CHAPITRE XI

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De la venue du docteur don Lope de Armendáriz, troisième président de ce Royaume, et de ce qui advint sous sa gouvernance. De la venue du visiteur Juan Bautista de Monzón. De la mort de Juan Rodríguez de los Puertos et autres affaires qui eurent lieu sous ladite gouvernance.

Pendant le peu de temps que gouverna le licencié Francisco Briceño, second président de cette Audience Royale, y arrivèrent comme auditeurs les licenciés Francisco de Anuncibay et Antonio de Cetina, et le docteur Andrés Cortés de Mesa, et comme procureur, le licencié Alonso de la Torre.

Le troisième président de l'Audience de ce Royaume fut le docteur don Lope de Armendáriz, qui venait de l'être de l'Audience de Quito, d'où il avait fait le voyage jusqu'à Santa Fe au cours de l'année 1577. En 1579 arriva comme visiteur le licencié Juan Bautista de Monzón; et pendant le mandat dudit président, furent nommés comme auditeurs le licencié Cristóbal de Azcueta, qui mourut rapidement tel que nous allons le voir bientôt, et les licenciés Juan Rodríguez de Mora et Pedro Zorrilla; et fut nommé contrôleur le licencié Alonso de Orozco. Tous ces personnages se trouvèrent donc ensemble en ce Royaume, sous ladite présidence de don Lope de Armendáriz.

Monsieur l'archevêque don fray Luis Zapata de Cárdenas, qui, comme je l'ai dit, vint en cet archevêché en l'an 1573, amena avec lui l'insigne relique de la tête de Sainte Isabelle, reine de Hongrie, que lui avait donnée la reine doña Anne d'Autriche, dernière épouse du prudent monarque Philippe II, second Salomon et notre roi et seigneur naturel. Il fit placer cette insigne relique en l'église de Santa Fe, gardée dans une boîte d'argent, et désigna la sainte comme patronne de la ville. Il instaura en son honneur un office religieux de première classe, avec octave, et sa fête est célébrée avec toute la solennité possible les 19 novembre.

Il veilla à la conservation et à l'application des constitutions synodales de son prédécesseur, s'excusant d'en apporter de nouvelles pour leur grande sainteté. Pour les curés il instaura un catéchisme avec des préconisations fort utiles à l'administration des saints sacrements. Il fonda le collège séminariste de San Luis, où étaient formés dix-huit collégiens, avec leurs capes marron et leurs toges bleues, et dont avait la charge un recteur, qui était un ecclésiastique âgé et vertueux. Ce digne vieillard enseignait à ses étudiants le plain-chant et le chant en duo avec orgue; un précepteur leur enseignait le latin et la rhétorique, et tous les frais étaient couverts par la rente du séminaire, duquel sortirent et où furent ordonnés d'habiles et virtuoses ecclésiastiques. Dans ce collège commença l'enseignement de la langue des naturels, celle qu'ils appellent la générale, car tous l'entendent. Les séminaristes l'apprenaient, ainsi que de nombreux ecclésiastiques y ayant été contraints par le prélat. L'enseignait le père Bermúdez, grand polyglotte, avec le titre de professeur de cette langue. Et le salaire était payé et l'est toujours aujourd'hui par les finances du Roi, conformément à la cédule royale qu'il avait lui-même émise à cet effet.

Il envoya des invitations aux évêques suffragants pour célébrer le concile provincial, et c'est ainsi que vinrent les deux prélats de la côte, don fray Sebastián de Oquendo, de Santa Marta, de l'ordre des Dominicains, et don fray Juan de Montalvo, de Carthagène, de l'ordre des Franciscains. Ils entrèrent ensemble en cette ville de Santa Fe le 20 août 1583; ils arrivèrent accompagnés de monsieur l'archevêque, qui avait fait le voyage avec eux depuis Marequita, où il se trouvait au moment où ils avaient débarqué dans le port de Honda. L'Audience Royale, accompagnée d'une foule populaire, s'éloigna de la ville de plus d'une demi-lieue pour aller à leur rencontre; et ils furent bientôt rejoints par beaucoup d'autres gens venus depuis Fontibón et Bojacá, Espagnols comme naturels.

