Chapitre 2-2
En reculant pour contempler la table, l'hôtesse imagine la disposition des convives. Le plus sage serait de placer Hélène à côté de Lucie, et Arnaud à côté de Martin. Ils pourraient ainsi faire connaissance. La division des conversations — écueil fréquent des soirées où chacun se love confortablement dans de longues discussions avec celui qu'il connaît bien — serait ainsi évitée. Une proposition réfléchie que Juliette ne retient pas. Elle veut être à côté de Lucie. Sinon à quoi rimerait cette soirée ? La table ronde facilite la reflexion. Elle se placera au plus près de la cuisine. Lucie sera à sa droite, Arnaud à sa gauche. Restent Hélène et Martin, qui seront à côté. Parfait ! La jolie brune fait un point sur les préparatifs : disposer le vin sur la table et couper le pain.
Un cri la tire de ses réflexions. Elle se précipite dans la cuisine. Arnaud, la chemise tachée d’éclaboussures de café, une tasse à la main, s'exclame :
— Merde ! Merde ! Merde ! Ta cafetière est merdique !
— Quelle idée de boire un café à cette heure-ci !
— Il n’y a pas d’heure pour le café, rétorque-t-il, agacé.
Juliette saisit un torchon pour tenter de réparer les dégâts, mais le mal est fait. Il est trop tard pour laver la chemise et la faire sécher avant l'arrivée des invités.
— Tu as des affaires de rechange ?
— Non, j'ai lancé une machine.
Alors que Juliette continue à frotter vainement la chemise tâchée, Hélène entre dans la cuisine emmitouflée dans son manteau.
— Vous avez un problème ?
Arnaud se retourne sans un mot et lui désigne sa chemise bicolore. Elle grimace.
— Tu as besoin d’aide, ma chérie ?
— Non, ça ira. J’ai presque fini de toute façon. Tu peux aller te préparer.
— Si tu changes d’avis, je suis dans ma chambre.
Hélène disparaît aussi vite qu’elle est apparue. Juliette jette un coup d’œil sur son portable. Dix-huit heures et cinquante minutes. Lucie va arriver d'un instant à l'autre. Elle attrape le bras d’Arnaud et le somme de la suivre à l'étage.
Une fois dans sa chambre, elle fonce vers son armoire et l’ouvre en grand. La tête la première, elle fouille, déplie, met en vrac la moitié de sa garde-robe. Arnaud l’observe, anxieux.
— C’est hors de question que je mette des habits de gonzesse ! s’insurge-t-il.
— Tu préfères rester comme ça ?
Arnaud s'apprête à lui répondre, mais rien ne sort de sa bouche. Il n’a pas l’air finaud avec sa chemise imbibée de café.
— Déshabille-toi, j’ai trouvé ce que je cherchais, lui dit Juliette, victorieuse.
Elle brandit une chemise rouge coquelicot, avec des touches de jaune et de bleu. Arnaud écarte les yeux de surprise.
— Non, non, non, dit-il en reculant. C’est hors de question !
— Tu n’as pas le choix. C’était pour une soirée à thème. Au moins, ce n’est pas un vêtement de gonzesse. Satisfait ? lance-t-elle d’un ton moqueur.
Arnaud attrape la chemise à contrecœur.
— Habille-toi vite, je vais nettoyer le sol de la cuisine.
En dévalant les escaliers, Juliette entend la sonnette. Elle fonce dans la cuisine, saisit une serpillière et éponge le sol à toute vitesse. Puis, elle se dirige vers la porte d’entrée. Avant de l’ouvrir, elle remet en place sa frange et vérifie l’état général de sa blouse. Elle n’a oublié aucun détail. Lucie est finalement venue. Son stress monte d'un cran.
Un froid glacial s'engouffre dans l'entrée. Juliette culpabilise. Un sentiment aussitôt oublié quand elle croise le regard de Lucie. Elle ne voit qu'elle. Juliette s'inquiete des rougeurs sur les joues de son amie. Sans réfléchir, elle y pose ses mains, et les laisse de longues secondes contre ses pommettes glacées. Lucie ne se dérobe pas.
Au bout d’un moment, Lucie glisse un regard géné vers son mari, resté en retrait, un bouquet de fleurs entre les mains. Juliette se ressaisit aussitôt en retirant ses mains pour les porter vers le présent. Elle regarde Martin pour la première fois. Un type de taille moyenne, les cheveux châtains et le regard curieux. Elle se souvient des mots qu’avait utilisés son amie pour le décrire : « un ours charmant quand il le veut bien ». Lucie est tellement plus élégante que lui, plus raffinée et lumineuse.
Des notes fruitées titillent ses narines, des senteurs riches que seul un parfum peut diffuser. Juliette esquisse un sourire. Martin l’observe, elle détourne son visage. Lucie pousse son mari vers le salon. Juliette respire. Elle utilise l’excuse des fleurs et des manteaux pour s’absenter quelques minutes dans la cuisine. Elle doit se ressaisir. Maintenant, dès que tu franchiras le seuil de la cuisine, tu seras la meilleure des hôtesses, Juliette.
Après avoir pris une longue inspiration, elle glisse les fleurs dans un vase et emporte la corbeille de pain. En arrivant dans le salon, Lucie triture ses doigts. Son cœur se resserre. À quoi pense-t-elle ?
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