0.1
Y serais-tu enfin parvenu ? Dormirais-tu ? Allongé sur une couchette froide et rudimentaire, Roy n’espérait plus dormir ; à dire vrai, il n’y était jamais parvenu. Mettant à profit sa nouvelle insomnie, le condamné à l’éveil examina ses bottes avec minutie : de toute évidence, elles avaient fait leur temps. Voyant qu’il partageait la même usure, il ne put s’empêcher de penser que, finalement, tout avait une fin et que certaines obsolescences étaient même faites pour coïncider. De toute évidence, tu as raison. Face à ce constat, il ne perdit guère plus de temps. Il se leva d’un bond énergique, s’étira machinalement et pointa son regard d’acier vers le haut-parleur grésillant qui le convoquait sur le pont : la voix du capitaine. Il était arrivé à destination. Enfin.
La porte du dortoir s’ouvrit par à-coups, révélant un couloir exigu et mal éclairé : le seul que comptait le Llewyn. Un corridor dans lequel s’engouffra Roy d’un pas égal et continu, maintenant une vive allure — il ne faisait pas bon sonder la patience du capitaine Davis. Il s’agit pourtant d’un homme bon, l’as-tu observé seulement ? Fort heureusement pour lui, le bâtiment était modeste, de ceux que l’on ne remarque même pas, noyés dans l’infinité des flots cosmiques. Il était même plutôt chétif, au regard de la fonction qui était la sienne, ce qui ne faisait qu’accroître l’orgueil de son maître : un nautonier que Roy salua, enjoué et souriant, quand il se trouva à sa vue. N’en fais pas trop, tu vas le mettre mal à l’aise. Davis lui concéda un hochement de tête, valant à ses yeux la réciproque, avant d’indiquer la baie d’observation principale :
— Voilà. Beatia.
Beatia… Roy sourit derechef, le remerciant avant de s’avancer vers cette grande fenêtre ouverte sur son avenir.
— Beatia ?
Beatia, oui, parmi toutes celles qui auraient pu être la nôtre.
D’ordinaire distant, le capitaine se hasarda pourtant à interroger son passager. S’étant lui-même avancé jusqu’à la plateforme, il explora sans enthousiasme le corps céleste verdâtre et parfaitement lisse, trop lisse à son goût, qui lui obstruait la vue.
— Peu importe tes raisons, du moment que nous sommes quittes. Le serons-nous ?
Nous le serons, bien sûr ! Roy le lui confirma et se permit même de tourner en dérision cette méfiance incongrue. Des moqueries auxquelles le concerné se montra peu réceptif, alors qu’il lançait ses grandes jambes vers son siège de commandement.
— Ainsi soit-il ! Beatia ? Ici le cargo-astrominier Llewyn : demande autorisation d’amarrage.
L’autorisation fut donnée et le capitaine effectua la manœuvre lui-même, pressé de ne plus rien devoir à personne. Enfin lié au spatioport, il restait cependant au cargo une dernière vérification à subir : un simple scanneur de fret et d’équipage. Une procédure standard, excessive et chronophage selon Davis, à laquelle il se plia toutefois de bon gré avant de se raviser, se rappelant in extremis que celle-ci, sur ce genre de planète, était réalisée par une intelligence artificielle particulièrement intrusive.
— Une IA… j’espère que ça vaut le coup.
Rien ne le vaut plus, n’est-ce pas ? Roy rétorqua calmement au Capitaine que oui et l’invita à rester serein ; c’était une formalité qu’il avait prise en considération, bien évidemment. Bien évidemment. Il en avait même évalué les risques ; son retour, notre retour, n’allait pas se faire sans heurts. Mais à ce stade la menace était encore faible.
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