L'évêque de Popayán, don Agustín de la Coruña, surnommé "le Saint" en raison de sa grande sainteté, ne put venir, car sur mandat de l'Audience Royale de Quito il y avait été emmené prisonnier; et cette absence fut une des raisons pour lesquelles ce concile ne put finalement être célébré; je traiterai donc brièvement de cet emprisonnement. À la demande de Sancho García del Espinar, gouverneur de Popayán, ennemi de l'évêque, l'Audience de Quito envoya comme juge à Popayán, contre son évêque, son premier alguazil, Juan de Galarza. Ce dernier vint accompagné d'un greffier nommé Antonio Desusa, de deux alguazils et de six soldats, tous avec un salaire de trente-six pesos d'or de vingt carats par jour. Ils se payèrent sur l'argent dudit évêque, que le gouverneur avait extrait de son coffre tandis qu'il mettait à sac la maison du prélat au cours de la nuit de Noël, pendant qu'il était occupé à la célébration des divins offices de cette grande festivité. Ils arrivèrent avec ce mandat à la ville de Popayán au début du carême de l'an 1582. Ils notifièrent à monsieur l'évêque qu'il était tenu de se présenter devant l'Audience Royale dans un délai de neuf jours, durée pour laquelle ils étaient commissionnés; le prélat répondit qu'il était tout à fait disposé à honorer ladite convocation, à la condition qu'il pût s'y rendre après la fin du carême, et non avant, car il était seul et sans aucune aide pour célébrer les offices pour son peuple, et qu'il refusait d'abandonner ses ouailles en cette période de carême.

Cette réponse les détermina à le mettre aux arrêts le samedi, veille du Dimanche de la Passion de l'année 1582. L'évêque fut informé de cette décision, et ce jour-là il ne sortit pas de l'église où il servait tous les jours de l'année avec ses prébendiers. Il mangea dans la sacristie avec son proviseur, l'archidiacre don Juan Jiménez de Rojas, et après avoir remercié Dieu et ses amis, il attendit le juge et ses hommes assis sur sa cathèdre devant l'autel majeur, et arborant étole, mitre et crosse, dans l'espoir que cette mise en scène les intimiderait, et les ferait renoncer à l'arrêter. Mais ce fut peine perdue, et le juge lui-même l'empoigna par le bras, et avec ses alguazils ils le soulevèrent et le portèrent jusqu'à la porte de l'église, où les attendait un brancard sur lequel ils le placèrent et le transportèrent à la force de leurs épaules jusqu'en dehors de la ville.

Aucun notable de la ville de Popayán n'assista à cette arrestation, l'affaire étant si affreuse qu'ils s'étaient tous occultés pour ne pas voir ça. Seul fut présent le capitaine Gonzalo Delgadillo, vieil homme de quatre-vingts ans, que le juge avait cru bon d'emmener avec lui en vertu de sa qualité d'alcade ordinaire. En revanche, l'église était pleine de plébéiens et de leurs cris et pleurs.

Il y eut certes des ecclésiastiques qui voulurent défendre leur prélat, mais il n'y consentit point, leur ordonnant avec autorité de se tenir tranquilles. Cette arrestation causa à la fois tant de scandale et d'admiration dans toutes ces villes des Indes, qu'en celle de Quito, le peuple composa des ballades dans lesquelles le juge et ses compagnons étaient surnommés "les excommuniés". Mais la principale source de leur repentir fut leur propre conscience, et ils rendirent à monsieur l'évêque l'argent qu'ils avaient pris de ses coffres en paiement de leurs salaires, et l'implorèrent qu'il leur accordât miséricordieusement pardon et absolution. Et Dieu Notre Seigneur Lui-même les châtia par les morts affreuses qu'ils eurent. S'il y en a parmi vous qui connurent les auditeurs qui permirent le recours à la provision royale pour réaliser cet emprisonnement, qui furent le licencié Francisco de Anuncibay, qui pour cette raison même fit le voyage de l'Audience Royale de Santa Fe à celle de Quito, le licencié Ortegón et le licencié Cañaveras, notez leur chute à chacun d'entre eux suite à cette affaire. Notez également celle du gouverneur qui engagea une si dégoûtante procédure; même les Indiens sans foi qu'il avait recrutés pour porter le brancard judiciaire, refusèrent de poursuivre leur besogne lorsqu'ils virent avec quelle ignominie était traité le saint prisonnier, et on n'en trouva pas d'autres qui acceptassent de les remplacer; si bien que finalement durent porter le brancard les satellites eux-mêmes, tel que le saint évêque surnomma les hommes venus l'arrêter, et qui connurent tous une fin affreuse. Et maintenant revenons à monsieur l'archevêque don fray Luis Zapata de Cárdenas.

