Prologue
23 septembre 2022 - 00h45
Lieu non identifié
Encore un peu plus de deux cent cinquante mètres et tout serait presque terminé.
Le temps semblait infini depuis qu’il avait pris place derrière le volant de cette vieille mercedes grise des années 90, polluante et toute dégueulasse. Encore plus depuis qu’il avait pénétré dans le bois. Un véritable calvaire dont il ne voyait pas le bout. Deux heures à peine sur le cadran de sa montre.
Un moment d’hésitation l’avait saisi à la gorge. Il avait failli renoncer à cette mission, quitte à devoir se cacher des semaines dans un trou à rat. Ses démons l’avaient aisément convaincu de franchir le pas et de mettre le contact.
Un trajet précis avait été renseigné sur un papier A4, sous le siège passager. Précis… plutôt de brèves indications en chaîne. « A86 - sortie 26 », « phares éteints après le panneau », un charabia incompréhensible pour la plupart des gens. L’enveloppe contenait aussi la carte d’un bois et une clef. L’individu avait étudié le plan. Le passe-partout n’avait pas eu la moindre faveur. Moins il en saurait, mieux il se porterait.
Bonnet sur la tête, capuche par dessus, il s’équipa de gants en cuir. Il avait vu cette technique dans les séries américaines qu’il consommait en masse depuis son licenciement au printemps. Impossible d’être repéré ou que l’une de ses empreintes soit découverte.
Le trait au marqueur rouge s’était très vite écarté des sentiers balisés pour s’enfoncer dans les profondeurs, bien au-delà des taillis arpentés par les hommes les plus aventureux. Les difficultés ne s’étaient pas faites attendre.
La nuit, la sylve d’une beauté si verdoyante laissait place à un enfer végétal parsemé d’embûches. Impossible de progresser pour un profane en ces lieux. La lune s’était abritée derrière d’épais cumulus congestus, comme pour ne pas être témoin des méfaits commis sous son oeil bienveillant. Après une deuxième chute, l’homme décida d’utiliser sa lampe en continu. Tant pis pour la discrétion.
Un lourd objet fut traîné sur une bonne dizaine de mètres avant un nouvel arrêt. Exténué, il posa les mains sur ses hanches et prit plusieurs grandes inspirations qu’il expira lentement. Il observa la condensation s’élevait dans les airs et disparaître l’infinité de l’espace. Ses muscles commençaient à atteindre leurs limites. Avec son mètre soixante et onze, il n’était pas taillé pour trimballer un tel poids.
Tu déconnes trop, mon gars. Ce merdier va t’éclater à la tronche, tu le sais.
Il se claqua avec vigueur le visage à trois reprises.
Mais rien à y faire. Du dégoût, c’est ce qu’il éprouvait envers lui-même.
Il s’était promis de ne plus remettre le doigt dans l’engrenage. La chance lui avait toujours souri dans ses sombres aventures. Rompre tout lien avec ce monde véreux. Partir loin et mener une vie paisible. L'opportunité s’était présentée à maintes reprises… Mais l’odeur de l’argent avait été plus fort. Sa dépendance aux substances en tout genre aussi.
Ce soir, il avait franchi un nouveau cap sur l’échelle de l’impardonnable. Comment pourrait-il se regarder dans un miroir à l’avenir ? Il n’avait pas la réponse et peu importait au fond. Pactiser avec le diable n’offrait pas la possibilité de se dédouaner et de soulager sa conscience.
L’homme se redressa, fit quelques étirements et empoigna avec vigueur la manette latérale de la malle. Il poursuivit son chemin jusqu’à atteindre un tronc plus large que les autres. Le papier mentionnait un « gros arbre immanquable ». Effectivement, deux fois sa propre largeur. Il lut la ligne suivante : pivoter à angle droit sur la gauche et avancer jusqu’au lieu de rendez-vous.
Un craquement de branche.
L’individu fit volte-face. Son coeur s’accéléra en une fraction de seconde, ses muscles se crispèrent. Il pointa sa lampe torche droit devant lui, prêt à bondir. Le faible rayon balaya l’horizon à plusieurs reprises. Droite, gauche. Haut, bas. Il tourna sur lui-même, l’oreille tendue, le poing serré.
Rien.
Flippe pas, c’est pas toi ça…
Si, cette réaction lui ressemblait comme deux gouttes d’eau. Ses mains tremblaient, un mouvement incontrôlable. Peur, crainte, stress… un cumul, peut-être. Tout le rongeait de l’intérieur sans qu’il ne puisse contrecarrer le flux d’émotions l’envahissant. Il aurait aimé être plus courageux, recourir aux menaces d’une voix grave à la moindre nécessité. Il n’était simplement pas ce genre de gars. Un simple exécutant, tout au plus. La vie le lui rappelait encore une fois.
Tu es dans un bois, il fait nuit… Ce genre de bruits chelou, c’est classique. Reste concentré et finis ce putain de job.
