18
Mais… quelle heure est-il ?
Rien de ce qu’elle vivait ne pouvait être réel. Elle était dans un décors fictif, les caméras étaient bien cachées, mais elle finirait par les découvrir. Elle en était convaincue.
Et pourtant, lorsque ses yeux s’ouvrirent, tout était encore là.
Lunettes sur le bout du nez, Tamara les aperçut à moins d’un mètre d’elle, à l’endroit où elle les avait entreposés une fois la lumière chassée. La photo et le carnet. Elle saisit le cliché qu’elle avait glissé entre la couverture et la première page. Un regard aussi rapide que possible pour ne pas que les émotions s’emparent encore de tout son être. Assez long pour se redonner une pointe du courage qui la fuyait.
Les deux chaînes qui l’avaient maintenue n’était plus que de courtes cascades de fer prenant source dans le mur et se déversant sans toucher le sol, stoppées à quelques centimètres de la terre ferme. Une première sensation de liberté que Tamara prit le temps de savourer.
La tête relevée, la jeune femme découvrit une nouveauté de sa geôle. Face à elle, un bureau et une chaise en bois. Quand étaient-ils arrivés ici ? Ses souvenirs lui jouaient-ils déjà de mauvais tours ? Son sommeil avait dû atteindre des méandres insoupçonnés pour qu’elle n’entendent pas le grincement strident des gongs de la porte s’ouvrir.
Tamara se mit debout, péniblement. Son corps lui répondait avec un ensemble de tensions et de courbatures qu’elle aurait du mal à évacuer. Le confort cinq étoiles de sa vie troqué contre le caractère rudimentaire de cette petite pièce au milieu de nul part. De quoi faire rêver.
Sur la planche de bois, un tas de feuilles blanches ordonnées et un stylo à l’encre noire. Attenant, un petit carton plié invita la prisonnière à se rapprocher. Certaines lettres acceptaient de montrer leurs courbes, d’autres préserver un anonymat passager, poussant Tamara dans les retranchements de sa curiosité.
Elle céda. Entre ses doigts, la missive délivra son flot de consignes en quelques mots. Des ordres d’une froideur inhumaine :
Retrouve les informations. Traduis-les.
Pose les feuilles au bas de la porte avant que la lumière décline.
Ton travail te permettra de te sustenter.
Aucun écart ne sera toléré, aucune tromperie ne sera acceptée.
Mets-toi au boulot.
Tamara reporta immédiatement son attention sur le carnet, inerte sur la pierre. Cet objet était la clef de sa survie. Et à bien tendre l’oreille, elle crut percevoir les notes de son chant ensorcelant l’appeler. Un chuchotement malsain avec pour unique objectif de dévoiler des secrets jusque-là conservés d’une main de maître.
- Si elle pense que je vais lui obéir, elle n’a qu’à aller au diable, se rebella la jeune femme les poings serrés.
Séquestrée certes, mais elle ne serait pas soumise. Elle ferait respecter son nouveau slogan, peu importait les conséquences. Le carnet en main, elle le lança sur la table et retourna s’allonger sur son matelas. L’instant d’après, son estomac entra dans la danse, libérant une suite de gargouillements sans précédent.
La lutte ne dura que l’espace d’un soupire.
Assise face au bureau, elle organisa son espace de travail pour capter du mieux possible la lumière dans son dos. Stylo dans la main, elle fit rouler la bille sur le papier pour tester sa fluidité. Pas le top du marché, mais elle pourrait s’en contenter.
Un soupire de plus et elle résolut à plonger dans les pages du carnet.
Le contact avec la couverture, sa couleur marron-foncée, ses dimensions un peu particulières… tout cet ensemble de détails lui évoqua une bride de souvenir. Un flash incomplet d’une scène qu’elle avait vécu dans son enfance. Ne l’avait-elle pas déjà vu ? Peut-être avait-elle même écrit dedans.
Une pointe d’appréhension se glissa dans son esprit. Un léger tremblement de la main, à peine perceptible, mais le stylo vacillait entre les doigts qui l’encadraient. Elle devait se reprendre, il était trop tard pour faire marche arrière.
- Ça n’est qu’un carnet, rien de plus. Du papier et de l’encre. Il ne va rien t’arriver de spécial, tu ne vas pas mourir. Arrête d’être aussi trouillarde !
La couverture pivota. La première page était vierge. La suivante aussi.
Tamara fronça les sourcils, énervée d’avoir été prise pour une idiote. Encore un de ces tests psychologiques à la con qu’elle avait adoré faire pendant son adolescence, mais qui la répugner à présent. Vexée, elle prit une profonde inspiration et se leva pour s’exiler quatre mètre plus loin.