Des deux prélats de la côte, celui de Santa Marta retourna en son évêché, et celui de Carthagène quitta cette ville de Santa Fe pour celle de Tunja, où il passa le carême de l'année 1584, avant de revenir à Santa Fe, d'où il regagna finalement son évêché de Carthagène, où il mourut au terme d'un peu plus de deux ans. Lui succéda don fray Antonio de Ervías, et à lui don fray Juan de Andrada, de l'ordre des Dominicains; et après lui il y en eut encore d'autres.

Ledit archevêque don fray Luis Zapata de Cárdenas fonda en notre ville de Santa Fe les deux paroisses de Nuestra Señora de las Nieves et de Santa Bárbara, par un procès-verbal qu'il acta le 23 mars 1585 en présence de Pedro Núñez de Agueda, greffier royal et notaire de Sa Majesté. Elles héritèrent de paroissiens qui l'avaient été jusque-là de la cathédrale, qui était encore la seule du Royaume, et dans laquelle ont servi jusqu'aujourd'hui deux curés recteurs; l'un d'eux est le curé Alonso Garzón de Tauste, qui fut témoin oculaire de la mise aux arrêts du saint évêque de Popayán, qui sert ladite paroisse depuis l'année 1585; ledit curé a quatre-vingts ans, peut-être un de plus ou un de moins, et s'il lit les lignes qui vont suivre, il pourrait bien vouloir me frapper.

Le même archevêque qualifia de miracles les manifestations émanant de la sainte image de Notre Dame de Chiquinquirá, qui apparurent pour la première fois la seconde journée de la Noël de l'année 1586. Afin d'en faire lui-même la constatation, il fit en personne le voyage jusqu'à Chiquinquirá, accompagné du licencié don Lope Clavijo, archidiacre de la cathédrale et commissaire du saint office, qui était un homme lettré et fort instruit de théologie, et de don Miguel de Espejo, trésorier de ladite cathédrale et grand canoniste.

Il trouva donc la sainte image en ladite église, qui mesurait moins de trente pieds de large, dont le toit était de paille et dont la structure était celle des huttes indiennes, faite de tiges de bois et de terre, avec un autel de roseaux; les paroissiens indiens de ce village de Chiquinquirá étaient si peu nombreux qu'ils tenaient tous dans cette petite église, qui a par la suite été considérablement améliorée, tant en ce qui concerne la qualité de sa structure que sa taille, tel que cela est visible aujourd'hui.

Le licencié Gabriel de Rivera Castellanos, qui a été de longues années curé en cette sainte église, a écrit un ouvrage, auquel je renvoie le lecteur, dans lequel il traite des miracles de cette sainte image, sur lesquels il a enquêté. Cette sainte relique fut amenée en cette ville de Santa Fe, avec licence de monsieur l'archevêque don Bernardino de Almansa, en l'année 1633, en raison de la grande épidémie de peste qui sévissait alors, et qui tua beaucoup de gens. Elle fut placée avec une grande vénération en la sainte église cathédrale, et son arrivée soulagea les habitants de la peste et autres maux contagieux. La question de son retour à Chiquinquirá occasionna un litige, notre ville voulant la conserver; mais elle fut finalement rendue à son église d'origine, que sert aujourd'hui avec grand soin l'ordre des Dominicains.