À deux mètres de lui, la cause de ses péripéties : une vieille malle en fer cadenassée. À l’aide de son crayon lumineux, il l’observa sous tous les angles. Un mètre quatre-vingt par quarante-cinq centimètres, taille peu commune. Le temps avait tenté d’oxyder le métal, mais la rouille n’avait pas réussi à grignoter sa proie. Les angles et la poignée étaient renforcés par des morceaux de cuire fixés avec des clous. Les charnières étaient parfaitement entretenues. Ici et là, quelques rayures et des tâches séchées que l’homme n’essaya pas d’identifier.
Combien de générations avait-elle traversées ? Trop pour que son histoire ne puisse t’être contée. Il aurait pu s’imaginer bien des récits, mais son esprit restait fixé sur une seule véritable question : que pouvait-elle bien renfermer pour être transportée à l’abri des regards indiscrets et ensevelie sous plusieurs mètres de terre ? Jusque-là, Simon avait réussi à détourner son attention. Mais à présent…
Les consignes étaient claires à ce sujet. Interdiction totale d’ouvrir le coffre sous peine de sanction. Mais la nature humaine était ainsi faite. Tourner le dos à la tranquillité pour braver les interdits et satisfaire une curiosité souvent mal venue. Il tâta sa poche et sentit le petit objet en fer contre la pulpe de ses doigts.
Et si le contenu lui permettait de tout plaquer ? Recommencer une nouvelle vie le plus loin possible, à l’étranger si possible. Les plages des Bahamas, les côtes sauvages du Sri Lanka. Un quotidien sans aucun soucis, tous ses besoins comblés et surtout… Devenir quelqu’un aux yeux des autres. Son poitrail se gonfla d’orgueil, un sourit au coin des lèvres. Cette pensée le convainquit d’agir.
Il s’approcha du coffre et saisit le cadenas, prêt à tout risquer.
Un hululement le fit sursauter. Il laissa un petit cri s’échapper. Des battements d’ailes détournèrent son attention un bref instant. Assez pour ne pas entendre la médiocre sonnerie de son téléphone portable répéter en boucle les quatre mêmes notes depuis plus d’une dizaine de secondes.
Cet endroit était vraiment… Sa résolution fut instantanée : accélérer le pas et déguerpir au plus vite.
Poignée dans la main, l’homme sollicita ses dernières forces. Chaque pas requérait un effort insoutenable pour tout son frêle corps. La douleur le mordait des doigts aux épaules. Le feu lançait ses cuisses à la moindre contraction. La fraîcheur lui transperçait les poumons à chaque nouvelle inspiration.
Mon dieu, c’est pire qu’un cadavre ! Ou… des lingots d’or.
Le repère rétro réfléchissant était en vue. Encore quelques dizaines de mètres et le tour serait joué. Il poussa un peu plus fort sur ses jambes. La sueur dégoulinait le long de son visage. Il ouvrit la veste et attrapa le bas de son tee-shirt plein de terre. Le tissu épongea son front et ses joues dans une tâche grandissante.
Fixé sur son objectif, poussant quelques grognements pour puiser au fond de lui-même, Simon n’entendit pas les faibles craquements de branches dans l’ombre. Une âme noire à l’affût de la moindre opportunité pour passer à l’acte.
La distance comblée, le gringalet s’écroula sur le sol, la malle à ses pieds. Il touchait au but et bientôt, cet endroit maudit ne serait qu’un vague souvenir. La torche dans la main, il pointa en direction du tas de terre accumulé. L’homme s’approcha avec de petits pas au bord et risqua un rapide coup d’oeil pour découvrir avec stupéfaction le trou creusé.
Le faisceau circula lentement, d’une paroi à l’autre. Le trou était complètement vide.
Au moins cinq à six mètres, ils sont tarés ! Un si grand espace pour cette malle…
Simon plongea sa main dans la poche et ressortit la clef. Après tout, il ne faisait de mal à personne.
À genou devant la grande boîte en fer, il insérera la tige dans le barillet. Les goupilles et contre goupilles se mirent en ordre de marche à chaque nouveau cran. Au bout, il effectua un quart de tour et le déclic providentiel libéra l’anse de sa prison d’acier.
Simon sentit comme un poids en moins sur ses épaules. Un frisson lui parcourut le dos, mélange d’excitation et d’adrénaline filant dans ses veines à toute vitesse. Une sensation qui lui procurait un plaisir inégalable.
Le feuillage s’agita dans son dos. Sueurs froides immédiates.
Cette fois-ci, aucun doute : il n’était pas seul. Il sortit de sa poche un petit canif et déplia la lame qu’il mit bien en évidence. Une maigre protection qu’il le remobilisa autant que peut se faire. Il progressa avec vigilance, à pas de loup, veillant à ne pas se faire surprendre. La menace pouvait subir de toutes parts et le prendre par défaut. Sa lampe slalomait entre les branches peu à peu dénudées par l’arrivée de l’automne.
