Chapitre 23 - Le poids du fragment
Le fragment de pierre pesait moins qu’il ne l’avait imaginé.
Et pourtant, chaque fois qu’il le portait sur lui, Takuya avait l’impression d’emmener un morceau de son propre corps.
Il l’avait rangé dans un petit tissu renforcé, noué contre son flanc gauche. Le symbole inscrit dessus – son premier “mot” gravé dans la matière – n’émettait plus aucune lumière. Mais cela n’avait aucune importance. Il existait. Il avait été tracé, accueilli, conservé. Il était à lui, et à personne d’autre.
Depuis qu’il l’avait reçu, il ne l’avait pas quitté une seule seconde.
Et il avait commencé à sentir… des choses.
Subtiles.
Silencieuses.
Mais indéniables.
Certaines pièces du bâtiment lui paraissaient plus denses quand il y entrait avec le fragment.
Dans d’autres, il lui arrivait de percevoir une légère pression dans l’estomac, ou un frisson qui parcourait l’intérieur de ses paumes. Rien de douloureux, mais comme un écho.
Au début, il avait cru à une impression.
Mais le phénomène s’était répété.
Puis, un matin, alors qu’il franchissait le seuil d’une salle où il n’était jamais allé, il sentit brusquement l’air changer autour de lui.
Rien ne bougeait.
Mais sa peau, elle, réagissait.
Ses sens se concentraient malgré lui.
Comme si le symbole gravé sur lui était reconnu par quelque chose dans l’espace.
Il s’était figé, fronçant les sourcils.
— Tu l’as senti, n’est-ce pas ? dit une voix derrière lui.
Le vieux.
Appuyé contre l’embrasure de la porte, les bras croisés, regard tranquille.
— C’est quoi ? demanda Takuya.
— La salle me reconnaît ?
— Non. Pas toi.
Il désigna la pochette contre son flanc.
— Elle reconnaît ce que tu portes.
Takuya entrouvrit le tissu, en sortit le fragment.
Rien ne se produisit.
Et pourtant, il savait.
— C’est comme un… accord ?
— Une résonance, précisa le vieux.
Il s’approcha lentement.
— Certains lieux, certaines salles, ont été travaillés. Éveillés. Pas enchantés. Pas ensorcelés. Juste habités par des gestes anciens.
— Quand tu entres avec un symbole chargé… tu l’amènes en territoire connu.
Takuya leva le fragment à hauteur de son regard. Le symbole gravé dessus semblait endormi.
Mais la salle, elle, ne l’était pas.
— Et si je le posais ici ?
— Tu verras.
---
Takuya s’avança lentement.
La salle était presque vide : quelques pierres, une structure centrale basse, comme un ancien autel désaffecté. Il s’agenouilla, déroula le tissu avec soin, et posa le fragment au centre.
Pendant quelques secondes : rien.
Puis, l’air se modifia.
Légèrement.
Comme une tension détendue. Un relâchement dans la pression ambiante.
Une impression de chaleur intérieure, presque imperceptible.
CAINE s’activa :
> [Réaction énergétique passive détectée]
Liaison magnétique diffuse entre le fragment porteur et l’environnement immédiat.
Niveau de résonance : 8%
Fréquence harmonique : stable.
Takuya ne souriait pas.
Il s’imprégnait.
C’était réel.
Et ce n’était que le début.
Le vieux parla à nouveau :
— Ton symbole n’est pas juste un souvenir. C’est un point d’ancrage.
— Partout où il est posé, il parle. À sa manière. Et le monde lui répond.
Takuya murmura, plus pour lui-même :
— Alors chaque geste qu’on laisse derrière nous… continue de vivre ?
Le vieux acquiesça.
— Et plus tu en déposeras, plus tu pourras composer avec eux.
Il désigna la salle du menton.
— Ce lieu t’a accepté. Tu peux y revenir. Tracer. Poser d’autres accords. Et un jour… il ne te répondra plus faiblement. Il chantera.
Takuya ferma les yeux un instant.
Il n’avait plus seulement envie d’écrire.
Il voulait accorder.
---
La salle n’avait pas changé.
Même lumière, même silence, même pierre brute au sol.
Et pourtant, Takuya la voyait différemment.
Ce n’était plus un lieu neutre, froid, ou simplement fonctionnel.
C’était le premier endroit où la matière l’avait accepté.
Le premier espace où il avait tracé une ligne que le monde n’avait pas rejetée.
C’était un lieu de mémoire.
Il entra seul.