Pendant l'année 1587, il y eut en cette ville une grande épidémie de variole, qui tua presque le tiers des naturels et de nombreux Espagnols. Monsieur l'archevêque don fray Luis Zapata de Cárdenas dépensa pour les pauvres plus de deux mille pesos, en l'espace de trois mois que dura l'épidémie, et dut même mettre en gage son argenterie. Ses parents l'appauvrirent à tel point, qu'il ne put achever la construction de la sainte église cathédrale. Il laissa seulement une chapelle que servent les prébendiers, y célébrant trois messes par an. Et puisqu'il occupa dix-sept ans ce siège archiépiscopal, et que le temps de la présidence du docteur don Lope de Armendáriz et de la venue des visiteurs Juan Bautista de Monzón et Juan Prieto de Orellana vit naître de grandes révoltes, je vais avoir bientôt besoin de Son Illustre Seigneurie pour qu'elle y remédie et apaise certaines d'entre elles. Je relaterai sa mort en temps voulu, ainsi que tout ce qui s'y rapporte.

Il a déjà été dit qu'en tant que président de l'Audience Royale de ce Royaume, le docteur don Lope de Armendáriz gouvernait avec l'aide de sept collaborateurs, soit six auditeurs et un contrôleur, qui furent: le licencié Francisco de Anuncibay, le licencié Antonio de Cetina, le docteur Andrés Cortés de Mesa, le licencié Juan Rodríguez de Mora, le licencié Cristóbal de Azcueta et le licencié Pedro Zorrilla; et comme contrôleur le licencié Orozco, puisque le contrôleur Alonso de la Torre était parti en Espagne en vue d'y obtenir une promotion.

Il arriva donc qu'un matin de l'année 1578, on retrouva à l'aube, placardés sur les angles et portes des édifices royaux, ainsi que dans la rue Royale et en d'autres lieux publics centraux, des libelles infamants dirigés contre tous les messieurs de l'Audience Royale, à l'encontre de qui étaient écrits des mots particulièrement durs et insultants.

On fit enlever les papiers et on mit en œuvre de grands moyens pour en retrouver le ou les auteurs. Ainsi on arrêta quelques suspects, parmi lesquels se trouvait un jeune scribe de l'Audience, dont on disait que l'écriture ressemblait à celle des libelles. On décida de le soumettre à la question ou tourment, et pour le lui administrer on commit le docteur Andrés Cortés de Mesa. Ce dernier était donc sur le point d'entreprendre sa besogne, et après avoir fait au jeune homme les notifications requises par le droit, celui-ci l'avertit que s'il mourait du tourment ou de ses suites, il le mettait en demeure de comparaître avec lui devant Dieu au troisième jour après sa mort, où la vérité serait établie. L'auditeur lui répondit: "Vous me mettez en demeure? Ma foi, par la vie du Roi, qu'un autre vous administre le tourment". Puis il sortit de la pièce et entra dans la salle d'Accord, où il signifia qu'il ne se trouvait pas en disposition d'administrer ce tourment, et qu'il fallait commettre quelqu'un d'autre.

L'Accord Royal commit alors le licencié Antonio de Cetina, qui accepta cette charge; il procéda donc aux notifications d'usage et le jeune homme à sa mise en demeure. Malgré ça il fut placé sur le chevalet, et au second tour de roue, l'auditeur ordonna qu'on cessât de le tourmenter, convaincu qu'il n'était pas l'auteur des libelles. Il retourna à la salle d'Accord, et déclara que cet individu était incapable de tenir des propos tels que ceux contenus sur lesdits papiers, et qu'il ne pouvait non plus avoir eu connaissance des faits qu'ils dénonçaient. Le jeune homme fut donc remis en liberté.

Diego de Vergara, dit "le Borgne", qui avait été procureur de l'Audience Royale, ainsi qu'un certain Muñoz, se trouvaient tous les deux suspendus de leurs fonctions; ils envoyèrent donc en Espagne des rapports relatifs à ces suspensions dont ils contestaient la légitimité, et dans lesquels ils priaient la Couronne d'envoyer un visiteur pour résoudre le litige, dans l'espoir d'être réhabilités. Ce Vergara avait depuis de nombreuses années des rapports conflictuels avec un certain Juan Rodríguez de los Puertos, qui lui avait défloré une fille naturelle qu'il avait. Tandis que le Juan Rodríguez, qui était résident de Tunja, se trouvait en cette ville de Santa Fe, le Vergara rapporta à ceux qui investiguaient l'affaire des libelles que l'écriture qu'on y pouvait lire ressemblait fortement à celle de Juan Rodríguez de los Puertos. Le renseignement remonta jusqu'à l'Audience Royale, et on le fit arrêter, lui et les gens de sa maison, dont un de ses fils naturels qui s'était justement trouvé présent lors de la découverte des libelles, et avait assisté de si près à toute l'opération de leur enlèvement, qu'il eût bien pu y laisser des poils. On soumit d'abord ce jeune homme à la question, et après avoir reçu le tourment il avoua que son père avait écrit ces papiers et qu'il les lui avait remis pour qu'il les placardât sur les édifices royaux, ainsi que dans tel et tel autre endroit; et suite à ces aveux on décida de soumettre également à la question le Juan Rodríguez de los Puertos.

