La chevelure d’or réapparut. L’homme étendu-là ne put retenir un petit sourire. Elle se posta à nouveau près de son épaule gauche.

_ Klam, je sais que vous avez des réticences à devenir le guide de Oul. Néanmoins, je pense que vous avez-vous aussi vos besoins, vos objectifs, vos rêves. Elle peut vous aider à vous accomplir.

_ Je serai rassuré si vous veniez avec nous. Vous soignez, la vie vous importe, vous me comprenez.

_ Je ne peux venir avec vous.

_ Pourquoi ?

_ Une Svanti ne peut partir loin de son accueil. Les Svanti de par leur rôle ont un territoire établi et nous ne sortons pas de notre territoire. Tous ceux qui ont besoin savent où nous trouver, nous vivons là où nous soignons.

_ Alors je souhaite rester à vos côtés.

_ Je crois comprendre ce qui motive cette réaction. Je dois être sincère avec vous, tout ce que vous percevez est altéré par mon don. Tout Svanti exerce une magie de zone, vous êtes sous mon charme. Vous me percevez comme la personne la plus rassurante qui soit et c’est un effet de ma magie. Quand nous arrivons auprès d’un être blessé nous ne pouvons-nous permettre une réaction inappropriée de sa part. Nous utilisons la magie via un charme qui nous protège. Nous la faisons fluctuer aux grés des émotions pour qu’elle corresponde aux besoins du blessé.

_ Donc ce charme altère ma perception, vous n’êtes pas comme je vous vois ?

_ Si, disons que cela enjolive. Enfin dans votre cas, c’est une fluctuation que j’amplifie, car vous y êtes réceptif. Vous ne voyez que ce qui vous rassure, mais il n’y a pas de mensonge profond. Mon rôle exige le bien-être de ceux que je soigne. C’est comme cette conversation, je vous explique beaucoup de choses sur mon rôle, car vous avez un besoin de savoir. Une curiosité mêlée à de la peur. Vous devez comprendre que ce qui vous pousse à rester, vient de mon rôle et non de ma personne. Vous ne pouvez rester et je ne peux partir.

_ Mais mon intérêt pour vous n’est pas tronqué, j’apprécie vos qualités relationnelles et votre rôle. C’est important pour moi, la vie et tout ce qui permet de la maintenir.

_ Cela et mon physique…

_ Peut-être et alors. Je veux bien que votre magie vous rend attirante, mais tout ne repose pas sur votre grâce naturelle ou magique.

_ Vous ne me connaissiez pas. Vous ne laissez pas facilement les gens venir vers vous d’habitude. Je me trompe ? L’homme ne démentit pas. Alors analyser tout cela et vous verrez que votre état émotionnel est biaisé.

_ Je le sais. Mais vous semblez apporter à la vie des autres autant d’importance que j’en ai. Comme si nous nous comprenions par le seul fait d’aimer la vie.

Il eut un regard détonnant dans les yeux du blessé, une profonde mélancolie et une volonté transcendante. Ses mots avaient un poids particulier dans la bouche de cet homme. La parfaite en eut un frisson qui remonta tout le long de sa colonne vertébrale. Elle sembla surprise et touchée, la remarque avait tapé sur un point précis. Elle en fut décontenancée et balbutia.

_ Vous ne me comprenez pas. Vous ne comprenez rien de mon rôle.

L’homme perçut l’impact de ses mots, il culpabilisa.

_ Désolé… Votre rôle est toute votre vie et vous dédiez toute votre vie aux autres. Je ne devrais pas nous mettre sur un même plan. Vous agissez, de mon côté ce ne sont que des mots.

_ Ne vous excusez pas. Cria-t-elle. Vous ne comprenez rien. Elle se détourna. Vous vous méprenez. Elle soupira. Ce n’est pas par dévouement que je soigne. C’est mon rôle, rien de plus. Elle serra les poings. J’aimerais avoir autant de volonté que vous. Je vous ai senti comme habiter par vos paroles. Elle se retourna visiblement énervée. Je vous envie tellement. La vie, je la vois juste passée.

_ Je ne vois pas ce qui vous enlève la valeur de vos actes.

Elle se tut. Comme si cette vérité l’avait calmé. Elle esquissa un petit sourire.

_ Votre volonté est une chance. Elle ne vacille pas. Comme si votre être tout entier répondait à l’appel de ce but : la vie. Vous n’avez qu’une chose à faire, écoutez cette volonté intérieure. Vous êtes brisé et pourtant cette flamme brûle en vous. Laissez-la prendre le dessus sur votre peur.

L’homme comprit, il détourna le regard.

_ Les morts, les cris, tous ces souvenirs, font autant partie de ma volonté que de ma peur.

