Chapitre 4 : Premier pas et révélations
L’homme se relâcha. Il ploya sous le coup de son échec. Une vaste expiration cynique raisonnait. Il se détourna de l’individu qui approchait. Il contempla de nouveau ce vaste marais. Inspira et expira lourdement en entendant la sorcière faire les quelques derniers pas. Il se tourna comme pour fustiger de ses yeux sombres son bourreau, avant de récolter la raclée.
Il plissa les yeux en vue du coup de poing, mais rien. Un long silence. Un insecte effectua un bref passage sonore. L’homme fatigué fouilla alors le visage de sa poursuivante. Les grands yeux dorés de la sorcière oscillaient entre une colère froide et un autre sentiment bizarrement perceptible. Ce sentiment était celui d’une anxiété quand on doit annoncer quelque chose d’important. Les rides de colère et de frustrations transparaissaient. Une tension palpable sur tout l’être de la jeune femme qui pouvait exploser à tout instant.
Le fuyard prit au piège se résigna à répondre.
_ Et maintenant que faisons-nous ?
La pupille de l’interlocutrice se rétrécit et elle envoya son index droit dans le sternum en réaction. Une grimace traversa son visage et elle cingla.
_ La ramènes pas !
_ Je peux au moins m’assoir, sur une jambe c’est pas facile.
Elle enfonça son doigt douloureusement.
_ Tu restes debout !
L’expression de la jeune femme se fit plus menaçante. Le silence se fit à nouveau lourd et pesant. L’homme se tut, les protestations ne faisaient que ralentir le dialogue voulu par l’autre partie. Elle plongea ses vives iris dans celles noires et épuisées de son guide.
_ Nous nous sommes menti. Cette phrase claqua comme une gifle. Ce « nous » que l’homme n’attendait pas. Tu mens depuis le début : tu ne donnes pas ton vrai nom, tu élabores des plans, tu courbes l’échine pour mieux fuir malgré le pacte et ma mise en garde. De mon côté, j’ai aussi mes plans et tu le sens. J’ai été naïve de croire que mon avertissement suffisait. Alors soyons francs. Soit nous décidons de coopérer, soit tout se finit ici.
_ Qu’elles sont vos plans ?
_ J’exige que tu me donnes ton vrai nom ! Elle arma son poing. Elle envoya une expression résolue où une touche de fatalisme apparaissait. Le signal d’un ultimatum.
_ En quoi mon nom t’importe maintenant ? Je croyais que tu t’en moquais ?
_ Pour toi il est important, tu le caches délibérément.
_ Vous l’exigez ? Qu’est-ce que ça vous apportes ?
_ Un signe de bonne volonté.
_ Réciprocité oblige, vous me donnez le vôtre.
_ Je n’en ai pas, je te l’ai déjà dit.
L’homme soupira.
_ Vous me menacez, vous exigez et je n’ai rien en retour. C’est à sens unique cette coopération. Comme s’il y avait besoin de menacer, je suis estropié en plein milieu des Terres Reculées et je me doute que vous n’hésiterez pas à me tuer.
La sorcière lâcha sa posture guerrière.
_ Donnes-moi ton nom. Et tu arrêtes de me vouvoyez, ça met de la distance et je n’aime pas.
L’homme éreinté souffla, il attendit un instant et lança.
_ Aklameon Nevirad SILDENVAL, c’est mon nom complet, mais pour faire court on dit Klam. Tu es contente sorcière.
En un échange de regard la tension tomba d’un cran.
_ Klam, tu es mon guide et je devrais avoir confiance en toi. Mais on est dans une impasse. Tu refuses de coopérer et tu ne m’es d’aucune utilité dans ce cas. Je suis prête à t’écouter, je suis prête à faire des concessions, si tu acceptes de me suivre. De façon sincère.
_ La sincérité. C’est de la connerie et je suis léger dans mes propos. Je ne suis qu’un prisonnier où un esclave sous le coût d’un pacte, dont le prix est mon dévouement absolue à ta cause.
_ Le pacte nous lie, mais nous y perdrons tout deux à ne pas coopérer. Mais tu t’y refuses, quitte à mettre ta vie en jeu.
_ Ce sont des risques à prendre quand on ne jouit pas de sa liberté.
_ Vous n’êtes pas mon prisonnier.
_ Et pourtant ça y ressemble.
_ Vous avez toujours eu le choix.