On lui notifia cette décision et on lui lut la déclaration de son fils. Il déclara alors: "Ce traître ment, car je n'ai rien fait ni ordonné de tel; mais je suis bien vieux et diminué pour recevoir de tels tourments; et je préfère encore mourir plutôt que de voir ma condition et ma dignité dégradées dans cette horreur; et bien que la déclaration de mon fils soit pur mensonge du début jusqu'à la fin, je la confirmerai". Il fut donc condamné à mort, et le fils à recevoir deux cents coups de fouet. Pourtant l'auditeur Andrés Cortés de Mesa ne signa pas cette sentence; il fit même porter un message au Juan Rodríguez de los Puertos, lui signifiant que le jour du supplice, tant qu'il verrait ouverte la fenêtre de l'Accord, il n'aurait rien à craindre.

Le condamné à mort ayant, donc, été promené de par les rues habituelles, il se trouvait sur la place, au pied de la potence. Il vit alors ouverte la fenêtre de l'Accord, et informa son confesseur de la teneur du message que lui avait fait porter l'auditeur; le confesseur lui répondit de ne pas confier en d'humaines faveurs, mais qu'il recommandât du mieux qu'il pût son âme à Dieu, et qu'il prononçât ses dernières paroles.

On le plaça donc sur l'escabeau, et il dit à voix haute, pour que tous l'ouïssent: "Voyez ma disgrâce, Messieurs, mais sachez que je ne dois pas cette mort aux libelles dont on m'a imputé la responsabilité, car je ne les ai ni écrits, ni placardés. C'est pour d'autres que j'ai placardés en la ville de Tunja, que Dieu a permis que je me retrouve en cette fâcheuse posture".

Une fois qu'il eut prononcé ces paroles et professé son credo, on lui retira l'escabeau; et son fils reçut également le châtiment auquel il avait été condamné.

En temps voulu, je dirai qui a placardé ces libelles; et sachez que je suis en pleine lutte, aux prises, d'un côté, avec la raison, et de l'autre, avec la vérité. La raison me dit de ne pas me mêler des affaires des autres; et la vérité exige que je dise la vérité. Les recommandations des deux sont fort sages, mais vaille la vérité; et puisque dans cette affaire les causes ont été plaidées en audiences publiques et les exécutions ont eu lieu sur des échafauds publics également, la même raison m'accorde licence pour les relater, puisqu'il est plus grave pour eux d'avoir commis ces actes que pour moi de les narrer; et s'il est vrai que peintres et poètes jouissent d'une grande prérogative dans l'exercice de leur art, il en va différemment pour les chroniqueurs; en effet, les uns ont la liberté de feindre, et les autres, l'obligation de dire la vérité, sous peine de voir leur conscience à jamais endommagée.

