La fille de la chevrière, apaisée, redevint Ambrosia.
Kālī prit le temps d’admirer le délicieux visage de la jeune femme, avant de la libérer de son embrassade, puis elle se leva, tendit la main à Ambrosia, l’aida à se mettre debout. Elle ramassa leurs robes, offrit la sienne à Ambrosia, elles les revêtirent, ensuite leurs doigts se mêlèrent de nouveau.
La Dravidienne entraîna Ambrosia auprès de la roulotte, où elle l’invita à se rasseoir, lui demanda de patienter. Elle rejoignit les chevaux, les détacha, mena l’un à la longe à bonne distance du campement, avant de le rattacher, ainsi que les trois autres qui avaient suivi le mouvement.
« Appelle tes… chiens », lança-t-elle à Ambrosia.
Celle-ci ne se fit pas prier, les deux loups arrivèrent au galop et se jetèrent sur elle pour une partie, de grattouilles et de caresses pour les uns, de coups de tête, de léchouilles et de mordillements pour l’autre. Le tout ponctué de rires et de jappements.
Après avoir fait infuser un mélange d’herbes et d’écorces de son cru, un gobelet fumant dans chaque main, Kālī les rejoignit. Un canidé était couché de chaque côté d’Ambrosia, dont une main reposait sur chacun. Elle lui tendit une timbale, s’assit en face d’elle et but une gorgée, Ambrosia l’imita.
Serrant le godet chaud entre ses mains, la Dravidienne lui demanda si elle voulait bien lui expliquer ce qu’elle savait de la malédiction qui lui faisait perdre sa beauté.
Ambrosia réfléchit longuement avant de répondre. Elle regardait Kālī dans les yeux, essayant de sonder son âme. Celle-ci ne dit pas un mot, resta immobile, attendant que la jeune femme prenne sa décision.
Ambrosia résolut de tout raconter à l’étrange, attirante et bienveillante trentenaire qui lui faisait face sans broncher.
Elle expliqua que la malédiction datait de sa naissance, voire d’avant. Qu’elle ne la condamnait pas à perdre sa beauté, car elle était née avec les difformités que Kālī avait constatées, près d’une heure plus tôt ! Qu’elle avait vu le jour dans le village qu’elles venaient de quitter ! Qu’elle n’avait aucun souvenir de son père, que sa mère soupçonnait d’être responsable de ses malformations ! Qu’à cette époque, celle-ci était chevrière, qu’elle avait perdu la vie avant qu’elle n’ait sept ans ! Le jour même, elle avait été chassée du val.
Elle conta l’histoire du chien-loup qui l’avait sauvée, « l’arrière-grand-père de ceux-ci », précisa-t-elle en farfouillant dans leurs fourrures. Il l’avait menée jusqu’à la dame du cœur de la forêt, c’est ainsi qu’elle désignait la sorcière. Comment cette dernière lui avait enseigné la nature, les éléments et quand elle l’avait jugée prête à maîtriser son organisme, à agir sur lui pour prendre l’apparence qu’elle avait actuellement.
Elle révéla qu’hier était le premier jour de son retour dans le monde. Qu’avant que le garçon nommé Ioánnis ne lui donne du plaisir, elle était persuadée de ne jamais perdre le contrôle de son corps ! Cela ne lui était pas arrivé depuis plus d’un an.
Kālī était restée stoïque, se contentant de boire une gorgée de son breuvage quand Ambrosia marquait une pause dans son discours. Mais, à ces mots, elle s’exclama :
« Pas même, lorsque tu te tripotais ? (Voix chaude prise pour Kālī.)
— De quoi parles-tu ? (Voix utilisée pour Ambrosia.)
— De te faire jouir toute seule, d’avoir des orgasmes ! (Voix chaude prise pour Kālī.)
— Comment ? (Voix utilisée pour Ambrosia.)
— Avec ta main, en mettant tes doigts dans ton con, comme te les a mis dans le mien. En tripotant ton clito ! (Voix chaude prise pour Kālī.)
— Ça ne m’est jamais venu à l’idée ! (Voix utilisée pour Ambrosia.)
— Mais ! Toutes les filles explorent leur sexe, par curiosité d’abord, par désir et pour le plaisir ensuite. Les garçons aussi d’ailleurs. C’est naturel. (Voix chaude prise pour Kālī.)
— Ah ! Je te crois, mais je n’ai jamais éprouvé cette envie ! Sans doute, parce que j’étais concentrée sur le contrôle de mon corps. Cela jugulait peut-être cette appétence, qui maintenant me dévore. Dis ! On recommence ? (Voix utilisée pour Ambrosia.)
