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25 septembre 2022 – 12h00
Paris - Brigade criminelle
Les petites fourmis s’étaient activées toute la matinée pour faire avancer ce vrai sac de nœuds en cascade, labyrinthe neuronale ne débouchant que sur de maigres pistes exploitables. Mettre une véritable identité sur « Chiquito », retrouver le propriétaire de la maison pour l’interroger, attendre le retour des différentes expertises demandées. Un programme digne d’un chemin de croix, semé d’embuches dissimulées et prêtes à sévir. Un dimanche dans la grisaille, loin des siens.
Alors qu’Olivio finalisait les procès-verbaux de la veille pour mettre d’équerre la procédure, Edouard pianotait sur son clavier sans but précis, perdu sur l’orientation à donner à l’enquête. Les éléments affichés au tableau s’entrechoquaient dans sa tête sans que les contours du puzzle ne se révèlent.
Un bref échange avec le commissaire et les deux hommes étaient parvenus à la même conclusion : Gaëtan Mangesa n’avait pas tué la victime. Manque évident d’un esprit malsain, trop facilement ébranlé dès lors qu’il avait été un peu secoué ou raccroché à la réalité des faits. Il n’avait tout simplement pas la carrure d’un meurtrier.
Retour à la case départ, ou presque.
Comme le lui avait si bien appris Bauroix, Edouard décida de se recentrer sur la scène de crime. Que pouvait-elle bien encore cacher ? L’identité judiciaire avait beau eut ratisser les lieux des heures durant, un élément déclencheur restait dans l’ombre du dossier, insaisissable. Clichés sous les yeux, PV de constatations dans les mains, le lieutenant parcourut chaque ligne en y apportant un regard éclairé par leurs avancées, aussi petites soient-elles.
Le propriétaire de la maison, Dylan Lombare, 45 ans, comptable « à ses heures perdues », selon son profil Facebook, dans une petite boite de composants électroniques, n’était pas joignable sur son téléphone portable. Le bon père de famille avait sans doute pris quelques jours de congés pour mettre sa troupe au vert. Une autre adresse enregistrée dans l’Yonne, près d’Auxerre. Trop loin pour y faire un saut aujourd’hui.
Edouard nota une première volée de questions sur son calepin, obnubilé par la maison abandonnée de Ville-d’Avray. Résidence principale ou acquisition à retaper ? Implication directe ou effraction des lieux ? Bien que la maison présente une façade agréable dans un cadre bucolique, photo parfaite pour un magasine d’agence immobilière, le lieutenant ne voyait pas une famille de quatre personnes loger entre ces murs.
Dans quel pétrin cet homme s’était-il mis ? Un corps, un suspect presque innocenté présentant un lien avec la personne décédée, la découverte d’un dealer connu et de la drogue à tout va. Pour relier Dylane Lombare à ce faisceaux, il ne voyait qu’une seule option : des dettes à éponger. Peut-être un parieur compulsif qu’il n’aurait pas réussi à rester du bon côté de la ligne. Les hypothèses entourant cet individu ne pourraient que se multiplier dans les heures à venir.
- Ed’, pause kebab chez Ali ? lança Olivio, penché en arrière sur sa chaise, les mains sur le ventre et la mine armée d’un sourire débordant de sous-entendus.
- Vendu. Je n’arrive plus à carburer.
Lotta verrouillait déjà son ordinateur, veste à moitié enfilée, prête à dévorer tout ce qui lui tomberait sous la main dans l’heure suivante.
Installés sur une table premier prix, les fesses calées sur des chaises sur le point de céder, épuisées par le temps et rongé par la rouille, Edouard observa son coéquipier croquer à pleine dents son sandwich XXL et presque avaler le morceau dans la foulé sans prendre le temps de savourer. A l’opposé, Lotta apparaissait un peu méticuleuse, l’art de la mastication n’ayant plus un secret pour elle. Un tableau original dans lequel ne manquait plus que Bauroix et ses anecdotes venues d’ailleurs.
Le soleil pointait ses rayons, dardant de sa chaleur de rares espaces où s’accumulait instantanément les passants en quête d’un peu de lumière dans leur journée, dans leur vie. Cette luminosité inespérée, le trio aurait aimé l’avoir sur leur affaire, comme une indication divine pour les orienter dans la bonne direction au milieu d’un océan d’informations dont la cohérence les fuyait.
Lotta détailla dans un français saccadé le contraste de son pays d’origine. Les villes de moyenne et grande tailles, actives, sujet d’une criminalité diversifiée et pleine croissance, et la campagne, paisible, où chacun y coulait des jours heureux, loin de l’agitation urbaine. Durant toute son enfance, sa grand-mère, Yola, lui avait enseigné l’art d’une vie simple, mais pleine de richesses. Des anecdotes dans les champs et forêts environnantes, elle en regorgeait.
Olivio s’était calé contre un muret et écoutait le récit de sa collègue avec une attention particulière. Lui n’avait que peu voyageait dans les pays du nord, plutôt adepte de la chaleur et du bronzage à peaufiner l’été. Il rêvait pourtant de partir à l’aventure et de traverser la Scandinavie d’Est en Ouest. Absorbé par les paroles de Lotta, il ne vit pas la sauce blanche fuiter du pain. La flic éclata de rire lorsque le filet s’écrasa sur le pantalon d’Olivio, impact digne d’une fiente de pigeon livrée en plein vol.
- Comment dit-on chez vous ? Tu es un cochon ? Chez nous, tu entendrais l’entourage te qualifier de svin.