Pas de maître aujourd’hui. Pas de voix dans son dos.
Juste lui, son souffle, et le fragment qu’il portait contre le cœur.
Il s’avança au centre, s’agenouilla.
D’un geste lent, il déroula le tissu qui entourait la pierre.
Le symbole, bien que silencieux, semblait plus clair ici.
Comme s’il reconnaissait l’endroit.
Takuya tendit la main, effleura le sol, puis posa le fragment au centre exact de la salle.
Pas un son.
Mais aussitôt, l’air se modifia.
À peine perceptible.
Mais réel.
Il sentit une variabilité de pression dans ses poumons. Comme si respirer ici exigeait un souffle plus précis.
Comme si la salle demandait une intention claire pour lui répondre.
CAINE s’activa immédiatement :
> [Résonance faible détectée]
Corrélation géo-symbolique entre symbole porteur et sol structurel.
Niveau d’accord : 11%
Fréquence harmonique : ascendante.
Détection d’un flux passif dans la structure.
Takuya s’assit, jambes croisées, face au fragment.
Il ne disait rien.
Ne traçait rien.
Il écoutait.
Et dans cette écoute… il entendit deux souffles.
Le sien. Et un autre.
Faible. Profond. Ancien.
Celui de la salle.
Ou plutôt, celui de l’endroit où il avait appris à respirer différemment.
---
Il ferma les yeux.
Se concentra uniquement sur le flux qui montait de sa poitrine à ses doigts.
Puis, doucement, il tendit la main vers le fragment, sans le toucher.
Il voulut simplement projeter son intention.
Pas de mot.
Pas de pensée.
Juste un : je suis là.
Et la pierre répondit.
Pas avec de la lumière.
Mais avec un tressaillement intérieur.
Comme si le fragment reconnaissait qu’il se trouvait à l’endroit de sa naissance.
CAINE :
> Réaction stabilisée. Synchronisation énergétique en cours.
Flux circulant entre fragment, utilisateur, et sol structurel.
Qualité : équilibrée.
Premier souffle croisé établi.
Takuya rouvrit les yeux.
Le fragment ne brillait toujours pas.
Mais autour de lui, l’air pulsait.
Comme une respiration lente, profonde, un battement.
Pas de pouvoir.
Pas de sort.
Juste un accord ancien, ravivé.
Il resta là longtemps, à écouter.
Et comprit que ce n’était pas son mana qui agissait.
Mais ce qu’il avait laissé derrière lui.
---
Il avait longtemps cru que chaque symbole vivait seul.
Une forme. Une pulsation. Un souffle isolé.
Autonome. Stable. Solidaire de l’intention qui l’avait fait naître.
Mais en posant ce deuxième fragment au sol, dans la même pièce que le premier, Takuya comprit immédiatement son erreur.
Ils se répondaient.
Il n’y eut ni lumière, ni bruit.
Mais l’espace entre eux, pourtant vide, changea.
Subtilement. Radicalement.
Un frisson statique remonta le long de ses bras. L’air devenait chargé, comme s’il contenait une parole suspendue, une tension prête à éclater — non pas violente, mais désaccordée.
Il fit un pas en arrière.
CAINE afficha un avertissement :
> [Résonance croisée détectée]
Deux structures symboliques actives présentes.
Distance minimale : 2,3 m
Incompatibilité harmonique : modérée.
Fluctuation : ascendante.
Le vieux apparut dans l’encadrement de la porte.
Il ne dit rien au début.
Observa. Laissa Takuya ressentir.
Puis :
— Tu ressens l’entre-deux ?
Takuya hocha la tête.
— On dirait que… la pièce tremble. Mais doucement.
— Elle ne tremble pas. Elle choisit.
Il s’approcha à pas lents, mains croisées dans le dos.
— Chaque symbole, même silencieux, garde une fréquence.
— Et quand tu en mets deux… ils entrent en dialogue.
Takuya observait les deux pierres.
Aucune ne brillait. Aucune ne vibrait à l’œil nu.
Et pourtant… il sentait.
Entre elles, l’air formait une sorte de couloir invisible. Un espace chargé de tensions diffuses, de frottements subtils.
— Et si elles ne s’entendent pas ? demanda-t-il.
Le vieux le fixa.
— Alors, elles s’annulent. Ou se déchirent.
CAINE :
> Tension entre fréquences : stable mais montante.
Risque de rejet énergétique dans 6 à 9 minutes.
Takuya s’agenouilla, leva doucement la main vers le fragment le plus récent.
Il posa ses doigts dessus, se connecta à sa trace.
