Chapitre 3 - 4
Trois jours après sa traversée, il atteignit les premières pentes de la montagne tant espéré. Depuis ces trois jours la malchance c'était acharnée. Traqué par plusieurs animaux, il avait peu dormi. Son salut, il le devait à un arbre mort dans lequel il cacha. Après une nuit à guetter ses poursuivants bestiaux, il était épuisé.
Il marcha hagard dans les bois, heureux de toucher à son but. Il pourrait bientôt prévoir un nouvel itinéraire. Et il espérait même apercevoir des bribes de civilisation humaine.
Une ombre au tableau, le manque de nourriture. Il ne trouvait rien de comestibles, du moins il ne se risquait pas à le manger. Chasser était devenu l'option la plus envisageable.
En soirée, il se fit un gourdin pour assommer un lièvre, ou des rongeurs grassouillets. La faim le tiraillait quand il aperçut un lapin. Ce dernier cherchait du trèfle dans une petite clairière.
Un opportunité qu'il ne fallait pas rater.
L'homme se faufila entre les hauts buissons, s'approcha lentement de sa proie.
Jusqu'au moment où il fut à portée de frappe. Il arma son bras et déclencha un furieux revers. Surpris le lapin bondit d'une pirouette de gymnaste. Il esquiva de justesse. L'homme s'élança après sa proie. Décontenancé par l'attaque le petit animal n'arrivait pas à mettre de la distance entre lui et son agresseur.
L'homme allait enclencher un deuxième coup. Lorsque dans sa course son pied s'engouffra dans un trou. Il s'effondra avant d'armer son bras.
Son genou avait sinistrement vrillé et une violente douleur le laissa à terre. Il gémit un long moment. Il comprit que l’un de ses ligaments venait de rompre. Il ne pouvait rester là, à hurler. La douleur le clouait au sol. Son prétendu repas lui s’en était allé.
Il regardait autour de lui, des buissons et des hautes herbes. Depuis le parterre on ne voyait rien. Le malheureux reprit le statut de casse-croute pour bêtes affamées. Il devait reprendre une station debout, au moins pour voir arriver le danger.
Il se traina vers l’arbre le plus proche et s’y adossa pour se relever. Il lui fallait une canne, une béquille. Il sautilla le long de la clairière pour trouver un bout de bois adapté à sa taille. Résolu à être le plus confortable possible, il se construisit l’objet adéquat.
Il devait reprendre la route. Il n’abandonnait pas. La proximité d’un sommet favorable lui offrait de l’espoir. Malgré son genou blessé qui le lançait à chaque mouvement. Il n’avait plus d’autre option. Avancer, toujours plus loin et quoiqu’il devait lui en couter.
Avec abnégation, il sautilla jusqu’au soir en direction du haut du mont. Epuisé, taraudé par la faim et en larmes, il chuta dans un fourré. Ereinté par les efforts, il ne put aller plus loin. Il se résolut à bouffer des brins d’herbes gras à porter. Il économisa l’eau. Il arracha quelques branches de buissons tout proches afin de se camoufler. Dans son grossier petit tas de verdure il s’assoupit.
Au lever du soleil, il était encore en vie. Aucun animal ne l’avait débusqué. Il se rassura avec cette maigre consolation. Il bondit de sa béquille valeureuse sans réfléchir à autre chose que cette vision panoramique qui l’attendait en haut. Il serra les dents. Laissant derrière lui la vallée d’un vert habillage fourni, il atteint bientôt les épaisses bruyères couvrant le pic.
La bruyère tapissait le sol et pour le blessé devint une vraie source d’épuisement. Il devait tâter le sol avant chaque nouveau pas. Il tomba à plusieurs reprises. La masse végétale était trompeuse. Se relever et repartir. Il s’évertua à continuer sans prêter attention à ses nombreuses trébuches. A midi son corps n’en pouvait plus. A bout de force, il continua malgré tout. Endolorit par les bleus et les égratignures, il abandonna l’idée même de confort. Il admira le sommet si proche, une délivrance à portée. Alors il serra encore plus les dents. Il piocha dans sa volonté. Il gravit à grand peine les mètres qui lui restaient.
A cinq cent mètres du point culminant, sa béquille ripa sur un morceau d’ardoise qui se détacha sous le poids. Emporté par le mouvement il partit à la renverse dans la pente. Il dévala plusieurs dizaines de mètres, pour n’être stoppé que par un rocher. Il le heurta du même triste genou. Le vif coup réveilla tout le mal latent. Il s’égosilla. Lâcha larmes, injures et gestes désespérés. Il verrouilla ses dents s’y fort qu’il en fit saigné ses gencives. Défiguré par douleur il se releva, sur la seule jambe valide. Tremblant il grimpa à cloche-pied, des quelques bonds qui le séparait de sa béquille. Il se réconforta qu’elle ne se fût brisée. Puisant dans son mental, il traina à grand peine sa carcasse vers son but.
La sueur et les larmes perlaient devant ses yeux. L’aigreur de sa transpiration rendait sa vision floue. L’homme s’arracha. Mètre après mètre. Son calvaire prendrait bientôt fin et il serait récompenser pour son effort. Il pourrait contempler le paysage, élaborer un nouveau plan. Dans un rêve, il imagina la douce vue des champs et des barrières pour le bétail. Son espoir fou le porta. Il l’aida. Le malheureux en oublia sa sincère souffrance. Emporté par sa volonté, il jeta toute son énergie dans l’ascension. L’attente allait être récompensée, la ligne de crête s’offrait à lui. Le blessé poussa de toute sa puissance dans le sang de sa main. Il respirait fort, et son cœur battait à tout rompre. Le paysage s’esquissa. Il avança encore. Et bientôt la vaste étendue tant promise fut visible. Dégoulinant de sueur son regard était brouillé. Puis il vit.
Il s’effondra et éclats en sanglots.
Aucune marque de civilisation. Juste un vaste marais. Un immense marais à nu, sur des dizaines de kilomètres. L’un des pires endroits possibles. Son courage dépérit face au choc. Il ne lui resta que les pleurs. La douleur refit surface. Sa chaire comme frappée comme par un attendrisseur, lui rappela qu’il avait dépassé le seuil du raisonnable. Même ses bras l’abandonnaient. Assis sur les fesses, il ne se mouvait plus. Un corps hébété qui ne répondait plus. Tremblotant il fouilla sa gourde du bout des lèvres, mais il renversa la moitié de ce qu’il désirait. Plus rien ne lui obéissait. Il inspira et expira profondément. Il planta les paumes de ses mains dans la terre. Il mit son genou sain sur le sol. Il poussa fort sur son dos pour se relever. Il utilisa sa béquille. Il se retrouva debout. Face à cette étendue putride synonyme de nombreux sacrifices. Il commença à réfléchir aux options et aux chemins possibles, malgré la souffrance profonde. Dans ses yeux vitreux se reflétaient le paysage de milliers de trous d’eau scintillant sous l’astre du jour. Cela lui arracha une larme amère, comme si l’ironie avait encore frappé dans sa vie. Il inspira longuement. Au moment d’expirer il se tourna de trois quart. Une brise balaya son visage quand dans sa vision périphérique il aperçut une silhouette. Forte, planter droite comme un i. Cela ne pouvait qu’être elle. La sorcière. Depuis un point en contrebas elle le fixa d’un air sombre et menaçant.
Elle s’approcha d’un pas décidé et lourd. L’homme ne put retenir un sourire désespéré, celui qu’on destinait au moment si fatidique et si cruel. Comme une acceptation profonde du sort et d’un châtiment à venir.
- Il faut qu’on cause, siffla la jeune femme.
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