_ Même si je semble comprendre ce qui vous est arrivé, je ne sais rien de votre volonté et de votre peur. Ni de laquelle est née de l’autre. Pourtant un choix s’est offert à vous. Et vous êtes venu avec Oul. C’était un pas en avant, un acte de confiance.

_ Subir ou mourir, toujours le même choix. J’ai eu beau m’échapper, la malchance est toujours là. Et les portes de ma geôle se referment à nouveau. Une éternelle ironie.

_ Vous n’êtes prisonnier que de votre pensée.

_ Ah bon ? Une sorcière qui vous traque et vous propose mort ou soumission à son pacte, ce n’est pas une forme de privation de liberté ?

_ Elle vous prive du choix du voyage et de sa compagnie. Mais pour le reste tout est à faire, à vous de choisir le chemin et les étapes, guide. Sourit-elle.

L’homme plissa les sourcils avec un léger désaccord, mais le message était passé.

Sindatra pausa une main douce sur la joue de son patient.

_ Je n’interfèrerai plus dans votre choix, sauf si vous me le demander. Mais sachez que Oul m’a demandé cette discussion avec vous. Elle ne me commande, ni ne m’oblige. Je le fais, car elle est dans l’impasse. Elle s’investit beaucoup dans cet échange. Ce qui est rare pour elle.

_ Je devrais la remercier de me menacer.

_ Les règles ne sont pas les vôtres. Mais pour elle ce n’est pas évident, vous la voyez comme une ennemie et elle n’arrive pas à vous en faire changer d’avis.

_ C’est une sorcière !

_ Et selon, vos critères citéen, moi aussi.

_ Mais vous vous n’êtes pas une machine sans cœur.

_ Mon don et mon rôle y sont pour beaucoup. Oul vous a sauvé et même si elle demande une contrepartie, elle n’agit négativement qu’en réponse à vos actes.

_ Donc ça va être de ma faute si elle me menace de mort.

_Vous tournez autour de ce point, mais c’est un message préventif autant qu’une menace. Je vous assure que les Oul ne sont pas très préventifs habituellement. Encore une fois, si je le fais pour elle, c’est qu’elle ne sait plus quoi faire d’autre.

_ Les soins dépendent de ma décision ?

_ Non d’aucune sorte. J’aide simplement une vieille connaissance à établir un début de dialogue.

_ Votre objectivité est faussée.

_ La vôtre aussi. Affirma-t-elle en riant.

_ Les sorciers et sorcières des Terres Reculées sont des légendes craintes par toute la population. Et oui, j’ai surement un préjugé sur votre amie, mais les longues journées avec elle ne m’ont pas apporté une meilleure opinion de votre vie dans ces terres.

_ Ah, je pensais juste à votre objectivité faussée du fait de ma présence et de mon don.

_ Euh… oui, c’est vrai, aussi.

La jeune femme caressa du revers de sa main la pommette du blessé. Puis, elle se mit en position, sortit la pierre rouge sang pour la poser entre elle et le blesser.

_ Je dois maintenant vous soigner, le canalisateur est prêt et j’attends votre accord pour commencer le réalignement général. Je dois vous prévenir, la sensation n’est pas des plus agréable, même si votre corps est au repos. Des picotements et des fourmis dans les membres, le rétablissement n’est pas totalement immédiat vous aurez encore d’étranges sensations après. Un corps s’habitue et compense ses faiblesses, il doit réapprendre à faire avec une condition physique améliorée. Consentez-vous à ce soin ?

_ On m’a amené ici pour ça, alors faites votre … magie.

_ Très bien, à partir du moment où je toucherai le canalisateur veuillez ne pas m’interrompre, restez silencieux et patienter jusqu’à un signe de ma part. Je vous dirais simplement que j’ai fini et vous redonnerai le plein contrôle sur vous-même.

L’homme acquiesça et se pinça les lèvres comme s’il allait recevoir un choc.

La parfaite pausa ses deux paumes sur le torse du patient. Les deux coudes se placèrent de part et d’autre du canalisateur. La sorcière expira longuement, puis inspira fermement. La concentration fit luire ses yeux d’une magie bleue. Une onde sonore douce se déplaça en un va et vient lent entre la roche et la sorcière. Le canalisateur s’illumina de l’intérieur comme une lampe, projetant son rayonnement rouge dans toute la salle. Le mouvement sonore stoppa. La lumière bleue disparue des yeux de la parfaite. Cette dernière commença une lente et douce chanson, sans qu’on puisse discerner un mot. Le rayonnement de la pierre commença à varier et à s’aligner sur le rythme de la chanson. La respiration de la sorcière sonnait la cadence de la mélopée. Cette phase calme se termina dans un claquement de langue. La chanteuse enchaina alors une rafale de sons continue et intense. Pris par une transe, le rythme l’emporta et elle se mit à trembler de tout son corps. Le canalisateur entama la même vibration. Les yeux noisettes s’illuminèrent. Un flux traversa les trois participants. Et le corps du patient se raidit dans un spasme puissant. Klam ne put s’empêcher d’inspirer fortement comme s’il allait faire de l’apnée. Des décharges se déversèrent par soubresauts dans son corps. Il eut l’étrange impression qu’un courant d’eau parcourrait ses artères et veines jusqu’au bout de ses capillaires. Il pouvait sentir tout son corps qui pourtant était endormi.

