6. Une nuit d'espoir

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Il passa la journée à tourner en rond dans le village. Il avait tenté de lire, d’écrire, d’occuper ses mains. Mais son esprit, lui, ne lâchait pas.

"Et moi, je ne reste pas."

Cette phrase ne le quittait pas. Était-ce une façon de dire qu’elle partirait bientôt ? Ou... quelque chose de plus profond, de plus sombre ?

Ce soir-là, il la retrouva près de l’ancien lavoir, là où l’eau fraîche courait encore sous les pierres usées. Une odeur d’herbe mouillée et de mousse ancienne flottait dans l’air. Des lucioles dessinaient des pointillés de lumière au-dessus du bassin. Le clapotis régulier de l’eau résonnait telle une vieille berceuse oubliée.

Elle l’attendait, assise sur le rebord, les pieds nus dans l’eau claire, le visage tourné vers la lune.

Elle sourit quand elle le vit. Mais son sourire paraissait plus pâle sous la lumière de l'astre de la nuit.

— Tu es venue, dit-il, un peu soulagé.

— J’ai hésité.

Il s’assit près d’elle. Il voulait profiter de sa présence. Mais ses pensées le rongeaient.

Elle restait silencieuse. Jean-Fraçois l’observait, le cœur un peu trop plein. Un souvenir lui revint, vif, inattendu : la première fois qu’il l’avait vue sur la place. Elle ne bougeait presque pas, et pourtant, c’était comme si tout le reste du monde tournait autour d’elle. Ce soir-là, il avait eu l’impression étrange de ne plus appartenir à son époque.

Juste à ce moment suspendu.

— Tu m’as dit de ne pas m’attacher, reprit-il. Mais comment ne pas s’attacher à quelqu’un qui semble... s’effacer un peu plus chaque jour ?

Elle ne répondit pas.

— Livia, tu es malade ? Est-ce que... est-ce que quelqu’un te fait du mal ?

La jeune femme planta ses yeux noisette dans ceux, gris clairs, de Jean-François. Il y lut une émotion profonde, douloureuse. Mais aussi de la tristesse... comme si elle savait que ce moment devait venir.

— Ce n'est rien de tout cela, répondit-elle.

Il serra les poings.

— Alors pourquoi tu ne me laisses pas tenir à toi ? Pourquoi tu es là chaque soir, si tu veux que je t’oublie ?

Elle se leva, brusquement :

— Parce que... parce qu'il est déjà trop tard.

Il se leva à son tour, bouleversé.

— Trop tard... pour quoi ?

Elle le fixa longuement, et dans ce silence, quelque chose d’immense se transmit.

— Tu ne comprends pas, murmura-t-elle. Son regard s’était perdu quelque part derrière lui, comme si elle regardait un lieu qu’il ne pouvait pas voir. Puis, elle baissa la tête, comme si ses propres mots lui faisaient mal à dire.

— Parce que tu as éveillé en moi de la chaleur. Et moi... je croyais que je ne pouvais plus en ressentir.

Un silence tomba, lourd, sacré. Elle releva les yeux. Il y avait dans son regard quelque chose de fragile et de fort à la fois, comme un dernier éclat avant l’effacement :

— Cette chaleur, je ne veux pas l’éteindre, mais je ne peux pas la garder non plus.

Jean François s'approcha d'elle en silence. Il prit sa main et la serra doucement dans la sienne. Elle leva les yeux vers lui et avant qu'il ne l'embrasse, il l'entendit dire dans un souffle :

- Il est trop tard, maintenant que je t'aime...

Jean-François n’avait pas bougé. Il resta figé, pris entre la honte et l’envie de comprendre.

— Livia… dis-moi au moins ce que je suis pour toi.

Elle ferma les yeux une seconde, comme si la question lui faisait mal.

— Tu es celui qui m’a fait douter, murmura-t-elle.

— Douter de quoi ?

Elle ouvrit les paupières, lentement.

— Douter que je sois vraiment partie. Douter qu’il n’y ait plus rien à ressentir. Tu m’as ramenée à la lumière, Jean-François… mais parfois, la lumière blesse plus que l’ombre.

Il fit un pas en avant, les mains ouvertes.

— Alors reste. Ou emmène-moi avec toi.

Elle secoua doucement la tête, ses yeux brillants dans l’obscurité.

— Il est des voyages qu’on ne peut pas partager.

