CHAPITRE IX

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De la venue de monsieur don fray Juan de los Barrios, premier archevêque de ce Royaume, et de tout ce qui advint jusqu'à sa mort; et de la venue du docteur Andrés Díaz Venero de Leyva, premier président de l'Audience Royale de Santa Fe.

Peu après la venue du licencié Alonso de Grajeda, et après qu'il eut destitué le licencié Juan de Montaño, l'envoyant prisonnier en Castille, arrivèrent les licenciés Tomás López et Melchor Pérez de Artiaga comme auditeurs de l'Audience Royale. Et dans leur sillon, en différents voyages et occasions, arrivèrent le licencié Diego de Villafaña, le licencié Juan López de Cepeda, qui mourut étant président de Las Charcas, le licencié Ángulo de Castrejón, le docteur Juan Maldonado, et comme contrôleur le licencié García de Valverde, qui fut le premier de cette Audience Royale. Certains de ces messieurs furent promus en d'autres places, qu'ils allèrent servir, échappant ainsi à l'agitation des visites et des résidences. D'autres, comme le licencié Melchor Pérez de Artiaga et le contrôleur García de Valverde, assistèrent le docteur Andrés Díaz Venero de Leyva, premier président de cette Audience Royale.

Au début de l'année 1553 arriva en ce Royaume monsieur l'archevêque don fray Juan de Los Barrios, de l'ordre de Saint François; mes parents furent des gens qu'il amena. En ce temps une cédule avait été publiée à la maison du recrutement de Séville, par laquelle l'empereur Charles Quint, notre roi et seigneur, exigeait qu'à cette partie des Indes n'entrassent que des gens espagnols, vieux chrétiens, et qu'ils vinssent accompagnés de leurs femmes. Cette cédule fut effective longtemps, tandis qu'aujourd'hui tout le monde, et surtout n'importe qui, entre comme bon lui semble; elle fut sans doute perdue.

Monsieur l'archevêque était naturel de Villapedroche, en Estrémadure, et avait été éduqué au monastère de Saint François de Cordoue, où sa persévérance reçut une telle approbation qu'il fut choisi comme évêque du Río de la Plata; et avant même qu'il ne sortît d'Espagne pour aller servir ledit évêché, il fut promu à celui de Santa Marta, où il arriva à la fin de l'année 1552. Puis il vint en ce Nouveau Royaume où il servit plus de quinze années, sans jamais retourner à Santa Marta. Et l'on croit que ce fut par ordre du Roi, notre seigneur, ses services étant plus nécessaires ici que là-bas; et en rapport avec la fondation de l'Audience Royale de Santa Fe qu'il avait déjà l'intention d'autoriser. De fait la création en cette province d'un nouvel évêché s'imposait comme une évidence, étant donné l'ampleur de son territoire et la possibilité d'y fonder de nombreuses villes, comme ce fut le cas par la suite; d'autant plus que l'administration d'une terre aussi lointaine était incompatible avec l'activité d'un prélat siégeant à Santa Marta.

Ce soupçon fut confirmé par la venue, à l'initiative dudit archevêque, de certains prébendiers de la cathédrale de Santa Marta, pour qu'ils exerçassent leurs fonctions dans le diocèse de Santa Fe, en juin de l'année 1556, comme l'atteste le synode sur lequel je me fonde.

L'année précédant ces faits, celle de 1555, l'empereur Charles Quint capitula au profit de son frère don Ferdinand, roi des Romains, à qui il céda la majeure partie de son empire, et de son fils Philippe II qui reçut le Royaume d'Espagne et toutes ses dépendances. Ainsi en 1556 régnait déjà don Philippe II, notre roi et seigneur naturel.

Ledit archevêque plaça des ministres du culte dans les villages des Indiens pour qu'ils y prêchassent la bonne parole, dans la perspective de les amener à la conversion. Et en cela il fut aidé par les ordres des Dominicains et Franciscains, qui dès l'année 1550, de la fondation de l'Audience Royale, avaient fondé leurs monastères à Santa Fe.