Il jeta un œil à la pierre dont le rayonnement se focalisait de plus en plus sur lui. Il rougeoyait. Une impulsion émanant de la pierre frappa d’un grondement les corps et les murs de la pièce. L’homme se sentit réassembler petit à petit, comme si on ré-agençait de minuscules dodécaèdres en lui. Ce mouvement de reconstruction allait de l’extérieur vers l’intérieur. L’onde se dirigea vers les os. Ayant atteint le centre de son squelette le flux stoppa. La sorcière entama un nouveau chant, plus grave et profond, mais plus doux et lent. Sa trance se termina, mais ses iris brillaient toujours.

Le canalisateur vibra en tintant légèrement. Le corps du blessé fut parcouru d’un nouveau spasme. Et les os se mirent à réagir comme s’ils bouillonnaient d’énergie en leur centre. L’énergie se libéra d’un seul coup, comme si un milliard de fourmis voulaient sortir. Un même cycle s’opéra de réassemblage, de l’intérieur vers l’extérieur. Il parcourra l’homme avec force cette fois-ci, l’opération était bien plus profonde. Il pouvait sentir tout son corps répondre à l’appel, jusqu’à la pointe de ses cheveux. L’énergie continua à se propager, l’homme pouvait percevoir cette vague intérieure. Cette étape dura un long moment. Puis, la sorcière saisit le canalisateur et le posa sur la cage thoracique du patient. L’énergie cessa d’être émise depuis la moelle osseuse. La roche rouge sang ne vibrait plus. La parfaite jaugea l’état de conscience, puis apposa ses mains sur les tempes du citéen. Elle aspira une grande bouffée d’air et jeta son regard dans les yeux du patient. Elle déclencha une note qui monta en un puissant crescendo. Le canalisateur chargea une forte impulsion. Au plus haut du crescendo, un claquement de langue retentie. Le canalisateur impulsa un choc intense et envoya le citéen dans les limbes, sans un son ni spasme. Une goutte de sueur perla sur le front de la parfaite, qui reprenait son souffle, les yeux écarquillés par l’épuisement et la concentration. Elle se relâcha et enleva son étreinte des tempes de l’homme inconscient.

Elle récupéra son précieux canalisateur qui rayonnait encore un peu. Elle lui sourit et le rangea soigneusement. Elle retourna vers son patient toujours dans les vapes et délicatement mit sa paume sur le front de ce dernier. Elle se concentra. Un chant pareil à une comptine sortit l’homme de sa brume.

_ Le soin est à présent terminé, vous avez retrouvé l’essentiel de vos facultés. J’ai défait mon emprise et votre paralysie va s’estomper peu à peu.

_ Je me sens un peu groggy, mais je sens mes orteils et mes bouts de doigts.

_ Oui, vous récupérez. Ce fut plutôt costaud comme séance pour un humain, j’en conviens. Mais ce n’est pas tous les jours qu’on doit faire face à des strates aussi complexement touchées. Le pacte a laissé une trace impressionnante en vous, et il est difficile de faire face à pareil marque dans le flux et de revenir un état antérieur. Je ne pense pas pouvoir faire plus.

_ Bien, tant que je peux marcher ça me va.

_ J’ai fait beaucoup mieux que soigner votre genou, vous sentirez la différence, je vous l’assure.

_ Bref, si je suis remis sur pied, il va falloir retourner auprès de Oul.

_ Ne soyez pas pessimiste, elle tente de vous comprendre, essayer de faire de même.

_ Vous voulez que je lui donne une seconde chance en somme.

_ Vous n’avez pas tellement d’autre option.

_ Vous me comprenez bien, dommage que vous ne veniez pas.

_ Votre intérêt et mon rôle diffèrent, mais je suis ravie d’avoir rencontré un survivant du monolithe de la folie. Puissiez-vous à jamais oublier cette rencontre.

_ Malheureusement, je ne sais oublier, cette rencontre entre autre chose. Mais assez parler de mes souvenirs. Il me tarde de me lever et de marcher.

_ Allez-y doucement Klam.

Le citéen posa les pieds sur le sol et poussa sur ses genoux, il claudiqua sur trois pas et retrouva son équilibre. Les sensations étaient à la fois bonnes et bizarres. Guérit, mais étonnamment agile. Il esquissa un petit sourire satisfait.