Chapitre 12-2
Martin aimait se raconter des fins alternatives. Dans un monde idéal, où il n’aurait subi aucune souffrance, il aurait accueilli Hélène en ouvrant ses bras. Sans y réfléchir. Sans aucune hésitation. Il se serait livré à elle sans retenue. Il se serait dévoilé entièrement à celle qui avait su écouter ses silences. Il aurait voulu qu’elle fasse partie de son avenir. Elle aurait participé aux fondations de ses rêves. Il l’aurait choisie parmi toutes les autres. Elle.
Dans un monde idéal, Martin aurait voulu l’aimer. Mais la réalité avait des dents et le jeune homme, fuyant ses morsures, avait écrit à Hélène le contraire de ce qu'il pensait. Pour se protéger. Pour la protéger, elle, aussi. Martin se rassura comme il pouvait. Il se persuada qu’il leur avait rendu service en tuant avant l’heure leur relation.
Il savait gérer les cris de ses parents, l’indifférence de ses camarades de classe, les critiques de ses professeurs, mais il n’avait pas appris à accueillir la bienveillance. Il ne pensait pas mériter une telle attention. Hélène gâchait son temps avec lui.
Martin avait si mal au ventre que cela devenait insupportable. La douleur irradiait dans les autres organes. D’un geste, il écarta la lettre d’Hélène pour la protéger de ses larmes. Il ne lui restait plus que cela d’elle. Il la lirait chaque fois qu’il voudrait revenir vers elle.
Il n’entendrait plus le son de sa voix profonde, ni ses encouragements, ni ses conseils, ni ses anecdotes de voyage, ni son rire, ni ses silences qui traînaient au bout du fil, suspendus entre deux phrases, entre deux respirations. Il ne recevrait plus les SMS presque quotidiens pour lui souhaiter une belle journée ou demander si ses cours s’étaient bien passés.
Des semaines passèrent et le doute affreux d'avoir commis une erreur ne lâchait pas Martin. Tout d'Hélène lui manquait. Sans sa voix grave, sans ses mots, tout devenait si ordinaire. Parfois, il flanchait. Il attrapait son téléphone avec comme seul désir de l'entendre. Juste une fois. Une dernière fois. Martin se retenait d’appuyer sur le combiné vert. Il en mourait d’envie, et faisait un effort surhumain pour résister, conscient que son geste était égoïste. Hélène avait-elle besoin de subir ses atermoiements ?
Le lycéen se plongeait alors dans ses cours pour se changer les idées, bourrait son esprit de formules mathématiques, de théorèmes, se lançait dans des problèmes ardus qu’il résolvait en mangeant, en marchant, en se lavant, en s'endormant. Il regardait régulièrement son téléphone : pas de nouveau message. L'objet devint inutile puisqu'il ne servait qu’à communiquer avec Hélène, mais il le garda pour entretenir secrètement un lien invisible.
Les chiffres peuplèrent ses journées et Hélène s'invita la nuit, dans ses rêves. Malgré ses efforts, les matins restaient douloureux. Martin la quittait à contre cœur en s'extirpant de son lit. Il se mit à la recherche d’un job le week-end. Il fallait s'épuiser complètement. Méthodiquement. Ne plus laisser aucun espace à la souffrance.
Des mois s’écoulèrent ainsi. De temps en temps, Martin regardait son portable. Avait-t-elle changé de numéro ? Et si ce lien invisible s'était rompu ? Martin n’osait pas vérifier. Pourtant la question demeurait : quelle voix au bout du fil ? Le désir jamais ne le quittait. Si bien qu'un jour, presque à bout de souffle il écrivit à Hélène.
« Je suis con,
Ton Martin »
Cinq mots pour résumer des mois de silence.
Deux semaines plus tard, Martin découvrit une enveloppe fine dans sa boîte aux lettres. Il reconnut aussitôt l’écriture délicate d’Hélène. Il la saisit et courut s’enfermer dans sa chambre. Sur son lit, il déplia l’unique feuille, les doigts agités.
« Je le sais,
Ton Hélène »
Martin esquissa un sourire. Elle était toujours là. Pour la deuxième fois, elle lui pardonnait de l'avoir rejetée. Désormais, il en était convaincu, elle ne l'abandonnerait jamais. Il avait confiance en elle. S'il se perdait dans ses peurs, elle serait toujours là pour calmer son angoisse. Son mal de ventre disparut pour de bon.
[Clémentin8]suppression
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