Le docteur Andrés Díaz Venero de Leyva prit donc possession de ses fonctions de premier président de cette Audience Royale; il aida beaucoup à la conversion des naturels, car à la demande du prélat il fit bâtir des églises dans les villages indiens; là les messes étaient dites et la bonne parole prêchée dans la propre langue des naturels, et elles l'ont été jusqu'au temps présent. Ces mesures ont été d'une grande utilité à toute cette province et aux provinces voisines, qui en ont amplement profité, comme il est notoire.

Dans le laps de temps entre la fondation de l'Audience Royale et l'arrivée de son premier président, je souhaite cueillir deux fleurs du jardin de Santa Fe de Bogotá du Nouveau Royaume de Grenade; la première représente les rapports de monsieur l'évêque don fray Juan de Los Barrios avec l'Audience Royale, pour que le lecteur comprenne que les heurts entre ces deux tribunaux ne sont pas chose nouvelle.

J'ai déjà précisé, après avoir évoqué l'emprisonnement du licencié Juan de Montaño, les noms des auditeurs qui avaient assisté le licencié Alonso de Grajeda.

Or un jour arriva du Pérou à cette ville de Santa Fe un ecclésiastique, dont l'ordre, à l'époque, ne fut pas investigué; il fut suivi de près par un mandat d'arrêt contre sa personne émis par l'Audience de Lima, qui le réclamait, et auquel l'Audience de Santa Fe se mit en besogne de donner suite. L'ecclésiastique s'en enquit, et alla à l'église où il trouva monsieur l'évêque. Un auditeur se présenta en cette même église pour y arrêter l'ecclésiastique fugitif au nom de l'Audience Royale; monsieur l'évêque fit tout ce qu'il put pour l'en empêcher, mais finalement l'auditeur l'emmena prisonnier. Le prélat entreprit toutes les diligences qu'il put contre l'Audience, usant de toutes les subtilités du droit, et allant même jusqu'à déposer un recours de droit divin; finalement, dépité, il décida de quitter cette ville pour retourner en Castille.

La ville toute entière fut fort attristée de voir partir son prélat, qui laissait ses habitants privés des consolations de l'âme, et les conquistadors s'opposèrent farouchement à ce départ. Finalement on trouva la manière de ramener ces messieurs à l'obéissance, et tous accordèrent de rattraper le convoi du prélat pour le convaincre de revenir, ce qu'il accepta; de retour vers Santa Fe il fit étape à l'encomienda La Serrezuela d'Alfonso Díaz, dont bénéficie aujourd'hui Juan de Melo. Le premier des messieurs de l'Audience Royale à parler avec le prélat pour arranger les choses fut le contrôleur García de Valverde; monsieur l'évêque le reçut fort bien, lui donna l'absolution, et en pénitence, il lui signifia de retourner à pied de la Serrezuela jusqu'à Santa Fe, ce qui représente cinq lieues. Le contrôleur accomplit donc ladite pénitence accompagné d'autres messieurs qui n'avaient nulle faute à se faire pardonner. Monsieur l'évêque revint alors en cette ville où il fut de nouveau très bien reçu. Messieurs les auditeurs allèrent à sa rencontre à l'entrée de la ville, et à chaque fois qu'il en croisait un, il l'absolvait, lui donnant la même pénitence qu'au contrôleur. Cet épisode tumultueux termina donc ainsi, et tous demeurèrent très amis.

La seconde fleur naquit également en cette même place, et ce fut ce papier placardé sur les murs du cabildo des années auparavant, et qui traitait de la mort des deux auditeurs Góngora et Galarza, et de tous les gens qui se trouvaient à bord de la capitane quand elle fit naufrage dans les parages de la Bermude, et dont voici l'histoire.

Sur l'une des flottes qui allaient et venaient de Castille, après l'emprisonnement de Montaño, arriva un résident de cette ville pour y faire fructifier son argent; c'était un homme marié, dont la femme était jeune et belle; et en l'absence de son mari, qui était parti en voyage d'affaires, elle ne voulut pas laisser gâcher sa beauté mais préféra en jouir. Elle s'oublia donc et se retrouva bientôt avec un gros ventre, qu'elle avait bon espoir de pouvoir perdre à temps. Mais bientôt, et bien avant l'accouchement, lui parvint la nouvelle de l'arrivée à la ville de Carthagène de la flotte sur laquelle venait embarqué son mari; la pauvre dame s'en alarma immédiatement, et entreprit au plus vite les diligences pour avorter la créature.

