le départ
Le groupe partit à l’aube dans un mini car WV avec deux passeurs. Il était composé de dix hommes accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants. Avec Fatooh ils devaient être une bonne trentaine. Leur destination n’était autre que le port de Valparaiso. L’embarquement fut dur, Fatooh devait passer inaperçue pendant que tous s’entassaient jusqu’à ce qu’il ne reste personne dehors… sauf une fillette à peine âgée de 5 ans qui n’arrivait pas à entrer. Au fond d’elle, Fatooh refusait de partir sans elle, mais savait qu’elle ne pouvait rien faire. Quand une idée lui vint : elle fit rentrer la petite Chilienne et se mit sur le toit du car. Tout le monde avait droit à une chance de survivre.
Après un jour et demi de trajet, deux des hommes en fuite tombèrent gravement malades. Même les meilleurs médecins de la région n’auraient pu les sauver. Six heures plus tard ils moururent et le convoi dut se résoudre à jeter leurs corps dans l’eau du Rio Rapel. D’autres passagers tombèrent malades à leur tour et plusieurs vomirent mais par chance l’un d’eux était médecin et, grâce à son savoir et à quelques médicaments pris sur le chemin, ils purent être soignés. Certains enfants pleurèrent la perte de leur famille et de leurs animaux ou encore de leur maison.
Aussitôt arrivée à sa première destination, la jeune femme se réfugia dans un container sur le port. Le prochain cargo pour Arica ne partirait que la semaine suivante. Elle alla donc en ville chercher du ravitaillement. Lors de sa première excursion, elle trouva un abri abandonné qui avait sûrement été celui d’un sans-abri ou d’un migrant en route vers le Nord. Il devait être parti quelques semaines auparavant, car les couvertures étaient sales et il y avait des restes de nourriture qui moisissaient et, dans un coin, le reste d’un feu. Il faisait froid et humide mais il y avait des murs et un toit pour la protéger du vent et de la pluie. C’était déjà un luxe d’avoir trouvé cet endroit.
Le soir, elle repensait à son père qui lui disait qu’elle pourrait accomplir de belles choses dans son pays d’origine et qu’elle avait tant de chance d’être une belle et intelligente jeune fille. Il croyait aussi en son avenir de surfeuse et elle voulait également y croire. Elle espérait trouver un endroit où elle pourrait mener une vie comme son père l’avait imaginé et développé toutes ses passions. Son rêve ne pourrait se réaliser que si elle parvenait au bout de son périple. Et elle était déterminée. Dans ses années d’école, elle avait été très forte en géographie, son trajet était déjà clair dans sa tête.
Une fois qu’elle eut repris des forces, elle se dirigea en direction du marché pour voir ce qu’elle pourrait piquer dans la petite épicerie du coin. Fatooh prit une belle brioche tout juste sortie du four et un fruit, quand soudain elle surprit un jeune homme caché derrière le stand de bijoux à l’autre bout de la place et qui avait la même intention qu’elle. Il portait une cape qui descendait jusqu’à ses genoux, elle crut discerner des yeux bleus perçants mais elle n’en vit guère plus , car son visage était caché par une capuche. Mais, contrairement à elle, l’apprenti-voleur se fit repérer par la marchande. Il partit en courant et, dans son élan, bouscula la spectatrice qui fit tomber sa nourriture de fortune. Elle la ramassa et se dirigea vers un puits pour remplir sa gourde avant de rentrer dans son abri. Elle mangea un tiers de la brioche et alla ensuite s’enrouler dans les couvertures. Elles ne tenaient pas vraiment chaud, mais c’était mieux que de dormir dehors dans le froid.
Les jours passèrent et la fin de la semaine arriva. Elle était enrhumée à force de dormir dans le froid. Le bateau devait partir le jour même, dans l’après-midi. Fatooh prit son sac et y glissa sa gourde et le peu de nourriture qui lui restait. Elle se mit en route en direction de la côte.
Une fois arrivée, elle monta dans le bateau. Il était petit et n’avait qu'un étage, mais cela suffisait pour accueillir une vingtaine de personnes. La nuit tomba, elle ne connaissait aucun des passagers et n’avait parlé qu’au capitaine du bateau. Elle installa ses affaires dans un des coins du navire. Elle se retrouva à côté d’une femme dans la cinquantaine, qui lui parla de sa famille et de son pays. Elle venait de Bolivie et lui confia : “Tu sais, j’ai aussi une fille de 16 ans. Tu me fais penser à elle. Elle était discrète mais c’était une très belle jeune femme.”
“Merci”, répondit Fatooh un peu gênée par ce compliment. La femme lui rappelait sa mère, qui était toujours optimiste et gardait toujours le sourire. “Je m’appelle Hilda. Ravie de vous connaître”, dit-elle en souriant, prenant la main de la fille qui répondit : “Enchantée, moi c’est Fatooh.”
“Malheureusement, ma fille est restée en Bolivie avec mon mari José et notre fils Miguel.”
“Oh... Je suis désolée …”
“Ne t’en fais pas, ils doivent sûrement aller bien. Et toi, où sont tes parents ?” questionna Hilda. Devant le silence de Fatooh, la dame reprit : “Je suis désolée. Je ne voulais pas te blesser.” Fatooh sourit : Ça ne fait rien, allons dormir”, comme un murmure étouffé par la brise, et la jeune voleuse robuste et confiante qu’elle était disparut, laissant place à la jeune fille fragile qui avait perdu ses deux parents depuis deux ans.
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