- Tu peux passer directement à l’étape suivante. C’est un porc, il en met partout à chaque fois, sourit Edouard.
Olivio attrapa une serviette et tenta d’atténuer la tache sur son jean, sans parvenir à effacer toute la trace. Le surplus d’eau n’eut pas plus de succès. Le téléphone de Levalet libéra sa traditionnelle mélodie, un chant salvateur pour Da Costa qui profita de l’interruption pour esquiver les moqueries.
- Edouard Levalet, j’écoute.
- Bonjour, Chardu à l’appareil. Vos rapports de toxicologies sont en cours de rédaction, mais je tenais à vous informer par moi-même des résultats. Vous avez de quoi noter ?
- Une seconde, je vous prie.
Le lieutenant s’isola un instant, carnet à la main et stylo prêt à transcrire les nouvelles. Il était assez rare que les experts du laboratoire contactent directement les équipes, à moins d’avoir besoin d’une précision pour affiner le besoin et terminer l’analyse. Cette fois-ci, il s’agissait d’un message urgent. Le visage fermé du lieutenant ne laissa aucun doute à ses deux coéquipiers qui stoppèrent toute activité.
Edouard hocha de la tête une énième fois, remercia son interlocuteur de l’avoir prévenu aussi rapidement et raccrocha. Le pas pressé, il n’ouvrit pas le dialogue et se montra directif.
- La récréation est terminée, on a du nouveau.
Le chef-adjoint Rudolph Chardu avait fait le déplacement. Son visage traduisait un trouble inhabituel, une expression qu’il ne revêtait que dans les instants où il se sentait face une situation totalement inédite. Edouard Levalet ne bénéficiait pas du même lien avec cet homme que Bauroix, mais il n’était pas nécessaire de connaître sur le bout des doigts le technicien pour comprendre qu’un loup se cachait dans le feuillet qu’il tenait à la main.
Chacun des officiers prit place dans son bureau. L’auditoire se focalisa sur les lèvres du scientifique qui, d’un regard se perdant au-delà du trio, laissa paraître sa déception de ne pas compter parmi l’assemblée le capitaine Bauroix.
- Bien, commençons. Vous avez ici le rapport sur la substance retrouvée sur la scène de crime. Du chlorhydrate de cocaïne tout ce qu’il y a de plus banal. Mais nous avons trouvé aussi d’autres composantes pour le moins surprenantes.
L’homme accrochage l’image d’un végétal à tête rouge parsemé de points blancs.
- Vous nous emmenez faire une découverte bucolique ? ironisa Olivio. Ou bien nous sommes peut-être de petites créatures bleues avec un chapeau blanc.
- Toujours aussi perspicace. Amanita muscaria, appelé plus communément l'Amanite tue-mouches ou fausse oronge. C’est un champignon toxique, mais surtout un psychotrope. Un hallucinogène comme il en existe d’autres dans la nature, assez commun à trouver.
- Ils sont listés, si je ne me trompe pas.
- Parfaitement, Edouard. Depuis 1990, nos petits champignons magiques sont considérés comme des stupéfiants, et donc soumis aux dispositions du code pénal. Ce qui m’alerte ici, c’est que nous avons un mixte inédit. Certes, il y a eu des tentatives par le passé, rapidement abandonnées. Si un petit malin a eu l’idée de regrouper deux substances de cette nature, d’industrialiser la production, nous pourrions avoir une démultiplication dans les semaines à venir. Et la situation s’emballerait, à n’en pas douter, devant incontrôlable en un claquement de doigts.
Rudolph but une gorgée de son café. Il le trouvait toujours aussi infecte. À croire que le lieutenant n’avait jamais eu les papilles en ébullition après la dégustation d’un brésilien ou d’un colombien. Il reposa le gobelet, le visage aussi impassible que possible, et poursuivit.
- Pour le sachet découvert sur le lieu de travail de la victime, même schéma. Cristaux de méthamphétamine croisé avec un Psilocybe, mais nous n’avons pas encore l’espèce précise. Un cocktail explosif qui pourrait nous amener une vague inédite de mortalité, précisa le technicien inquiet.
- Le rapport de toxicologie nous permettra de savoir si Jordan Belcourt était consommateur ou un rouage du trafic. Vous pouvez le prioriser ? tenta le lieutenant Levalet.
- Non, nous sommes déjà à flux tendu.
La réponse était attendue, la déception n’en fut pas atténuée. Lotta profita du flottement pour tirer un premier fil.
- Comment opèrent-t-ils ? lança Lotta, soucieuse de trouver une piste à explorer. Je veux dire, la création de ce genre de drogue nécessite un minimum de logistique. Elle a un véritable coût, avant d’apporter des bénéfices, non ?
- Il faut un lieu isolé des regards pour le labo, enchérit Olivio, qui reste assez proche de la zone d’influence, pour alimenter les relais locaux dans un délai court.
- Et tout ce que vous soulevez génère des flux monétaires. Excellent, il faut creuser dans cette direction et trouver toute opération suspecte, sur l’ensemble des comptes de l’entourage direct et indirect de notre victime et de notre suspect.
- Je m’y colle, précisa Olivio en attrapant sa souris et réactivant ses écrans.
La machine se relança d’elle-même, comme si elle ne s’était jamais arrêtée. Une simple pièce pour relancer un tour. Edouard adressa un signe de tête au chef adjoint en guise de remerciement avant qu’il ne quitte la pièce.
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