Puis fit de même avec l’autre.
La différence était nette.
L’un était né dans une salle froide, dans un moment de contrôle.
L’autre, dans une salle plus ancienne, fruit d’un souffle presque instinctif.
Deux volontés.
Deux intentions.
Et là… le problème.
Il n’avait pas pensé à la manière dont elles s’accorderaient.
— Tu as placé deux voix, dit le vieux.
— Mais elles ne chantent pas la même chose.
Takuya inspira profondément. Se leva.
— Je dois en retirer une ?
— Pas forcément.
Il sortit un morceau de charbon. Travaillé, lissé.
— Tu peux aussi les faire s’écouter.
Takuya comprit aussitôt.
Il traça une ligne entre les deux fragments. Une simple courbe, fine, douce.
Un trait de réconciliation.
Et cette fois…
l’air se détendit.
Pas totalement. Mais la tension diminua.
CAINE :
> Résonance régulée.
Courbe de liaison partiellement active.
Fréquence d’accord : 58%.
Observation d’un premier effet miroir.
Takuya recula. Soupira.
— Ce n’est pas comme écrire des mots isolés, murmura-t-il.
Le vieux sourit.
— Non. C’est comme composer une phrase. Avec deux cœurs.
—
Le trait entre les deux fragments tenait.
Il n’était pas parfait, pas lumineux, pas même particulièrement solide…
Mais il tenait.
Et ce simple lien, fragile et courbe, suffisait à changer tout son regard.
Takuya se tenait debout, au centre de la pièce, les bras le long du corps, les yeux mi-clos.
Il écoutait.
Pas des mots.
Pas des pensées.
Des fréquences.
Une pulsation entre les fragments.
Un frottement sourd sous ses pieds.
Un courant dans l’air, presque imperceptible, qui glissait d’un point à l’autre avec une respiration fluctuante.
CAINE s’était ajustée au silence :
> [Résonance stabilisée à 58%]
Signature harmonique : tierce énergétique imparfaite.
Suggestion : test d’une courbe compensatoire ou insertion d’un troisième souffle neutre.
Takuya inspira.
Puis il sourit.
— Tu analyses ça comme une partition…
— Ce n’est pas si éloigné, répondit CAINE dans un murmure.
— La magie structurelle repose sur des motifs. Des tensions. Des relâchements.
— Et toute série de symboles forme… une composition.
Il s’agenouilla lentement devant les fragments.
Pas pour corriger.
Pour sentir.
Il traça un second lien, plus doux, entre le premier fragment et un troisième qu’il posa doucement sur le sol. Celui-ci portait un symbole non activé, mais que Takuya avait tracé par automatisme : un cercle incomplet, qu’il n’avait jamais testé jusqu’ici.
Dès le contact, la pression changea.
CAINE :
> Nouvelle courbe de résonance en formation.
Triade énergétique instable mais enrichissante.
Suggestion : ralentir souffle – réduire flux projeté – observer réponse passive.
Takuya leva les mains.
Il ne voulait pas écrire.
Il voulait diriger.
Comme un chef d’orchestre silencieux.
Il projeta une ligne mince entre ses doigts, suspendue, non inscrite.
Un simple souffle.
Et… la mélodie apparut.
Pas audible.
Mais présente.
Une vibration combinée entre les trois symboles.
Le flux dansait. Se tordait, se calait. Puis se posait.
Une nouvelle sensation lui parcourut l’échine.
Il n'était plus en train de "placer" des symboles.
Il était en train de composer une ambiance.
Un rythme.
Un climat.
Et pour la première fois, il comprit une vérité qu’aucun mot n’aurait pu lui apprendre :
Les symboles chantent.
Il rompit la ligne, observa le calme revenir.
Les fréquences se dissipèrent, sans conflit, sans tension.
Le vieux entra à cet instant.
Il n’avait rien vu, mais il comprit en un regard.
— Tu n’écris plus.
— Tu écoutes.
Takuya hocha la tête.
— Et les symboles… me parlent.
Le vieux s’assit contre le mur.
— Ce ne sont pas des mots, Takuya.
— Ce sont des voix.
**********************
Le jour s’étiolait lentement sur les hauteurs artificielles de la ville du premier étage. Le ciel n’avait ni soleil ni lune, mais la lumière — douce et diffuse — commençait à se teinter de tons ambrés, tirant l’ambiance vers une sorte de crépuscule feutré. Une brume légère glissait dans les ruelles étroites, adoucissant les contours des pierres et des ombres.