Elle voulut procéder à ce commerce avec Juana García, sa mère, ou plutôt, sa commère; c'était une négresse horra¹, qui était montée en ce Royaume avec l'Adelantado don Alonso Luis de Lugo. Cette négresse était quelque peu sorcière, tel qu'il apparut dans les investigations. Elle avait deux filles, si dégourdies, qu'elles parvinrent à traîner dans les rues de cette ville jusqu'à des parures de soie et d'or, et traînèrent également à leurs pieds certains hommes de leur fréquentation.

1: Horro/horra: Esclave affranchi(e)

La femme enceinte consulta donc sa commère et l'entretint de ses tourments, afin qu'elle lui trouvât un remède. Sa commère lui dit:

-Qui vous a dit que votre mari venait à bord de cette flotte ?

La dame lui répondit que lui-même le lui avait dit, qu'à la première occasion il reviendrait. Et la commère de lui rétorquer:

-S'il en est ainsi, attendez, ne faites rien, car je veux d'abord en savoir davantage sur cette flotte. Ainsi je saurai si votre mari s'y est embarqué ou non. Et avec ça, Dieu nous garde.

Le lendemain matin la dame vit se présenter à elle sa commère, qui avait passé la nuit à mener diligemment de pointues recherches, et qui venait bien informée de la vérité. Elle dit à la femme enceinte:

-Ma chère fille : j'ai mené mon investigation, et je sais d'un compagnon qu'il est vrai que la flotte est à Carthagène; mais je n'ai pu trouver le moindre indice de la présence de votre mari sur cette flotte; qu'on ne vienne donc pas me dire qu'il est venu à son bord.

La dame enceinte en demeura profondément affligée, et supplia sa commère qu'elle lui procurât un remède pour évacuer cette créature. La négresse lui répondit:

-Gardons-nous d'une telle entreprise tant que nous ne serons pas certaines de sa proche venue. Mais écoute ce que tu peux faire: voyez-vous ce petit flacon vert que voici ?

-Oui, répondit la dame.

-Bien; ma fille, remplissez-le d'eau et placez-le dans votre chambre, puis patientez jusqu'au dîner; je reviendrai avec mes filles et nous nous divertirons; et pour parer à toute éventualité, nous prévoirons aussi un remède pour ce que vous me dites que vous voulez faire.

La commère s'en retourna donc chez elle, prévint ses filles, et à la nuit tombante elles allèrent chez la dame enceinte, qui n'avait pas manqué de suivre les instructions du flacon et de l'eau. La négresse avait également convié d'autres jeunes voisines siennes, pour que toutes pussent ensemble s'amuser cette nuit-là. Toutes ces femmes se réunirent donc, et tandis que les jeunettes dansaient et chantaient, la femme enceinte dit à sa commère:

-J'ai fort mal au ventre, voulez-vous le voir ?

La commère répondit :

-Je le ferai. Emmenons de la lumière et allons dans votre chambre.

Elles prirent une chandelle et y entrèrent. La dame ferma la porte et dit :

-Commère, voyez là le flacon plein d'eau.

Celle-ci lui répondit :

-Prenez donc la chandelle et dites-moi si vous voyez quelque chose dans l'eau.

Elle en fit ainsi et s'exclama :

-Commère, je vois là une terre qui m'est inconnue, et s'y trouve Untel, mon mari, assis sur une chaise; et il y a une femme assise à une table, et un couturier, ciseaux en main, sur le point de lui tailler une robe cramoisie. Sa commère lui ordonna alors:

-Laissez-moi voir, je dois m'en assurer moi-même.

Elle observa attentivement l'eau, et eut la confirmation que tout était vrai. La maîtresse de maison lui demanda alors:

-Quelle est cette terre ?

Et la réponse fut:

-C'est l'île d'Hispaniola de Saint-Domingue.