— Tu as peur que je voie qui tu es vraiment ?

— Non, répondit-elle dans un souffle. J’ai peur que tu ne m’oublies pas… même quand tu devrais.

Elle s’approcha de la grille. Sa main se posa sur le métal froid. Elle marqua une brève pause, mais ne se retourna pas.

— Nous nous reverrons demain, répéta-t-elle.

Puis elle s’éloigna dans la ruelle, engloutie par la pénombre.

Il voulut parler, mais elle le coupa d’une voix douce :

— Je dois rentrer Jean-François. Tu ne dois pas me suivre, tu m'entends. Tu ne dois pas savoir... Elle s'interrompit quelques secondes.

  • Ne me suis pas, s'il te plaît.

Il hocha la tête en lui souriant. Mais ce soir-là, il avait décidé d'écouter son cœur.

Elle se leva et s'éloigna. Il attendit qu'elle tourne dans une ruelle avant de commencer à la suivre.

Le village dormait. Seuls les grincements d’un volet mal accroché et le souffle du vent chaud brisaient le silence. Il marchait à pas lents, furtifs, presque honteux de la trahir. Il avançait le long du vieux mur de pierres. il devinait le chemin qu’elle prendrait.

Livia avançait devant lui, légère, presque irréelle, comme si elle glissait plus qu’elle ne marchait. Elle ne s’était pas retournée une seule fois. Son pas était calme. Régulier.

Il l’aperçut au loin. Elle descendait un étroit sentier de terre, presque invisible dans la pénombre. Sa robe claire semblait flotter légèrement derrière elle. Son pas était mesuré, calculé.

Il garda ses distances.

Le sang cognait à ses tempes. Chaque pierre sous ses chaussures lui paraissait une trahison. Il s’enfonçait dans l’inconnu, poussé par cette sensation irrépressible qu’il allait découvrir quelque chose de plus grand que lui. Quelque chose qu’elle lui avait refusé.

Le sentier déboucha sur un petit portail en fer forgé.

Le cimetière.

La lune s’était levée entre deux nuages, dessinant des ombres étranges sur les tombes. Il attendit quelques instants, puis poussa le portail à son tour. Très doucement. À peine un grincement.

Il fit quelques pas dans l’allée.

Autour de lui, le cimetière dormait sous une lumière pâle. La lune, partiellement voilée, étirait les ombres des cyprès en silhouettes décharnées. L’air sentait la mousse froide, la terre humide et un parfum ancien de fleurs fanées. Par endroits, l’eau d’une gouttière oubliée tombait dans un seau fendu, goutte à goutte, comme une horloge funèbre. Il y entendit un froissement léger. L'aile d'un oiseau de nuit ou un rêve qui s’échappait.

Les pierres blanchies se dressaient dans le silence, droite, recouvertes d’un lichen pâle, comme si le temps lui-même avait déposé un voile sur la mémoire. À sa droite, une pierre moussue se détachait légèrement des autres, penchée, usée par le temps. Il ne lut pas le nom, ne chercha pas à savoir. Son regard glissa dessus, comme on évite instinctivement ce qu’on pressent trop intime.

— Tu n’as pas su résister.

La voix fusa dans son dos. Calme. Tranchante. Il sursauta et se tourna subitement. Son cœur battait la chamade. Elle était là, à quelques pas de lui, immobile, les bras croisés. Elle ne semblait pas en colère. Pas vraiment surprise non plus.

— Livia...

— Je savais que tu viendrais.

Il tenta un pas vers elle, mais elle recula.

— Tu ne devrais pas être ici, dit-elle.

— Pourquoi ? Qu’est-ce que tu caches ? Dis-moi la vérité, maintenant !

Elle le fixa longuement, puis baissa les yeux. Sa voix se fit presque un murmure :

— Il n'y a pas de vérités Jean-François. Seulement du respect et ce soir, tu ne m'as pas respectée. Repars maintenant. Nous nous reverrons demain.

Sans un mot de plus, elle quitta le cimetière. Elle posa une main sur la grille, marqua une brève pause, mais ne se retourna pas. Elle ne fit que s’éloigner dans la ruelle, engloutie par la pénombre.

Il resta seul, au seuil de ce lieu de silence. Debout, immobile dans l’ombre. Il eut honte de lui.

Il sentit la fraîcheur de la nuit grimper le long de son dos. Le cœur lourd, comme si une porte venait de se refermer, il rentra chez lui.

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