C’était l’heure où les marchands fermaient boutique, où les artisans bâillaient à leurs forges refroidies, et où les bruits des sabots fatigués s'éloignaient dans les quartiers moins animés.
Sheol marchait à pas discrets, presque effacés. Il ne courait pas, mais ses jambes semblaient pressées. Ses bras, serrés contre son torse, enlaçaient un sac poussiéreux. Une éraflure rouge traversait le haut de son museau, mais elle n’était pas douloureuse — juste la preuve d’une journée bien remplie.
Ses oreilles tombaient légèrement sur les côtés, molles, comme toujours lorsqu’il était fatigué. Mais ses yeux… brillaient doucement.
Il atteignit la place où, chaque soir, ils se retrouvaient.
Rek était déjà là.
Assis sur une corniche de pierre, jambes croisées, torse légèrement penché en avant, le regard perdu vers la ville silencieuse. Il ne bougeait pas, à peine s’il respirait. On aurait pu croire qu’il dormait debout, ou qu’il méditait sur quelque chose de trop lointain pour être exprimé.
Sheol hésita un instant avant de s’approcher. Il le faisait toujours. Non pas par peur, mais par respect. Rek dégageait une forme de présence que Sheol ne savait pas encore comprendre. Une densité. Quelque chose de compact, qui donnait le sentiment qu’il n’était jamais vraiment en repos.
— D-désolé, dit-il doucement. J’ai mis… un peu plus de temps.
Rek tourna juste la tête, un centimètre peut-être.
— Tu pues la sueur, murmura-t-il, l’air neutre.
Sheol baissa immédiatement les yeux, embarrassé.
— Oh… je… je sais. Je voulais me laver d’abord mais… le bassin était fermé. Je voulais pas te faire attendre…
Un silence.
Puis un léger soupir.
— Assieds-toi, dit simplement Rek.
Sheol le fit aussitôt, posant son sac devant lui et repliant ses jambes.
Un moment passa, suspendu. Le genre de silence qui, pour Rek, voulait tout dire. Et que Sheol remplissait en cherchant les bons mots.
— Aujourd’hui, j’ai réussi à… à tenir le bouclier pendant huit minutes. Enfin, presque. Huit et douze secondes, il a dit.
Il lança un regard rapide vers Rek, espérant une réaction.
Il n’y en eut aucune.
— La semaine dernière, je tenais à peine trois minutes. Il dit que c’est bon signe.
Toujours rien.
— Mon maître… il est gentil. Il corrige tout doucement, mais il voit tout. Il dit que la vraie protection ne vient pas des bras, mais du souffle. Je sais pas trop ce que ça veut dire encore, mais… j’aime bien l’écouter.
Rek hocha imperceptiblement la tête.
— Bien.
Sheol sourit, timidement.
— Et toi ? Tu… avances ?
Rek haussa les épaules.
— J’ai appris à bouger en silence. Trois pas sans son. Quatre si je retiens mon souffle.
— Tu t’entraînes beaucoup ?
— Il me fait recommencer. Encore et encore. S’il m’entend, je recommence. S’il me voit, je recommence. Il ne parle pas. Il corrige avec des coups. Il a dit que mon cœur est trop clair.
Sheol se figea.
— Ton cœur ?
Rek hocha la tête.
— Il dit que je pense trop à Takuya. Que ça me rend lent.
Sheol ne sut pas quoi répondre. Il regarda son sac, puis ses mains. Puis il murmura :
— Moi aussi je pense beaucoup à lui.
Il hésita. Lutta avec ses mots. Puis, d’une petite voix :
— Je veux… pouvoir rester avec lui. Je veux pas qu’il pense que je suis inutile.
Ses oreilles frémirent. Il avait honte d’avoir dit ça. Honte d’être encore celui qu’il faut protéger, alors que Takuya et Rek avançaient déjà, là-haut, si loin devant.
Rek tourna la tête vers lui.
— Tu veux le protéger ?
Sheol leva doucement les yeux, surpris.
— O-oui.
— Alors tu dois devenir un mur. Solide. Silencieux. Fiable.
Il fit une pause.
— Pas un poids.
Sheol baissa la tête. Il murmura presque, plus pour lui que pour Rek :
— Je fais de mon mieux.
Un silence.
Puis Rek parla, sans détour :
— C’est lui qui m’a donné une raison. D’être là. D’être quelqu’un.
— Moi aussi, chuchota Sheol. C’est la première fois que je me sens… vu.
Il leva les yeux, timides, vers le ciel voilé.
