pieds.

Rek se tenait au centre d’une pièce vide, aux murs recouverts de bois noirci. Trois ouvertures, une au plafond, une au mur gauche, une trappe au sol. Toutes sans porte. Toutes ouvertes sur du vide ou de l’obscurité.

L’homme qui l’avait accueilli, qu’il n’avait toujours pas nommé, marchait lentement autour de lui.

— Tu veux être une ombre, hein ? souffla-t-il sans le regarder. Très bien. Commençons par te faire disparaître de toi-même.

Il s’arrêta. Pointa du doigt la trappe.

— Tu sautes. Tu retiens ton souffle. Tu atterris sans bruit. Et tu attends.

— Combien de temps ?

— Jusqu’à ce que tu comprennes.

Rek n’attendit pas de précisions.

Il sauta.

La chute était plus haute qu’il ne le pensait. Il se réceptionna, roulade maladroite, un genou cognant le sol.

Il inspira. Trop fort.

— Bruit, lança la voix d’en haut. Recommence.

Il remonta. Recommença.

Et encore.

Il finit par se laisser tomber, comme une feuille, et rouler sur l'épaule, muscles détendus. Il se réceptionna mieux. Retint son souffle cette fois.

Il attendit.

Dix secondes. Trente. Une minute.

Puis la voix revint.

— Monte. Encore.

La lumière dans la pièce changeait lentement, filtrée par des fentes dans le bois. L’entraînement n’avait pas de rythme. Pas de structure. Il n’était jamais prévenu. Parfois, il devait traverser une poutre suspendue, les yeux bandés. D’autres fois, il devait détecter un projectile lancé sans avertissement.

Il échouait. Souvent.

Mais il n’abandonnait pas.

Une fois, il tomba sur le côté, heurtant une caisse. Il se releva, bras engourdi. Il saignait de la paume. L’homme ne dit rien. Ne proposa rien. Pas un mot.

Et c’est là que Rek comprit.

Le silence faisait partie de l’enseignement. Il n’y aurait pas d’explication. Il y aurait le geste, l’échec, et la répétition.

À un moment, il sentit une lame siffler près de son oreille, venue de nulle part. Une tige de bois, lancée sans bruit. Il avait tourné la tête à l’instant juste avant.

L’homme se rapprocha.

— Tu l’as sentie.

— Je l’ai devinée.

Un court silence.

— Tu apprends. Lentement. Mal. Mais tu restes.

Il s’éloigna.

— Reviens demain. Ou pas.

Rek resta seul dans la pièce. Il tremblait. Pas de froid. De tension. Ses muscles brûlaient, mais son cœur était étrangement calme.

Il pensa à Takuya. À sa façon de se relever. À sa logique glacée, mais humaine. À la façon dont il regardait toujours devant.

Alors lui aussi, il regarda devant.

Et promit, en silence, de ne plus faire aucun pas inutile.

---

Le sac de sable pesait. Pas seulement sur ses épaules, mais sur son dos, sur sa nuque, sur sa volonté.

Shéol était remonté une, deux, trois fois sur le bloc de pierre. À chaque tentative, ses jambes tremblaient un peu plus. Son souffle se faisait plus court. Mais il ne disait rien. Il tombait, il gémissait parfois, mais il se relevait.

Le formateur n’avait pas bougé.

Il se tenait dans l’ombre d’un pilier, les bras croisés, son bâton contre la jambe. Il observait. Pas comme un juge, mais comme un roc. Présent. Immuable.

— Tu fatigues, dit-il doucement après la quatrième chute.

Shéol, à genoux, haletant, leva les yeux vers lui sans répondre.

— Et pourtant tu continues.

Il s’approcha lentement, posa un genou au sol devant lui, et lui tendit le sac une fois de plus.

— Lève-toi. Encore.

Shéol prit le sac. Ses bras tremblaient. Il sentit ses doigts se crisper autour des poignées de tissu râpé. Une part de lui voulait crier qu’il n’en pouvait plus. Une autre… pensait à Takuya.

Il se revit, quelques jours plus tôt, allongé dans une ruelle, le corps meurtri après le coup du lézard noir. Il se revit, incapable de bouger, de parler. Et il avait vu Takuya tomber aussi, puis se relever.

Takuya tombait. Mais il se relevait toujours.

Alors Shéol se redressa.

Il remit le sac sur ses épaules. Et remonta sur le bloc.

Le bois craqua sous son poids. Il se rééquilibra de justesse. Ses jambes plièrent. Il serra les dents. Resta debout.

Une minute. Deux.

Le formateur parlait enfin.

— Tu n’as pas de muscles. Tu n’as pas de technique. Mais tu as quelque chose d’assez rare.

Shéol le regarda, les yeux écarquillés par l’effort.

— Tu n’as pas quitté le bloc.

Il s’éloigna à nouveau.

— Repose-toi deux minutes. Ensuite, on passe à la suite.

Shéol descendit, s’écroula au sol, le sac glissant le long de sa colonne. Il se coucha sur le dos, le regard perdu vers les poutres du plafond.