Ce fut alors que le couturier, d'un coup de ciseaux découpa une manche et se la jeta sur l'épaule. La commère demanda à la femme enceinte:

-Voulez-vous que je fasse perdre cette manche à ce couturier ?

Elle lui rétorqua :

-Mais comment feriez-vous donc cela ?

-Comme vous me le direz je la lui enlèverai, insista la commère.

La dame conclut :

-Enlevez-la-lui donc, ma commère, pour votre vie !

À peine avait-elle achevé son argumentation que la négresse reprit:

-La voici.

Et elle lui donna la manche. Elles demeurèrent un moment à observer la scène, jusqu'à ce que le couturier taillât la robe et la rangeât dans un coin; soudain tout se brouilla et disparut, et il ne resta plus que l'eau dans le flacon. La commère dit à la dame :

-Vous avez vu combien est peu pressé de revenir votre mari; vous avez bien le temps de vous soulager de ce ventre naturellement, et d'en refaire un nouveau.

La femme enceinte, ravie, rangea la manche cramoisie dans un coffre à côté de son lit; puis elles retournèrent dans la salle où les jeunettes étaient en plein amusement; elles dressèrent des tables et dînèrent fort bien, dans la joie et la bonne humeur.

Disons-en un peu. Il est de notoriété publique que le Démon fut l'inventeur de cette sombre manœuvre, et qu'il est savantissime au sujet des fils des hommes; mais il ne peut non plus pénétrer leurs cœurs au plus profond, ce que Dieu seul est capable de faire. Le Démon raisonne par conjectures, fondées sur l'observation des hommes et des pas qu'ils font. Je ne puis expliquer la vision qui apparut dans l'eau à ces femmes, mais j'affirme que celui qui en fut à l'origine est le même qui eut la témérité d'emmener le Christ Notre Seigneur au sommet d'une colline pour Lui montrer les Royaumes de ce monde dont il était le seigneur, et présumer de sa gloire; cette entreprise fut d'ailleurs ridicule, car par définition Dieu n'a besoin de rien, puisqu'Il possède déjà tout. Et à présent venons-en au mari de cette dame, qui fut celui qui découvrit toute cette volerie.

Arrivé à la ville de Séville, il rencontra de siens parents et amis qui venaient de l'île d'Hispaniola de Saint-Domingue; ceux-ci l'entretinrent des richesses qu'elle recelait, et lui conseillèrent d'y investir. L'homme suivit leur conseil, partit pour Saint-Domingue, et y réalisa de très bonnes affaires. Ses négoces l'amenèrent de nouveau en Espagne, avant de revenir en l'île d'Hispaniola. Ce fut au cours de ce second séjour que fut taillée la robe cramoisie. Notre homme fit de nouveau la traversée vers l'Espagne, où il poursuivit ses affaires avec succès. Il revint ensuite avec ses bénéfices en ce Nouveau Royaume, alors que la créature était déjà grande, et était élevée dans une maison étrangère avec un nom d'orphelin.

Mari et femme se retrouvèrent donc avec la plus grande joie, et en un premier temps coulèrent ensemble des jours heureux. Mais cette période de douces retrouvailles passée, la femme commença à se montrer exigeante, réclamant un cadeau puis un autre; et la manière allusive dont elle formulait ses demandes trahissait chez elle un soupçon de jalousie. Ces caprices et humeurs de la femme leur faisaient passer à tous deux de mauvais déjeuners et des dîners pires encore; et ils prirent de telles proportions que la vie du mari devint de plus en plus amère. En effet la femme ne se contentait plus de simples allusions, mais allait jusqu'à l'accuser directement d'avoir eu des liaisons adultères en l'île d'Hispaniola. Le mari commença donc à soupçonner qu'un de ses amis, de ceux avec qui il avait séjourné en ladite île, n'eût touché mot à sa femme de ses aventures galantes. N'en pouvant plus, il se laissa convaincre d'offrir des présents de plus en plus somptueux à sa femme, afin de voir s'il pouvait en obtenir le nom de celui qui lui avait porté ce préjudice. Ce fut ainsi qu'un soir, tandis qu'ils dînaient dans la bonne humeur, sa femme le pria de lui offrir un jupon de tissu vert brodé; le mari n'accéda pas favorablement à cette requête, inventant une quelconque excuse. Elle lui répondit donc:

-Ma foi, si c'eût été pour la femme de Saint-Domingue, à qui vous avez offert la robe cramoisie, vous n'inventeriez pas d'excuse.