Et c’est alors que quelque chose fusa dans l’air.
Aucun son. Aucun cri.
Juste un sifflement léger, rapide, tranchant. Une pierre, lancée à pleine vitesse, venant de la ruelle latérale.
Ciblée.
Vers la tempe de Sheol.
Mais avant qu’elle ne touche…
Une main se leva.
Rek n’avait pas bougé.
Il n’avait pas tourné la tête.
Sa main droite s’était simplement tendue. D’un mouvement fluide, presque paresseux.
Et la pierre s’y écrasa.
Sans bruit.
Sans heurt.
Interrompue.
Et dans le même geste, Rek la renvoya.
D’un claquement sec du poignet, rapide comme un éclair.
La pierre repartit… invisible.
Le silence retomba.
Sheol ne vit rien.
Mais il cligna des yeux, ses oreilles dressées un instant.
— T-tu… as entendu quelque chose ? demanda-t-il doucement.
Rek resta figé un moment. Puis répondit :
— Non. Rien d’important.
Il regardait droit devant lui.
Sheol observa sa main. Quelque chose l’avait effleuré. Il ne savait pas quoi. Un souffle ? Une vibration ?
Mais l’espace restait calme.
Il baissa lentement les yeux.
— Je… suis peut-être fatigué, dit-il doucement.
Rek ne répondit pas.
Puis, dans un souffle, Sheol murmura :
— Tu crois que je deviendrai fort, un jour ?
— Si tu continues.
Un autre silence. Plus doux, cette fois.
— Merci d’être là, Rek.
Rek ne bougea pas. Il ne dit rien.
Mais il resta.
Et pour Sheol, c’était assez.
***********************
Le sol était lisse sous ses pieds nus.
La salle résonnait d’un silence total — pas un écho, pas un courant d’air, pas même le froissement de ses vêtements.
Juste lui.
Et deux symboles.
Deux fragments posés en face l’un de l’autre, distants d’un peu moins de quatre mètres.
L’un portait la marque qu’il avait tracée dans la pierre du pilier. L’autre, un motif nouveau, composé la veille : une spirale incomplète, ouverte au nord, encerclée par trois points discrets.
Il s’assit lentement au centre du cercle invisible formé par leur position.
La pièce était nue.
Mais l’air ne l’était pas.
Une pulsation douce flottait, presque musicale. Une vibration de fond, instable mais non menaçante.
Comme deux instruments qui s’accordaient encore.
CAINE projetait en silence une interface flottante devant lui, réduite à sa plus simple expression :
> Résonance active : double
Fréquence croisée : 61%
Courbe d’harmonisation possible : écho spiralaire + souffle régulé
Tissu énergétique : fluctuant / contrôlable
Takuya inspira profondément.
Il savait qu’il ne pouvait pas forcer l’accord. Pas cette fois.
Il devait devenir le lien, non pas l’initiateur.
Alors il plaça ses deux mains à plat sur le sol, de part et d’autre de lui.
Et laissa son souffle se diviser.
Un flux doux se diffusa depuis sa paume gauche vers le premier fragment.
Un second, presque identique mais légèrement décalé en intensité, vers le second.
Les deux symboles s’illuminèrent faiblement. Pas de lueurs éclatantes. Juste une lumière tranquille.
Une présence éveillée.
Il sentit la résonance monter.
Les deux fréquences ne s’opposaient plus.
Elles s’approchaient.
Et lorsqu’elles se frôlèrent, l’air se stabilisa.
L’instant d’après, il n’y eut plus de vibration.
Juste un calme.
Profond.
Silencieux.
Entier.
Takuya rouvrit les yeux.
Les deux symboles brillaient doucement. Un filament très fin, comme une corde d’argent, s’était tendu entre eux.
Invisible pour tout autre regard.
Mais lui… il le voyait.
Il l’avait tracée. Sans tracer.
Il l’avait inspirée.
Il se leva lentement. Marcha entre les deux fragments.
Et là, au cœur de leur cercle, l’air était différent.
Il était fluide.
Il était vivant.
Il était à lui.
CAINE :
> Tissu énergétique détecté : harmonisé
Stabilité : 87%
Réaction passive de l’environnement : atténuation sonore, apaisement thermique
Note : premier état de barrière atmosphérique légère enregistré
Il sourit. Pas parce qu’il avait réussi.
Mais parce qu’il avait compris.
Ce n’était pas les symboles.
C’était le lien entre eux.
Le vieux entra sans bruit. Il resta dans l’ombre un moment. Puis s’approc
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