0.2
Quand la porte latérale du cargo s’ouvrit en coulissant, Roy ne lui laissa pas le temps de terminer son mouvement et sauta sur l’embarcadère, propulsé par son enthousiasme ; en effet, il goûtait fort peu les adieux et le plus souvent faisait tout pour les éviter. Tu ne t’en sortiras pas aussi facilement, tu le sais bien. C’était sans compter sur l’opiniâtreté du Capitaine Davis, qui se pliait, sans y manquer jamais, à ses devoirs d’hôte :
— C’est donc là que nos présents se divisent ?
Rien n’est éternellement au présent, il est vrai, hormis peut-être les souvenirs. Qu’en penses-tu ? Faisant basculer son barda sur son épaule, Roy se retourna pour faire face à celui qui l’avait accueilli des mois durant, et ce, sans lui poser la moindre question. Leur séparation imminente lui déliait-elle la langue ? N’est-il pas de coutume de dire que c’est lorsque l’on perd une chose que l’on en mesure la véritable valeur ? Le capitaine, à cet instant, semblait vouloir illustrer ce propos. Pour toute réponse, celui qui avait été son passager déplia l’un de ses bras et lui présenta l’une de ses extrémités : une main tendue et désireuse de devenir le poing final à leur rencontre. Peu habitué à ces usages, le nautonier solitaire hésita un moment, avant de céder à son goût nouveau pour ce qu’il considérait jusqu’alors comme des inanités. Cet attachement fut donc scellé par une poignée faussement virile, véritablement fébrile, complètement sincère.
— Si tu galères, siffle un galérien : il t’aidera à ramer.
L’amitié contraint aussi bien que le fer, il est vrai. Et sur cette promesse d’assistance, ne voulant rien montrer de son émotion, le Capitaine Davis ordonna que l’on verrouille la porte latérale du cargo, une ouverture qui sembla plus réfractaire que d’ordinaire. Tu ne l’as peut-être par remarqué, mais il pleurait. Roy sourit. Peut-être aurait-il pleuré aussi si cela lui avait été possible. Finalement, il soupira sans un souffle et s’orienta vers le portique de sécurité, déterminé à poursuivre sa route.
— Monsieur R. Deckard ? Confirmez.
Acquiesce. L’interrogé acquiesça.
— Originaire des Colonies ? Confirmez.
Approuve. Derechef, il approuva l’information.
— Raison du séjour sur Beatia : motif impérieux ? Confirmez.
Concède. Sans aucune lassitude, le visage figé dans une placidité parfaite, il concéda une fois de plus à l’absurde. Les cerbères s’immobilisèrent à leur tour, explorèrent les bases de données à l’affût de la moindre anomalie. Ils n’y trouveront rien. N’ayant rien trouvé de suspect, il fut considéré comme un visiteur homologué. Remercie-les veux-tu ? Ne feintant en rien sa gratitude, il remercia les agents de contrôle qui n’en firent aucun cas — tout occupés qu’ils étaient à la vérification suivante — et passa le portique d’un pas plus appuyé : il n’avait que trop tardé. Je t’attends. Elle l’attendait.
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