Apelle peignit Campaspe, la concubine d'Alexandre le Grand; et les historiens de ce dernier affirment que le peintre tomba amoureux de son modèle, et que l'illustre prince la lui donna pour femme. Cet artiste tira donc profit de ses œuvres, qu'elles fussent véritables ou feintes, comme cela a toujours été le cas pour certains peintres. Virgile, prince des poètes latins, pour flatter le César romain en lui disant qu'il descendait d'Énée le Troyen, composa l'Énéide; et de graves auteurs (dont, selon ce que j'en entends, Saint Augustin) affirment que si Virgile comme il fut gentil eût été chrétien, il se fût lui-même condamné par la relation qu'il fit des aventures de la Phénicienne Didon, car entre Énée le Troyen et Didon s'écoulèrent plus de quatre cents ans. Voyez donc comme ils iraient bien ensemble! Ce Virgile feignit, donc, et les autres poètes en font de même, tel qu'en témoignent leurs propres écrits. Mais les chroniqueurs ont une obligation de fidélité à la vérité. Et parmi eux je n'inclus pas ceux qui écrivent des livres de chevalerie pour vous prendre quelque argent, mais uniquement ceux qui relatent des histoires authentiques et véritables; et ces chroniqueurs sérieux ne peuvent se prévaloir de nulle indulgence envers papes, empereurs, rois ou tout autre puissant de ce monde, ayant pour seul et éternel guide la vérité. Nul ne me juge donc si j'en viens moi-même à la dire, et, afin qu'on ne m'en exige pas davantage, j'en fournirai une preuve, qui se trouve dans les procès-verbaux rédigés sur cette affaire par les autorités compétentes, et auxquels je renvoie le lecteur. Et à présent revenons à l'Audience Royale.

En cette année 1578, Diego de Vergara, le procureur, et le Muñoz, son compagnon, allèrent en Espagne pour y solliciter l'envoi en ce Royaume d'un visiteur, et ils moururent là-bas. Et que ne plut-il à Dieu qu'ils mourussent plus tôt, épargnant ainsi au Royaume de grands tracas et contrariétés, ainsi que la dépense de conséquentes sommes d'argent.

En cette même année 1578, le licencié Cristóbal de Azcueta, auditeur de l'Audience Royale, se coucha un soir en bonne santé dans son lit, et, à l'aube, il était mort. Il vivait dans les maisons qui hébergent aujourd'hui le couvent de l'ordre des Clarisses. Les rideaux du lit étaient fermés; il était l'heure d'aller à l'Audience; les domestiques n'osaient pas l'appeler, le croyant endormi. Ces messieurs les auditeurs, qui l'attendaient depuis un moment déjà, envoyèrent un commis chez lui pour savoir s'il venait ou non à l'Audience. Un de ses domestiques l'appela par trois fois, sans réponse; il tira donc le rideau et le trouva mort.

Le commis retourna à l'Audience et informa les auditeurs de ce qu'il se passait. Le président et les auditeurs se rendirent au chevet du Cristóbal de Azcueta, lui touchèrent le corps et le trouvèrent fort chaud, bien que sans pouls. Le président demanda au docteur Juan Rodríguez de l'examiner afin de déterminer s'il s'agissait de paroxysme. Le médecin lui répondit que non, qu'il était mort. Le président insista: "Voyez comme il est chaud". Le Juan Rodríguez lui dit: "Veuillez observer ce que je vais faire, pour que Votre Seigneurie croie qu'il est bien mort". Avec un couteau il fit une entaille dans la pulpe du pouce d'un des pieds de l'auditeur étendu, et n'en sortit pas une goutte de sang. Ils terminèrent d'ouvrir les rideaux du lit, et à sa tête ils trouvèrent une jeune fille cachée sous les draps. Ils l'emmenèrent en prison et tentèrent d'établir la vérité. Finalement ils enterrèrent l'auditeur Cristóbal de Azcueta, et donnèrent deux cents coups de fouet à la mère de la jeune fille, et toutes deux furent bannies de la ville.

Quand le docteur Andrés Cortés de Mesa vint d'Espagne comme auditeur de cette Audience Royale, en la ville de Carthagène il épousa doña Ana de Heredia, donzelle belle, honnête, et de noble ascendance. Or cette dame avait une sœur naturelle, avec laquelle elle avait grandi; et puisque les nouveaux mariés allaient inévitablement partir s'installer à Santa Fe, les deux sœurs implorèrent le docteur de trouver une solution pour qu'elles n'eussent pas à souffrir d'être séparées. On maria donc la sœur de la doña Ana de Heredia à Juan de los Ríos, commis dudit docteur Mesa, à qui il fut promis qu'à Santa Fe on lui trouverait des commissions et autres négoces grâce auxquels il pourrait se sustenter. Puis, tous ensemble, ils montèrent en ce Royaume.