— Peut-être que la dame du cœur de la forêt te faisait ingurgiter une potion à ton insu ? » (Voix chaude prise pour Kālī.)
(Retour à la voix de la narratrice.)
« Et toi, qu’as-tu mis dans ma tisane ? répliqua-t-elle en souriant.
— Sûrement pas un aphrodisiaque, tu n’en as nul besoin ! » railla Kālī en riant.
Le rire d’Ambrosia lui répondit. (Ceux de l’auditoire aussi.)
« Je sais exactement quels ingrédients composent cette infusion. La dame du cœur de la forêt m’a tout appris sur les plantes ! »
Son rire redoubla, elle posa son gobelet, délaissant les loups, elle se leva, s’approcha de Kālī. Elle mit ses mains sur les épaules de la Dravidienne, la poussa pour l’allonger, mais celle-ci la repoussa.
« Attends ! Nous n’allons pas compenser cette nuit tes années d’abstinence, j’ai tout aussi envie de toi que tu as envie de moi, mais il commence à faire frisquet, alors nous allons nous installer dans la roulotte. Ensuite, maintenant que tu m’as raconté qui tu es, il est temps que tu saches qui je suis. Après, tu feras ce que tu voudras. »
Elles se rendirent dans la maison ambulante, où face à face elles s’assirent en tailleur sur le lit, avant que Kālī reprenne la parole.
« Je mène une vie de nomade, je vais par monts et par vaux, de village en village, parfois en ville et je ne reviens au même endroit qu’après cinq ans au minimum. Je vis de ce que je vends, des potions, des philtres, des prédictions, des colifichets et les objets précieux que j’ai volés. Je ne vends ceux-ci, au mieux, que dans la quatrième bourgade que je visite après celle où je me le suis procuré. Je vends mon corps aussi, aux femmes comme aux hommes. Pour être claire, je fais l’amour avec eux, pour de l’argent… Ce que l’on entend par : faire l’amour, c’est ce que tu es si pressée de refaire avec moi.
— Ho ! Mais, je ne possède pas d’argent, s’exclama une Ambrosia, consternée.
— Je t’adore, douce ingénue, je ne me suis pas vendue, je me suis donnée à toi, réussit à articuler Kālī qui s’esclaffait de rire. (Rires de l’auditoire.) Il y a encore une chose que je dois te dire : lorsque l’on me paie suffisamment et que j’estime que la requête est justifiée, je tue des personnes. Il m’arrive aussi d’ôter la vie à qui le mérite sans que quiconque me l’ait demandé. C’est pourquoi je crois que tu serais bien avisée de voyager avec moi… »
Elle dut, encore une fois, repousser Ambrosia qui l’avait interrompue par un : « Oui ! Mais, fais-moi jouir ! »
« Insatiable bacchante, écoute-moi ! Si, comme il le semble, tu te transformes à chaque orgasme. Avec ton appétit, nombreux seront ceux qui, à l’instar d’Ioánnis et de son père, voudront t’occire. Tes loups ne pourront pas toujours te sauver, certains t’emmèneront dans un bâtiment pour s’accoupler avec toi.
— Oui ! Oui ! J’ai déjà dit oui ! s’écria Ambrosia en se jetant, littéralement, sur la Dravidienne.
— Laisse-moi faire, j’ai beaucoup d’autres façons de donner et de prendre du plaisir à t’apprendre ! » (Voix chaude prise pour Kālī.)
Ce à quoi elle s’employa une bonne partie de la nuit.
« C’est tout ? » (Voix de l’homme qui est intervenu à plusieurs reprises.)
« Oui ! D’autant que dépourvu de certains des organes utilisés par Kālī pour satisfaire sa partenaire, tu devrais plutôt te préoccuper de comment en faire autant avec les tiens ! »
Au milieu de la matinée suivante, elles furent réveillées par les chevaux qui hennissaient pour que l’on s’occupe d’eux.
L’histoire de la fille de la chevrière ne s’arrête pas là. Mais, ce que je peux vous en dire avec certitude, presque.
Elles voyagèrent, de concert, très longtemps. Plus qu’il est courant pour des humains.
Kālī ne se vendit plus qu’aux femmes, laissant les hommes à l’inassouvissable Ambrosia.
Les charmes d’Ambrosia les rendirent riches.
Ceux qui survécurent à des ébats avec Ambrosia se comptent sur les doigts d’une main.
...
Que puis-je en dire d’autre ?
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