Le mari en resta bouche bée, et croyant bien tenir là la confirmation qu'un de ses amis l'avait trahi. Et afin d'en savoir davantage il lui offrit le jupon, ainsi que d'autres présents, ce qui la contenta fortement.

Quelques jours après, un après-midi qu'ils s'entendaient bien, le mari demanda à sa femme:

-Ma sœur, me direz-vous, sur votre vie, qui vous a conté que j'avais vêtu une dame de grenat en l'île d'Hispaniola ?

La femme rétorqua:

-Voudriez-vous donc le nier !? Dites-moi plutôt vous-même la vérité, et je vous dirai qui me l'a dit.

Le mari ferra là son poisson:

-Ma dame, c'est la vérité, je vous l'avoue; mais aussi veuillez comprendre qu'un homme absent de son foyer, devant demeurer longtemps en des terres étrangères, doit bien trouver une forme de divertissement. J'ai donc offert une robe à une dame.

Elle insista:

-Dites-moi donc, tandis qu'on la lui taillait, que manqua-t-il ?

Il assura:

-Il ne manqua rien.

Elle le reprit vivement:

-Ô combien aimez-vous nier les choses ! Ne manqua-t-il point une manche !?

Le mari fit un effort de mémoire et dit:

-Certes, il est vrai que le tailleur oublia de la découper, et qu'on dut par conséquent retrouver du tissu pour achever l'ouvrage.

Et la femme de poursuivre:

-Et si je vous montre la manche manquante, sauriez-vous la reconnaître ?

Le mari s'inquiéta:

-Me direz-vous que vous l'avez ?

-Oui, suivez-moi et je vous la montrerai, conclut la femme.

Ils allèrent ensemble à la chambre de cette dame, et là elle sortit la manche du coffre derrière son lit, et lui demanda:

-Est-ce bien la manche manquante ?

Le mari s'exclama:

-Cette femme ! Je jure devant Dieu que nous découvrirons qui a amené cette manche depuis l'île d'Hispaniola jusqu'à la ville de Santa Fe !

Ainsi donc il s'empara de la manche et la porta chez monsieur l'évêque, qui était également juge inquisiteur, pour l'informer de l'affaire. Sa Seigneurie donna diligemment suite à la dénonciation, et convoqua la femme pour prendre sa déclaration. Intimidée, celle-ci confessa platement tout ce qu'il s'était passé, y compris la grossesse, la négresse, le flacon et l'eau. On arrêta donc prestement la négresse Juana García et ses filles; elle confessa également tout, et avoua même que c'était elle qui avait placardé le billet à propos de la mort par noyade des deux auditeurs Góngora et Galarza. Aussi elle dénonça beaucoup d'autres femmes, tel qu'en attestent les procès-verbaux. La cause instruite, monsieur l'évêque prononça des sentences contre tous les accusés. Le bruit courut que de nombreuses personnes furent prises dans le filet inquisitorial, qu'un conséquent réseau fut mis à jour, et que des gens importants y étaient impliqués. Finalement, l'Adelantado don Gonzalo Jiménez de Quesada, le capitaine Zorro, le capitaine Céspedes, Juan Tafur, Juan Ruiz de Orejuela et autres puissants, accoururent auprès de monsieur l'évêque, l'implorant de ne pas mettre à exécution les sentences édictées, arguant que la terre était neuve, et qu'elle en demeurerait à jamais entachée d'infamie.

Ils exercèrent une telle pression sur le prélat, qu'il annula la procédure. Il condamna seulement Juana García, l'exposant à l'église de Santo Domingo aux heures de la messe principale sur une estrade, à laquelle elle était attachée par le cou, et où elle devait tenir un cierge allumé; on pouvait la voir en larmes, sanglotant:

-Toutes ! Toutes nous le fîmes, et moi seule paie !