À Santa Fe ils vécurent tous ensemble, partageant la même maison; et le Juan de los Ríos rappelait continuellement au docteur les promesses qu'il lui avait faites; or, tantôt parce qu'il n'y avait pas de commissions, tantôt parce que le docteur n'avait aucun pouvoir sur elles, jamais il n'y eut d'activité lucrative à laquelle on pût l'occuper; ce fut ainsi que naquirent les plaintes et réclamations du Ríos, et l'agacement de l'auditeur. Finalement, n'obtenant rien, le Juan de los Ríos quitta cette maison, emmenant avec lui sa femme. Ce fut ce qui alluma le feu du conflit qui brûla entre les deux hommes.

Le Juan de los Ríos déposa contre le docteur une plainte bien vilaine, que je ne détaillerai pas ici, préférant renvoyer le lecteur aux procès-verbaux. De cette procédure judiciaire il résulta que l'auditeur fut suspendu de ses fonctions, et gardé prisonnier dans les bâtiments du cabildo de cette ville. Puis en l'an 1579 arriva le licencié Juan Bautista de Monzón, visiteur de l'Audience Royale, qui le fit sortir de prison et l'assigna à résidence dans sa maison, jusqu'à ce qu'advînt ce que je narrerai plus avant.

Sous la gouvernance dudit président, le comptable Reyes alla en Castille pour requérir auprès de Sa Majesté son royal arbitrage, concernant la monnaie qu'utilisaient dans leurs négoces les naturels de ce Royaume, et qui était constituée de pièces d'or non frappées; le Roi, notre seigneur, ordonna donc qu'on frappât cette monnaie, et qu'avec elle on lui acquittât le Quinto Réal. On en fit ainsi: quatre poinçons furent mis en service; et pour une prise d'effet plus rapide, puisque ces pièces étaient fort nombreuses, particulièrement celles en possession des commerçants ou négociants, on décida que les gravures seraient de simple facture et de petite taille. Sa Majesté donna une brève échéance pour que tous ces gens missent leur monnaie en conformité avec la loi, pour ainsi se retrouver en mesure de lui payer son Quinto Réal avec de la monnaie régulièrement frappée.

Ainsi on frappa toutes les pièces de monnaie qu'on put, attribuant la même valeur à une pièce de vingt carats qu'à une de quinze, donnant de cette manière à la gravure d'une pièce une importance supérieure à la pureté de l'or dont elle était faite. Cela n'empêcha pas les Indiens de continuer de fabriquer leur propre monnaie et de traiter avec elle; ainsi, dans la pratique, un peso d'or frappé valait un peso et demi d'or vierge. Et cette monnaie non frappée continua à circuler en grandes quantités sur cette terre, les Indiens fondant continuellement de l'or.

Un négociant de la rue Royale, nommé Juan Díaz, reçut l'ordre de faire frapper toutes les pièces qu'il avait. Il acheta pour ce faire un poinçon que lui vendirent un nègre de l'essayeur Gaspar Núñez et un garçon d'Hernando Arias, qui étaient chargés de frapper les pièces d'or qui arrivaient à la Caisse Royale pour le paiement du Quinto Réal. Une fois en possession de ce poinçon, il ne laissa nul chandelier, nulle bassine ni nul mortier qu'il ne fondît et frappât, transformant tous ces objets en pièces; ainsi, en un bref laps de temps, il déversa sur cette ville et sa juridiction plus de quatre ou cinq mille pesos.

Il arriva alors que Bartolomé Arias, fils dudit Hernando Arias et frère de monsieur l'archevêque don Fernando Arias de Ugarte, qui fut chanoine de cette sainte église, qui à cette époque était un enfant et qui servait comme page du curé don Francisco Adame, en jouant avec d'autres pages leur gagna quelques-unes de ces pièces frappées par Juan Díaz; il les porta à María Pérez, sa tante, pour qu'elle les lui gardât. Elle les posa sur la boîte à couture dont elle se servait pour confectionner un ouvrage.