Le déclic fut aussi percutant qu’un éclair.
Cette odeur, elle la connaissait, elle en était certaine. Elle claqua des doigts, comme pour réactiver sa mémoire et finit par obtenir satisfaction. Son père l’utilisait régulièrement dans son bureau. Du moins, le produit déversait par sa plume avait ce parfum de fleur. Le temps avait simplement balayé la majorité des molécules odorantes.
Au plus profond de son âme, elle sut la démarche à suivre pour faire réapparaitre le texte caché à la vue de tous. Il lui avait montré son astuce et elle s’était évertuée à l’apprendre par cœur pour le reproduire sur son propre journal de princesse.
Le souvenir lui arracha un sourire qu’elle conserva autant qu’elle le put.
Une source de chaleur. Il lui fallait un endroit pour faire chauffer les pages du carnet. Elle n’aurait pas su l’expliquer, mais son instinct lui intimait de procéder ainsi. Un tour sur elle-même pour prendre en compte toutes les options que son environnement lui offrait. Maigre liste qui ne se composa que de la lampe accrochée au-dessus de la porte.
Elle ne pouvait pas se séparer de ce point d’espoir qui illuminait son espace de quatre mètres par trois. Elle s’y refusait. Tout sauf replongeait dans le noir total. Ses nerfs étaient mis une fois de plus à l’épreuve. Un choix entre un semblant de vie pour quelques heures ou une illusion de survie dont elle ne saurait évaluer les véritables chances.
La chaise calée contre la porte, Tamara se hissa pour dessus pour atteindre son unique source de lumière. Le stylo à la main, elle s’approcha de l’ampoule. Elle se savait prise au piège, incapable de résister à la fatalité. La pointe au contact du verre, elle eut un moment d’hésitation. Un de plus. Franchir ce cap apparaissait comme un gouffre sans fond à traverser sans aucun moyen.
Le premier coup fut trop léger pour avoir un quelconque effet. Elle augmenta la force, mais veilla à ne pas s’emporter au risque de détruire complétement l’ampoule. Ce scénario ne devait jamais se produire, sinon elle était faite comme un rat.
Chaque tintement lui renvoyait un écho agressif, une menace de céder de toute part à n’importe quel moment. La tension montait, elle pouvait le ressentir jusque dans ses tempes battant à vive allure. La première fissure la crispa. Elle n’était plus très loin du but, mais si proche de tout perdre à la fois.
Nouveau craquement.
Front en sueur, mains moites, boule dans la gorge. La totale. Le coup avait été trop fort, elle en était persuadée ! Mais la coquille de verre ne s’effrita que partiellement. Un trou suffisamment grand pour que la chaleur du filament se propage. Elle avait réussi son coup.
Le carnet à la portée de main, Tamara rapprocha la première page de l’ampoule et attendit patiemment les premiers changements. Elle n’aurait pu dire combien de temps s’était écoulé, quelques secondes ou bien plusieurs minutes.
La lumière bourdonna. La rougeur du filament semblait s’estomper. Casser le verre protecteur n’était sûrement pas la meilleure idée, mais la jeune femme se convainquit qu’elle n’avait pas eu d’autre solution pour accéder à la source de chaleur la plus puissante disponible.
- Aller, plus vite ! s’impatienta-t-elle.
Alors que le doute s’insinuait, que la lumière présentait des signes de faiblesse un peu plus inquiétant, la page jaunie dévoila son premier caractère. Puis tout une série s’esquissa dans les secondes suivantes. La joie s’empara de Tamara qui sautilla sur sa chaise.
Elle se précipita vers la table et nota machinalement les premiers symboles sur un papier. Leur signification lui sauta au visage. Elle n’en croyait pas ses yeux. Ce jeu avec son père si ancien, qu’elle ne pensait plus jamais réutiliser, remontait à la surface sans effort.
L’ampoule grésilla un peu plus fort, un avertissement à ne pas prendre à la légère. Le temps était compté avant que la pleine obscurité ne s’impose à nouveau.
Tamara accéléra la cadence, griffonnant un maximum de symboles. La traduction pourrait attendre que son geôlier vienne s’enquérir de la situation et qu’elle puisse réclamer le nécessaire pour mener à bien son mission forcée. Ils dépendaient l’un de l’autre et la jeune femme comptait en tirait un avantage.
La lueur continua sa décadence et n’accorda pas plus de temps à son hôte.
Sur la feuille que Tamara avait à peine eu le temps de déposer devant la porte, un seul mot.
Valentin.
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