Elle et ses filles furent expulsées de ce Royaume.

Lors de ses aveux elle déclara qu'elle avait assisté au naufrage de la capitane depuis le ciel de la Bermude, jusqu'où elle s'était envolée depuis le mont situé derrière l'église de Nuestra Señora de las Nieves, au sommet duquel est plantée une croix. Après, bien plus tard, certains l'appelèrent le mont de Juana García. Et maintenant nous pouvons recevoir le docteur Andrés Díaz Venero de Leyva, premier président de ce Royaume, en l'an 1564.

Ledit président entra en cette ville. La plupart des auditeurs qui siégeaient à l'Audience Royale en étaient partis pour occuper d'autres postes en d'autres lieux. On réserva au président un accueil solennel, avec de grandes fêtes qui durèrent plus de quinze jours; les dépenses furent excessives, mais la terre, qui en ce temps-là était encore neuve, pouvait les supporter. Aujourd'hui je ne sais comment font les gens; je vois que tous s'amusent, mais les biens sont cependant loin d'être gratuits.

Les fêtes étant terminées, alors que le président commençait enfin à s'occuper de son gouvernement, il pria monsieur l'évêque de demander au Roi, notre seigneur, qu'il suppliât le souverain Pontife d'élever, d'évêché à archevêché, le diocèse de Santa Fe, puisque sa province comptait déjà de nombreuses villes, desquelles les évêques suffragants eussent pu dépendre à leur tour. Ainsi seraient résolues les difficultés liées aux appels déposés auprès du métropolitain, qui était l'archevêché de Saint-Domingue, distant de Santa Fe de plus de cinq cents lieues, et de Popayán de plus de quatre cents.

Les deux têtes du Royaume, prélat et président, résolument d'accord sur ce point, communiquèrent leurs intentions dans toutes les villes du Nouveau Royaume de Grenade, et déléguèrent leurs pouvoirs au docteur Francisco Adame, diacre de la sainte église de Santa Marta, pour qu'en tant que procureur il le négociât. Il fit donc le voyage jusqu'en Espagne, où il fut fort bien reçu par le roi Philippe II, notre seigneur. Ce dernier en avisa son ambassadeur à la cour de Rome, pour qu'il implorât Sa Sainteté d'avoir la bonté d'accorder cette grâce; elle fut donc accordée par le pape Pie V, d'heureuse mémoire, qui en remit les bulles valant licence à l'ambassadeur précédemment cité, et celles d'archevêque de ce nouvel archevêché au même évêque don fray Juan de los Barrios. Et il lui nomma comme suffragants les évêques de Santa Marta, Carthagène et Popayán.

Une fois ces bulles arrivées à Madrid, le Roi nomma comme diacre de ce nouvel archevêché le même docteur don Francisco Adame, comme archidiacre le licencié don Lope Clavijo, et comme trésorier le bachelier don Miguel de Espejo. Ces trois prébendiers firent donc ensemble le voyage depuis Madrid, en possession desdites bulles que leur avait remises le Roi, notre seigneur. Ils arrivèrent à Carthagène le 29 mai de l'année 1569, peu de temps après la mort de monsieur l'archevêque don fray Juan de los Barrios en cette ville de Santa Fe, qui survint le 12 février de la même année, sans qu'il profitât de cette promotion et nouvelle grâce.

