Prologue

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La fumée épaisse des flammes encrassait le ciel de gros nuages noirs, dispersant les dernières lueurs d’espoir qui habitaient les survivants. Il pleuvait des flocons de cendres, qui se répandaient au sol et couvraient les traces de sang et de poussière. Les toits de chaume fumaient. Les charpentes en bois des vieilles masures n'étaient plus que des morceaux calcinés et ne tenaient plus le hourdage des murs, qui jonchaient la terre. Les étendards de Tar Pavel claquaient glorieusement dans l’air, jusqu’au moment où le Sorcier posa pied à terre. Le vent cessa. Les drapeaux tombèrent, et avec eux les derniers résistants de Sal Maväan.

Un sourire déforma son visage osseux. Il ne fit pas attention à sa cape qui baignait dans la saleté, ni aux cadavres encore chauds des femmes et des enfants qui parsemaient le sol. Quelques hommes épargnés serviraient à répandre la nouvelle de la chute. La résistance ne pourrait plus se relever. C’était une bonne journée.

Dans un mouvement imperceptible, il fit signe aux soldats qui le précédait d’avancer dans la ville pour s’assurer que tous les résistants étaient morts. Les longues manches de sa tunique trempaient dans le sang des innocents, mais il n’en avait que faire. Un claquement de doigt suffirait à faire disparaître les tâches.

On entendit des hurlements, le fracas du métal des armures des officiers de l’Empire, le grognement de l’homme qu’on venait de capturer, et les sanglots de la femme qui avait crié. Le Sorcier les fixait de ses yeux durs, la mine sombre.

  • J’ai épargné sa vie une fois, marmonna-t-il à l’adresse du prisonnier, et c’est ainsi que tu me remercies ? On m’avait dit que le spadassin de Forbe ne connaissait pas la pitié, et voilà que je te trouve caché dans un hameau vampire, à protéger une vile créature qui menace mon empire ?

Le ton était monté, et les derniers mots crachés ricochèrent dans le vent.

  • Tuez-les.

Le Sorcier lança un dernier coup d’œil à l’homme qui fut autrefois le mercenaire de sa cour, et remonta sur son destrier. Les factionnaires dégainèrent leurs épées, et les pleurs de la jeune femme redoublèrent.

  • Epargnez la femme, je vous en conjure ! hurla le mercenaire en se débattant. Vous venez d’écraser la Résistance, Leva n’est pas une menace.
  • Tu n’as rien à m’offrir, rien à sacrifier, railla le souverain. Pourquoi devrais-je lui accorder ma clémence ? Elle profitera de la moindre occasion pour trahir mon trône, une fois encore.

Il restait encore un dernier service que le mercenaire pouvait offrir. Un service qu’il avait juré de ne jamais proposer, car Leva ne le lui aurait jamais pardonné. Mais aujourd’hui sa vie ne tenait qu’à un fil.

Les yeux terrifiés de la jeune femme rencontrèrent ceux tourmentés de l’assassin, et elle comprit.

  • Daemo, non ! s’écria-t-elle. Tu ne peux pas faire ça !
  • Si, c’est le seul moyen de te protéger. Epargnez sa vie et je franchirai le portail. Je tuerai l'Ordeal.
  • Te voilà enfin raisonnable, conclut-il satisfait. Mais au moindre faux pas, sa tête roulera sur le sol. Je te laisse la journée pour te préparer. Au coucher du soleil, tu partiras, et ta chère Leva restera sous bonne garde dans mon palais.
  • Bien, votre Souveraineté, grinça le mercenaire, les poings tellements serrés que ses ongles sales lui rentraient dans les paumes.

Les soldats relâchèrent la femme, qui se réfugia dans les bras de son compagnon.

  • Quant à toi, n'essaye même pas de fuir, souffla le Sorcier à l'adresse de la vampire. Ta petite résistance n'est plus qu'un tas de cendre, et mes anges seront constamment sur ton dos. Si tu essayes de m'échapper, ce dont je te sais capable, tu ne pourras pas te cacher.

Il fit signe à ses soldats, qui poussèrent les prisonniers à avancer. Bientôt, on n’entendit plus que les crépitements des flammes et le croassement des corbeaux.

  • Daemo, tu es fou ! gémit Leva, le front posé sur son torse. Tu sais bien que le passage entre nos mondes est à sens unique, c’est un aller simple vers une terre inconnue, et tu ignores les dangers qui t’y guetteront !

L’homme ne répondit rien, resserrant un peu plus son étreinte.

  • Chante, demanda-t-il finalement.

Leva le fixa de ses prunelles bordeaux. Une larme coula sur sa joue rose.

  • Chante une dernière fois pour moi, répéta Daemo en capturant la perle salée.

Le ciel est gris, et la mer agitée.

Le soleil est parti, banni par le Sorcier.

L’espoir faibli, mais continue d’exister,

Et dans la nuit, on ne cessera de chanter.

Elle n’osait pas élever la voix, de peur de voir le tyran revenir les exécuter, mais alors que les premières note de la mélodie franchir ses lèvres, les survivants sortirent de leurs cachettes et chantonnèrent en cœur.

Ô mon frère, toi qui as tout perdu,

Toi qui étais si fier, je ne te reconnais plus.

Où est passé ta vaillance, ton ardeur ?

Comment a-t-on brisé ton cœur ?

N’entends-tu pas les chants des résistants ?

Ne vois-tu pas la rage des partisans ?

Attrape ton glaive, ta fourche ou ton filet,

Rejoint les troupes du réel héritier.

Le ciel est gris, et la mer agitée,

Les jours s’enfuient, les derniers du Sorcier.

Attrape ton glaive, ta fourche ou ton filet,

Rejoint les troupes de la liberté.

Daemo posa ses lèvres sur le front de Leva.

  • Je reviendrais te chercher, murmura le mercenaire.

Elle refusait de lâcher sa chemise. Elle ne voulait pas qu’il parte, qu’il aille gâcher sa vie à traquer l’unique personne qui pourrait les libérer de la tyrannie du Sorcier.

Mais il se défit de son emprise, et s’éloigna d’un pas ferme.

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