_ De vous suivre ou de mourir, quels choix !
_ Le choix d’essayer de me parler et d’essayer d’y trouver votre intérêt.
L’homme faiblissait sur sa seule jambe valide.
_ L’intérêt de m’assoir par exemple ?
_ Fais donc.
Il se courba pour retrouver le sol et s’y poser le plus délicatement qu’il put.
_ Klam, je vais t’emmener dans un lieu où on te guérira.
_ Tu veux que je fasse quoi, que je fuis en rampant ? De toute façon, je n’ai pas le choix.
_ Te donner le choix serait inutile, conscient tu serais intransportable.
_ Tu vas me lancer un sort ?
_ Non.
Il reçut un bref coup précis qui le plongea dans les limbes.
La clairière verte resplendissait sous les vapeurs matinales. La nuit avait passé et le lieu était inconnu. L’homme se tourna pour apercevoir la sorcière, droite comme un « i ». Vigilante. Elle lui adressa un coup d’œil. Il se redressa, mais la vive douleur au genou le renvoya au sol.
Un rictus de souffrance qui ne s’effaça pas. Malgré la condensation qui s’élevait en d’épais panaches, la fraîcheur tenaillait. Au sol, il grelota bientôt et ne put retenir sa curiosité.
- Pourquoi on reste ici ?
- On attend quelqu’un ! Plaça-t-elle sans même le regarder.
- Donc, on ne va pas à la rencontre de cette personne.
- On est sur son territoire, c’est maintenant à elle de nous trouver. T’inquiètes elle ne tardera pas.
- Elle ?
- Oui, d’ailleurs la voilà.
Une femme dans une longue toge jaune pâle pénétra dans la clairière d’un pas lent et gracieux. L’homme aperçu sur sa gauche celle qu’ils attendaient. Dès son entrée, une présence rassurante emplit l’air. La jeune femme avait les cheveux très longs d’un blond solaire. Il ne put décrocher son regard de la douce progression mystique. Telles les nymphes dont les poètes narraient le sublime, elle éclaboussait de sa superbe et de sa sérénité. Elle posa genoux à terre au contact du blessé. Ces deux yeux noisettes brillaient de la même lueur magique que ceux de la sorcière. Mais aucune idée préconçue ne vint à l’esprit du blessé. Calmer, au plus profond de son être par cette aura bienfaitrice. La parfaite apposa sa main sur le front du blessé et lui glissa un délicat sourire. Elle éleva son regard en direction de la sorcière.
_ Un Citéen ? Oul, ce n’est pas dans tes habitudes.
_ C’est mon guide.
A ces mots le visage de la parfaite se défit et resta bouche bée pendant un instant. Cette annonce était un choc. La douce jeune femme éclata en rire magnifique.
_ Oul, tu me surprendras toujours.
Soudain, le rire s’effaça sur le visage tendre. Une information sérieuse stoppa l’amical échange.
_ Oul, il est brisé. Je veux dire au-delà de sa fatigue et de sa blessure au genou. Il faut rejoindre mon accueil. Tu as me communiqué des faits avant que j’effectue les soins ?
_ J’ai effectué un pacte avec lui. Cela perturbera ta lecture de son flux.
_ Je m’en doute, une strate du flux est presque impossible à lire en lui. Tu as comme réécrit, je n’espère pas que tu aies été déraisonnable.
_ Sindatra ! M’accuserais-tu de nécromancie ?
_ Mépriserais-tu mon talent à ce point pour que je confonds pacte et nécromancie. Quel foutu lien as-tu créé pour que cette strate soit illisible ?
_ Une conjonction du pacte et de son état d’avant.
_ Il a subi un sort particulier ?
_ Il a rencontré l’artefact de la folie et il était encore en vie quand je l’ai trouvé.
_ Un citéen ? Il l’a croisé à quelle distance ? Des affinités avec le flux ?
_ A moins de dix mètres. Pas d’affinité.
La soigneuse se tut, comme si on venait de lui annoncer une vérité impossible. Elle se ressaisit et s’adressa au blessé.
_ Ne craignez rien, vous allez vous endormir et vous vous réveillez à mon accueil. Je serai à vos côtés.
L’homme sentit la paume de la jeune femme devenir plus chaude. De son front jusqu’à ces pieds une énergie réconfortante se propagea. S’installa un doux et profond songe.
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