Les trois prébendiers arrivèrent plus tard à Santa Fe porteurs desdites bulles. Ils s'y joignirent à trois autres qui étaient déjà là, et qui avaient été nommés depuis le Vieux Monde pour servir en cette nouvelle Église cathédrale: comme chantre le bachelier don Gonzalo Mejía, et comme chanoines Alonso Ruiz et Francisco de Vera. Ensemble ils formèrent donc un nouveau conseil épiscopal, et sur la foi desdites bulles, ils élevèrent cette sainte Église au rang d'archevêché, comme l'attestent les procès-verbaux rédigés à cet effet, qui se trouvent parmi les archives de la cathédrale. Et par ce même conseil épiscopal, fut nommé gouverneur de ce nouvel archevêché le docteur don Francisco Adame; celui-ci gouverna avec grande prudence jusqu'à l'arrivée du second archevêque, en avril de l'année 1573, comme il sera dit plus avant. Et le même docteur don Francisco Adame, en tant que gouverneur de cet archevêché, inaugura le 12 mars de l'année 1572 l'édification de cette église métropolitaine en en posant la première pierre, en présence de l'Audience Royale, dont le président était le docteur Venero de Leyva, et les auditeurs le licencié Cepeda, qui fut plus tard président de Las Charcas, le licencié Ángulo et le licencié Alonso de la Torre, qui en était le contrôleur; assistèrent également à cette cérémonie les membres des deux Cabildos, de Santa Fe et Tunja, et de nombreux résidents des deux villes. Cependant la prière dédiée à l'édification de l'église, qui est aujourd'hui un ouvrage solide bâti avec de la bonne pierre, fut reportée au lendemain 13 mars, le 12 étant le jour de la fête de Saint Grégoire; mais on comprit bientôt que c'était une erreur liturgique, et que la prière pour l'édification, qui était de première classe, avait la priorité sur la fête de Saint Grégoire, qui était une double ordinaire. On célébra l'octave conformément à ce qu'ordonnait le Bréviaire de Pie V, jusqu'à ce que le même Bréviaire, réformé par Clément VII, prohibât les octaves pendant le carême.

Le saint prélat et premier archevêque de ce Nouveau Royaume, don fray Juan de los Barrios, laissa une chapelle en cette sainte Église, que les prébendiers ont servi jusqu'au temps présent, disant une messe chantée le premier dimanche de chaque mois en l'honneur du Très-Saint-Sacrement (qu'il soit loué), le portant en procession à travers les nefs de l'église. Il fonda également par procuration d'autres chapelles en sa patrie, la Castille. Il légua les maisons où il avait vécu, voisines de cette cathédrale, pour qu'elles servissent d'hôpital, qui, étant le seul, a été très important pour le Royaume. En effet ces maisons ont subi des travaux d'agrandissement, les gens y ont reçu de l'attention et y ont été soignés bien des malades, qui ont également bénéficié d'une église et d'un curé propres pour leur dire la messe et leur administrer les sacrements.

Il avait racheté au capitaine Juan Muñoz de Collantes ses maisons d'habitation aux toits de tuiles, et en avait fait don à son père spirituel Saint François, pour y loger son monastère, qui jusque-là était hébergé dans des huttes de paille, avec une église très petite, de paille également, et un autel de roseaux. Les moines s'établirent donc dans ces nouveaux édifices bien plus spacieux, à tel point que leur cloître avait à présent des chambres hautes de plafond, une grande église, une maison des novices et de nombreux bureaux. Et l'autorisation que reçut ce monastère, qui se trouve à la tête de cette province comme le sont des leurs ceux de Saint Dominique, de Saint Augustin et de la Compagnie de Jésus, a motivé la construction de nouveaux cloîtres.

Ces deux actes de charité que fit ce grand prélat, ont joui d'une grande considération, tant l'hôpital que la maison qu'il acheta pour sa religion. Je le qualifie de grand, car sa vie fut exemplaire et il fut très respecté par ses pairs; en effet, un prélat de Carthagène nommé don Juan de Simancas, et un autre de Venezuela, don fray Pedro de Agreda, vinrent à Santa Fe recevoir la consécration de ses mains, alors qu'ils eussent plus facilement pu aller à l'archevêché de Saint-Domingue. Et les deux furent hébergés en sa maison, dont l'un plus de six mois. Il hébergea également chez lui d'autres prélats, tel don Juan Valles, premier évêque de Popayán, qui vint à Santa Fe pour suivre un contentieux à l'Audience Royale.

Ce prélat fut donc le cinquième évêque de Santa Marta, et le premier archevêque de ce Nouveau Royaume, bien qu'il ne pût recevoir les bulles lui accordant cette grâce, ayant déjà trépassé, tel que nous le vîmes.

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