7. N'oublie jamais

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Il l'espérait.

Assis seul, sur le banc de pierre, là où il venait parfois écrire ou simplement regarder les collines. La nuit avait laissé en lui un goût d’ombre, une impression d’avoir franchi un seuil invisible. Il s’était endormi sans rêve, l’esprit agité de questions sans fin.

Puis, il sentit une présence.

Il tourna la tête.

Elle était là.

Livia.

Ses cheveux retenus par un ruban, une robe bleue, et ce même sourire qui ne ressemblait à aucun autre. Pas d’explication. Pas de reproche. Juste elle, debout devant lui, comme si la nuit précédente n’avait été qu’un songe.

— Je t’ai fait peur, dit-elle doucement.

Il ne répondit pas. Il la regarda longuement, puis se leva. Un souffle s’échappa de sa poitrine, comme s’il avait retenu sa respiration depuis des heures.

Elle lui tendit la main. Et cette fois, il la prit.

Ils ne parlèrent presque pas pendant un moment. Ils marchèrent simplement, à travers les oliviers, puis jusqu’à une petite cascade cachée dans les bois, qu’elle lui fit découvrir.

Elle jaillissait d’entre deux rochers moussus qui formaient une vasque d’eau claire. L’endroit semblait secret.

Magique.

Des libellules dansaient au-dessus de la surface. Le chant de l’eau couvrait tous les autres sons. Livia s’assit au bord, les pieds dans l’eau. Elle leva les yeux vers lui.

— Tu sais garder un secret ? demanda-t-elle, malicieuse.

— Je peux essayer.

Elle tendit la main et le fit asseoir près d’elle. Il laissa ses jambes tremper dans l’eau fraîche. Leurs épaules se touchaient à peine, mais le contact suffisait à électriser chaque battement de son cœur.

— Quand j’étais petite, dit-elle, je venais ici pour rêver que j’étais invisible. Que j’étais une ombre dans les feuilles. Et je faisais des vœux dans l’eau... comme si quelqu’un, quelque part, pouvait les entendre.

Il la regarda, ému.

— Tu fais encore des vœux ?

Elle haussa les épaules, les yeux perdus dans les reflets.

— Non. Pas pour moi. Mais aujourd’hui, j’en ferais un pour toi.

Il eut un sourire, touché.

— Et tu demanderas quoi ?

Elle le fixa, son regard soudain grave.

— Que tu n’oublies jamais ce jour.

Elle se pencha légèrement et posa sa tête contre son épaule. Il sentit ses cheveux mouillés glisser contre sa peau.

— Merci d’avoir insisté, murmura-t-elle. Merci d’être resté.

Il ne répondit pas. Il la serra doucement contre lui. Dans ce silence partagé, il eut l’impression que le monde entier retenait son souffle pour ne pas troubler leur paix. Sauf un lézard. Il sursauta lorsqu'il surgit entre ses pieds.

Livia se mit à rire. II y avait du cristal dans sa voix.

Elle le taquina gentiment. Il lui apprit à faire des ricochets, lui raconta des légendes corses. Il les réinventa à sa façon, ajouta des fées, des âmes perdues, et des promesses oubliées dans la mer.

Ils passèrent une journée suspendue. Hors du temps.

S’il avait su. Il voulait seulement vivre. Juste à côté d'elle.

Ils marchèrent longtemps, main dans la main, sans se presser. Il ne se rappelait pas la dernière fois qu’il s’était senti aussi léger. Aussi vivant. Mais dans un coin de sa tête, une pensée noire revint sournoisement.

"Ce genre d’été ne revenait qu’une fois."

Quand ils rentrèrent du bois, le soleil était déjà bas. Le ciel s’était chargé d’or. Il n’avait pas envie de la laisser repartir.

Pas encore.

— Tu veux venir un moment chez moi ? demanda-t-il, la voix presque timide.

Elle le regarda longtemps, sans répondre. Puis, lentement, elle hocha la tête.

— Juste un moment.

Son appartement était modeste. Une pièce principale, des livres un peu partout, un vieux tourne-disque, une odeur de romarin et de linge propre. Elle glissait dans la pièce, caressant du bout des doigts la tranche des livres, s’arrêtant parfois sur un cadre, une photo.

Il fit jouer "Night in white satin". La musique était douce, lointaine. Elle s'approcha de lui et le prit dans ses bras :

  • Quelle jolie musique.
  • Tu ne la connais pas
  • Non, je ne l'ai jamais... elle s’interrompit. Le silence repris sa place.