L'enfant étant reparti, au bout d'un moment entra Gaspar Núñez, l'essayeur. Il s'assit près de la boîte à couture, vit l'or et demanda: "D'où vient cet or?". La María Pérez lui répondit: "C'est le petit Bartolomé qui me l'a amené pour que je le lui garde; il l'a gagné aux pages du curé". "Tout cela ne me dit rien qui vaille, reprit l'essayeur. Amenez-moi donc une bassine et un peu de vert-de-gris; je veux faire un essai avec cet or". On lui amena le matériel, il fit l'essai, et conclut qu'il s'agissait de monnaie totalement fausse. Il prit les pièces, les porta au président don Lope de Armendáriz et lui dit: "Je vous conseille d'investiguer l'origine de cette monnaie, car elle est fausse et illégale".

Le président chargea de cette investigation l'alcade ordinaire Diego Hidalgo de Montemayor, insistant pour qu'il obtînt rapidement des résultats probants. Le lendemain, le Diego Hidalgo de Montemayor, assisté d'un autre alcade en la personne de son compagnon Luis Cardoso, d'un huissier, d'un greffier et de quelques alguazils, occupa toute sa matinée à l'inspection de tous les commerces de la rue Royale. Tandis que l'un des deux alcades dirigeait les opérations de contrôle des commerces situés d'un côté de la rue, l'autre, simultanément, en faisait de même de l'autre côté. Ils firent d'abord fermer toutes les échoppes, et en récupérèrent les clés, avant de les rouvrir une à une. Dans la plupart des caisses et coffres de ces échoppes ils trouvaient des quantités d'or allant de quatre à dix pesos, qu'ils inventoriaient au fur et à mesure.

Ils arrivèrent à la boutique de Juan Díaz, dans la caisse de laquelle ils trouvèrent plus de cinquante pesos; et dans un coffre qu'il avait sous le guichet, ils en trouvèrent plus de cinq cents; dans l'arrière-boutique ils trouvèrent de nombreux morceaux de chandeliers et bassines, ainsi qu'une forge équipée d'accessoires pour la fonte. Le Juan Díaz fut donc arrêté et ses biens saisis. On enregistra sa déposition dans laquelle il avoua tout, et indiqua qu'au pied d'un arbre de la cour de sa boutique était enterré le poinçon, où on le retrouva effectivement. On instruisit donc la procédure et il fut condamné au bûcher.

Il dut sa bonne fortune à ce que la sentence avait été prononcée trois jours avant Noël; le 24 décembre, doña Inès de Castrejón alla rendre visite au président, son père, qui la chérissait à l'extrême. Elle lui demanda un cadeau, et le président lui répondit: "Demandez donc, baume de mon âme, et ce que vous souhaitez je vous le donnerai". Sa fille insista: "Quoi que je demande à Votre Seigneurie, me l'accorderez-vous?". "Il en va de soi", lui assura son père. "Je demande donc comme cadeau à Votre Seigneurie que vous ne brûliez pas cet homme que vous avez condamné au bûcher, et que vous épargniez sa vie". Son père lui concéda tout, et pour que le délit ne demeurât pas impuni, on donna au Juan Díaz deux cents coups de fouet, et on l'envoya aux galères.

Toute cette fausse monnaie fut rassemblée et brûlée. Et pour éviter qu'une telle situation se reproduisît, il fut décrété que l'or d'usage courant devrait désormais toujours être de treize carats. On mit en service un nouveau poinçon dont la gravure était grande et complexe, et on détruisit les autres. Et depuis ce temps-là on a toujours estimé la pureté de l'or en lui attribuant des titres aurifères d'un à vingt-quatre carats. Ce fut en cette occasion que prit fin l'ère de l'approximation, au cours de laquelle, qu'il s'agît de métal de treize, dix-huit ou dix-neuf carats, le seul poinçon, aussi petite et simple en fût la gravure qu'il imprimait, suffisait à le faire passer pour de l'or d'usage courant.

Ce nouveau système ne porta nul préjudice aux négoces des naturels, qui s'adaptèrent aux nouvelles pièces, même ceux qui avaient appris de Juan Díaz à les falsifier. J'ai choisi ce moment pour narrer cette anecdote, pour que puissent être prises les préventions nécessaires au cas où à l'avenir viendrait à circuler de nouveau de la fausse monnaie sur cette terre; et parce que le temps de la présidence du docteur don Lope de Armendáriz fut de révoltes et agitations, dont la relation nécessite plusieurs chapitres, le premier de la série étant le suivant.

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