Il vérifia la zone sur une vingtaine de mètres dans toutes les directions avant de rebrousser chemin.
Trop de stress, mon pote.
Un nouveau bruit. Bien plus près cette fois. Une vibration dans sa poche et une mélodie répétitive. Sur l’écran, un prénom qu’il redoutait : Anita, sa femme. Il déposa son couteau de poche sur la malle et décrocha :
- Qu’est-ce que tu fous encore, Simon ? Tu es avec les autres débiles, en train de te bourrer la gueule ? Tes acolytes ou je ne sais qui d’autres !
- Non, non…
- Il est plus d’une heure du matin ! Une autre femme… Tu me trompes, connard !
- Mais non, je…
Une douleur lui foudroya l’épaule droite. Un hurlement s’évanouit dans le bois. Les nerfs diffusèrent le message dans tout son bras, l’obligeant à lâcher son mobile qui s’écrasa dans un bruit sourd sur un matelas de feuilles jaunies et de mousse.
La main s’était crochée telles les serres d’un rapace sur sa proie. L’annulaire pressa un peu plus le point sensible, figeant sur le visage de Simon une expression d’intense souffrance. Il tenta d’attraper le poignet de son assaillant, mais fut agenouillé d’un coup de pied fulgurant dans le genou.
Son instinct de survie lui ordonna de se relever et de faire face. L’agresseur recula d’un pas, amusé de la résistance offerte par le brave Simon. Un premier coup de poing partit, aisément esquivé. Le deuxième fut paré et le dernier n’atteignit pas sa cible non plus.
Reprends un peu de distance et trouve de quoi te défendre.
Son regard s’agita dans tous les sens. Il avait besoin de son opinel pour porter un coup à son agresseur et s’enfuir. La malle, où était cette fichue malle ? Il l’avait déposé dessus pour répondre à sa femme. Trois mètres derrière lui, tout au plus. Il fit un pas en arrière pour se rapprocher de son objectif et chercha de la main sans quitter du regard la présence dissimulée dans l’ombre.
- Espérais-tu trouver cette jolie chose ?
L’inconnu fit tourner l’objet entre ses doigts avant de le jeter, la lame plantée dans le sol. D’un bond désespéré, Simon voulut se jeter dessus, mais sa hanche fut percutée par le genou de l’intrus. Il se tordit de douleur et reprit à nouveau ses distances.
- Pour une fois que tu fais preuve de courage.
De plus près, la voix le décontenança. Il la connaissait sans parvenir à mettre un nom dessus. Sa garde baissée, l’ombre se faufila au plus près de sa cible, révélant son identité.
- T… toi ?
- Tu n’aurais pas dû enfreindre les règles, Simon.
Les mains de l’inconnu se déposèrent avec délicatesse sur le cou de l’homme. Ses pouces verrouillaient l’étreinte mortelle. Dans ses yeux, un semblant de compassion. Il détestait cette partie du travail, mais la faim justifiait les moyens dans ce milieu. Le téléphone continuait de transmettre les cris de rage d’une femme. Deux coups de botte mirent fin à ce premier spectacle.
Simon aurait aimé souffler un dernier mot d’amour à l’oreille d’Anita, confesser à quel point il regrettait ces années de galère…
Un craquement.
Son corps s’écroula l’instant d’après.
Un léger vent serpentait entre les troncs, la lune continuait de se cacher. Le silence retomba sur le bois. Un calme d’une rareté significative. La mort avait frappé, encore. D’aucuns n’auraient voulu s’attarder face à cet individu sans foi ni loi.
Le tueur s’approcha de la malle et ôta le cadenas. Un léger grincement accompagna l’ouverture du battant métallique. L’objet convoité était là, sous ses yeux émerveillés. Sa main plongea avec méthode dans le contenant pour l’extirper avec souplesse. Morceau de tissu en guise de protection, il rangea avec précaution la chose dans son sac à dos.
Quelques photos pour se prémunir de toute action à son égard, et le cadenas scella de nouveaux des secrets inavouables.
Dans un sachet, le portable de Simon et la clef de la malle. Le temps d’identifier ce vaut rien, tout ce petit business serait achevé. La probabilité d’être un jour inquiété était quasi nulle et quand bien même, tout avait déjà été planifié.
Mais… prudence était mère de sûreté.
Le trou accueillit comme prévu l’imposante malle qui renvoya un éco grave lorsqu’elle s’écrasa en contrebas. La dépouille de Simon l’y rejoignit sans le moindre regret. Toute trace était une piste éventuelle et un grain de sable dans le rouage de ce plan parfaitement pensé. À coups de botte, tout fut recouvert en moins de cinq minutes. Un travail mené à son terme en moins de temps que nécessaire.
L’ombre s’enfonça dans la sylve sans attendre et disparut dans les ténèbres aussi simplement qu’elle était apparue, un objet d’une grande valeur en sa possession.
Le détonateur d’une bombe sans nul précédent.
Annotations