Sans un mot, elle l'entraîna dans une danse douce et suave. Il approcha son visage du sien, lentement. Elle ne recula pas. Ils se frôlèrent, puis leurs lèvres se trouvèrent. Leur baiser fut timide, et tendre.

Quand il ouvrit les yeux, elle le regardait déjà. Sa voix était feutrée.

  • Je t'aime.
  • Reste. Cette nuit. Avec moi.

Elle ne répondit pas. Elle se blottit contre lui. Elle voulait s'échapper d’un monde qui la retenait prisonnière. Elle ne lui résista pas. Ils restèrent ainsi longtemps, enveloppés l’un contre l’autre, dans la douce chaleur d’une nuit qui ne voulait pas finir.

— Je ne pourrai te donner plus, mon amour. Ne m'en veux pas.

— Pourquoi Livia ? Que caches-tu ?

Elle se tourna vers lui, leva une main qu'elle posa contre sa joue.

— Ne pose pas cette question. pas ce soir. Pas maintenant. Ce qu’on vit là, c’est tout ce que je peux t’offrir. Tout ce que j’ai le droit de t’offrir.

Quelque part, il le sentait, un compte à rebours avait déjà commencé.

Le jour filtrait à travers les volets mi-clos. Il dessinait des raies de lumière pâle sur le mur. Il ouvrit les yeux, lentement. Pendant une seconde, il douta. Puis il sentit sa présence. Sa respiration calme, muette. Elle dormait encore, nichée contre lui, ses cheveux épars sur l’oreiller.

Il sourit. Il aurait voulu que le monde s’arrête là. Il se pencha, déposa un baiser léger sur sa tempe. Elle ouvrit les yeux. Son regard se posa sur lui, et ce fut comme un souffle chaud. Elle sourit :

— Tu es là, murmura-t-elle.

— Et toi aussi.

Ils passèrent la matinée dans cette bulle fragile. Ils prirent un café sur le balcon, pieds nus, sans se dire grand-chose. Il lui raconta un souvenir d’enfance. Elle rit. Il l’effleura du regard, encore, et encore, comme pour graver chaque détail.

Mais l’après-midi changea l’air. Quelque chose dans son attitude se referma. Elle parlait moins, se levait souvent, regardait l’heure sans raison. Il le sentit. Et il ne comprenait pas.

— Tu dois partir ? demanda-t-il, la gorge nouée.

— Je ne peux pas rester, répondit-elle sans le regarder.

— Tu fais toujours ça ? Tu offres une nuit, puis tu fuis ? Son ton avait changé.

Elle tourna brusquement la tête vers lui. Il regretta aussitôt ses mots. Mais c’était plus fort que lui.

— Tu dis que tu m’aimes, Livia. Alors pourquoi tu pars ? Pourquoi tu refuses ce qu’on pourrait vivre ?

Elle serra les bras contre elle, comme pour se protéger de quelque chose qu’il ne voyait pas.

— Parce que ce qu’on pourrait vivre... n’existe pas.

— Qu’est-ce que ça veut dire ?! cria-t-il, hors de lui. Tu joues avec moi ? Tu veux que je t’aime sans rien me donner ? Tu crois que c’est suffisant ?! Tu parles par énigme, ça suffit, Livia. Tu comprends ?

Elle baissa les yeux. Une larme roula sur sa joue. Sans un mot, elle ramassa ses sandales qui traînaient au sol et se dirigea vers la porte.

Il voulut la retenir, mais ne bougea pas. Lui tendre la main. Lui dire qu’il pouvait attendre. Qu’il voulait comprendre. Mais les mots et les gestes restèrent là, coincés quelque part entre sa fierté et sa peur. Elle se détourna.

Quand elle franchit le seuil, elle pleurait. Pas bruyamment. Elle pleurait comme on quitte la seule chose qu’on aurait voulu garder.

Il resta planté là.

Dans l’appartement vidé de sa présence, le silence fit plus de bruit que tous les mots qu’ils n’avaient pas su se dire. Il s’approcha de la fenêtre. Dehors, le vent se levait. Il pensa à sa peau, à son rire, à cette nuit.

Sur la table, son ruban. Il sortit. Il courut au hasard, droit devant lui.

  • Livia !

Son nom se perdit sans écho.

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