Le silence de la salle n’était plus vide. Il semblait respirer avec lui, suivre le rythme de ses poumons, comme s’il appartenait déjà un peu à ce lieu.

Deux minutes plus tard, il était debout. Les jambes douloureuses, mais fonctionnelles.

Le formateur l’attendait devant une série de petites dalles carrées, posées à même le sol.

— L’exercice est simple. Tu tiens ici, dit-il en désignant la première dalle.
— Et je dois aller jusque là ? demanda Shéol en pointant la dernière.

— Non. Tu restes ici.

Il marqua une pause.

— Et moi, j’essaie de passer. Sans être arrêté.

Shéol comprit.

C’était une simulation. Il devait protéger un point. Tenir sa position. Empêcher le passage. Sans armes.

— Tu peux m’attraper, me repousser, m’empêcher d’avancer. Mais pas me blesser.

— D’accord.

Le formateur lui laissa une dizaine de secondes pour se placer. Shéol se positionna, jambes fléchies, bras levés, cœur battant.

Puis le géant s’avança.

Calmement. Sans forcer. Juste en posant le pied sur la dalle suivante.

Shéol s’interposa, tenta de faire obstacle de son corps. Il fut poussé sans ménagement, roulé sur le côté.

— Recommence, dit l’homme.

Deuxième tentative. Shéol recula avant même le contact.

— Trop mou. Encore.

Troisième. Il se jeta en avant, maladroitement. Percuté. Projeté.

— Mauvais timing. Encore.

Cela dura une heure. Peut-être deux.

À chaque tentative, il chutait. À chaque chute, le formateur répétait :

— Recommence.

Mais jamais de colère. Jamais de sarcasme.

Juste une exigence tranquille. Un mur qui refusait de céder.

À la dixième tentative, Shéol ne chercha pas à bloquer. Il encaissa.

Il planta ses pieds. Courba l’échine. Et absorba l’impact. Il fut poussé, certes. Mais il n’était pas tombé.

Le formateur s’arrêta.

Il le regarda longuement, puis posa une main sur son épaule.

— Tu as compris.

Shéol, haletant, le front perlé de sueur, cligna des yeux.

— Ce n’est pas frapper qui compte, dit-il. C’est tenir la ligne. Être celui qui reste debout quand tout plie.

Il s’accroupit face à lui.

— Tu n’es pas un mur, pas encore. Mais tu pourrais le devenir.

Shéol sentit quelque chose dans sa poitrine. Une chaleur. Pas de l’orgueil. De l’alignement. Comme si, pour la première fois, il avait fait quelque chose qui avait du sens. Non pas juste pour survivre, mais pour appartenir à quelque chose.

Le formateur se redressa.

— Repose-toi. Tu reviendras demain. On recommencera.

Shéol hocha la tête. Il resta encore un moment dans la salle, seul.

Puis il s’approcha de la dalle d’entraînement, s’agenouilla, et posa les paumes au sol.

Il murmura, pour lui-même :

— Takuya… je vais devenir quelqu’un sur qui tu peux compter.

Et pour la première fois, il le pensait vraiment.

---

Rek avançait les yeux bandés.
Pas parce qu’il y voyait mieux ainsi, mais parce qu’on le lui avait ordonné. Et dans ce lieu, on ne discutait pas. On faisait. Ou on partait.

Il ne connaissait pas l’architecture des salles. Elle changeait. Elle mentait. Les couloirs étaient déplacés, les obstacles effacés, recréés. Parfois, il pensait avancer tout droit et revenait à son point de départ. Mais l’homme aux yeux pâles, son “enseignant”, ne disait rien. Il attendait. Et quand il parlait, c’était pour asséner une vérité tranchante.

— Ton corps n’est qu’un outil. Ce que tu dois entraîner, c’est l’instinct.

C’était au bout du troisième mur pris dans le torse que Rek comprit.

Ce n’était pas une question de force.

C’était une question de présence.

---

Shéol, de son côté, faisait face à un mannequin de bois.
Pas un ennemi. Pas une cible. Juste un pilier, usé par les frappes des années passées.

Le formateur lui avait tendu un large bouclier rond, trop grand pour sa taille, trop lourd pour ses bras.

— Tiens.

Il l’avait pris.

— Ce n’est pas pour frapper. C’est pour protéger.

Alors il le tenait.

Et à chaque tentative de le déséquilibrer, une charge, un coup de bâton, une poussée, il tombait.

Mais le formateur le relevait, silencieusement, et répétait :

— Tiens.

---

Rek sentit le vent.

C’était subtil, une brise déplacée par un projectile en bois, lancé sans bruit depuis quelque part. Il n’avait que l’ouïe, la peau, les réflexes.

La tige passa à quelques centimètres de son oreille.

Pas assez rapide. Encore.

Il recula, attendit. Cette fois, pas de coup.

Il ressentit le vide, autour de lui. L’absence d’hostilité. Ou

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