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26 septembre 2022 – 9h45

Paris

Le groupe de Levalet était sur le qui-vive depuis une heure pour éplucher les fadettes de la victime et du premier suspect. La réquisition avait mis du temps à sortir des bureaux du procureur, noyé par les dossiers qui se démultipliaient, mais la réaction des opérateurs avait compensé la perte de temps. L’heure était au surlignage et aux coups de téléphone.

Lotta et Edouard avaient plié bagage après la mise en propre du procès-verbal de l’audition de Chiquito et un point furtif avec le substitut de permanence. La mesure de garde à vue serait prolongée, mais le magistrat avait insisté sur la nécessité de trouver du concret pour maintenir le cadre de la flagrance.

La nuit précédente avait été courte, il n’était pas envisageable de cumuler les heures de sommeil perdues et de flirter avec la fatigue dès le début de l’enquête.

Olivio était présent, moins agité qu’à son habitude. Le plomb s’était logé « dans le gras », comme le lui avait précisé l’urgentiste, sans toucher d’organe. Un coup de scalpel, la pince pour saisir l’ogive, quelques points de sutures et une dose d’antalgique de type paracétamol. La machine de guerre s’était dite prête à reprendre du service lorsque Edouard avait pris de ses nouvelles.

D’autres pistes restaient à exploiter. Le véhicule repéré dont ils possédaient une partie de la plaque d’immatriculation. Le contenu de l’appartement de la victime et notamment l’ordinateur et les post-it. Le papier avec un logo retrouvé sur la scène de crime. Tant d’éléments en suspens qui ne trouverait de réponse qu’avec le temps et l’énergie décroissante du trio de flics.

L’absence de Bauroix se faisait ressentir. Outre le fait de réduire la bande passante pour élaguer la longue liste de questions qui s’allongeait indéniablement sur le tableau, c’est son expérience qui manquait cruellement à l’équipe pour prioriser la quantité d’informations leur tombant dessus. Avec toute la bonne volonté du monde, une technique irréprochable, les années de terrain du capitaine ne pouvait trouver d’équivalent. Aurait-il priorisé une seule piste en y jetant toutes ses forces ou bien affecté à chacun une mission pour couvrir plus de terrain en un délai réduit ?

Edouard rumina intérieurement, pressa pour la quatrième fois la touche appel et obtint le même résultat : la boite vocale sans sonnerie préalable. Et puis merde ! Fais la gueule, si tu veux.

- Ok, on fait un point et on met à jour le tableau, ordonna Edouard en tapant dans ses mains. Les relevés de la victime ?

- Sur les trois derniers jours, plusieurs numéros reviennent en boucle. Le premier attrait à son travail, une entreprise en attente d’un projet qui tardait à arriver. Le gars râlait, mais rien de significatif et un alibi indéboulonnable, précisa Olivio. J’ai deux autres numéros, sans identification possible puisqu’il s’agit de prépayé. Adieu le contenu des échanges. Malgré la réglementation en place, les moyens de contournement restent la norme. L’un des deux a borné proche de Ville-d’Avray la journée du meurtre.

Le lieutenant inscrivit les deux suites de chiffres sur le tableau en mentionnant qu’ils ne pourraient pas remonter plus loin à date. Avec un peu de malchance, l’utilisateur aurait brisé le téléphone et coupé la carte SIM, le tout reposant au fond d’un cours d’eau.

- Sait-on où Belcourt se situait au moment de son agression ?

- Chez lui, dit Lotta. Il n’a pas bougé de la journée selon les données qui nous ont été transmises. Soit il était déjà neutralisé, soit il connaissait suffisamment la personne qui s’est présenté sur le pas de sa porte pour lui ouvrir son domicile.

- Qu’est-ce qui te fait penser à ça ?

- Il n’y avait pas de traces d’effraction sur la porte.

- La porte aurait pu être mal enclenchée et l’assaillant a pu s’infiltrer.

- Il n’y avait pas de trace de lutte ou de violence dans l’appartement. Personne n’accueille un inconnu dans lieu de vie en baissant la garde.

- Et que fais-tu de la surprise ?

- Une seule pièce, en dehors de la chambre et de la toute petite salle d’eau. Le moindre bruit s’entendrait sur plusieurs étages. Je ne crois pas à l’hypothèse d’une introduction à l’insu de la victime.

La démonstration de Lotta avait convaincu Edouard. Il ajusta les données avec le feutre noir et recula pour reprendre une vue d’ensemble. Les correspondances de Gaëtan Mangesa n’avaient pas mis en évidence un lien avec l’un des numéros présents dans le relevé téléphonique de Jordan Belcourt, hors mis les leurs.

- Et concernant l’identité que nous a livrée le second suspect, a-t-on pu avancer dessus ?

- Pas de mon côté, avoua Olivio.

- Moi non plus, conclut Lotta.

Le téléphone du lieutenant Levalet vibra. Bauroix. Un message et non un appel, bien sûr. La missive contenait une adresse et un délicat mot d’accompagnement : « grouille-toi ».

En entrant dans leur bureau, il n’avait fait que constater son absence. Un détail lui sauta à l’esprit, maintenant qu’il observait les dossiers du capitaine. Un tas de feuilles éparpillées qui n’était pas à cette place hier soir lorsqu’il avait quitté le service. Un bref coup d’œil pour en capter les grandes lignes. Bauroix avait planché tôt ce matin pour ne pas être largué et il avait sûrement déjà fait le trajet pour rejoindre l’endroit où dénicher Jocelyn Martin.

Edouard regroupa ses affaires. Pas la peine pour Olivio d’interroger son collègue, il avait bien compris que Gabriel l’avait contacté. Il lui adressa un signe de tête, il se chargeait de creuser ce qui pouvait l’être et le tiendrait au courant en cas d’avancée significative.

*

* *

Rejoindre à pied le 18 de la rue Dautancourt dans le 17e arrondissement avait eu un effet bénéfique sur Edouard Levalet. Ses pensées s’étaient évadées un court moment, chassant les images ensanglantées qui s’invitaient à chaque fois qu’il avait l’audace de fermer ses yeux. Les enquêtes se succédaient à un rythme effréné, et plus l’horreur grandissait, plus sa conscience s’amusait à le lui rappeler aussi souvent que possible. Une franche coupure s’imposait.

Au croisement de la rue Saint-Jean, un homme s’adossait contre la façade, dévisageant chaque personne dans son scope pour en retenir un maximum de détails. Edouard l’interpella une fois à proximité.

- Tu m’expliques ?

Gabriel Bauroix lui adressa à peine un regard en biaise et continua son observation.

- Le nom craché par Chiquito habite ici, mais je ne dois rien t’apprendre. Ce qui est plus étrange, c’est que je suis en planque depuis près de deux heures et pas un seul mouvement de sa part. Les volets sont restés fermés et il n’est pas sorti.

- Comment sais-tu lequel des appartements est le sien ?

- Avec les bonnes vieilles méthodes : une enquête de voisinage.

- Et la suite de ton plan ?

- Lui rendre une petite visite et lui faire cracher le morceau. Il nous doit bien ça, le bougre.

- Et bien sûr, tout en douceur…

Bauroix lui adressa un sourire fabriqué de toutes pièces et se mit en mouvement.

La porte du bâtiment n’était pas verrouillée, le capitaine de police s’en était assuré en arrivant sur place. Cette vérification d’usage lui avait permis de discuter avec l’une des propriétaires, une femme proche de des soixante-dix ans se préparant à recevoir son petit-fils pour le déjeuner du mercredi. D’après l’occupante, un calme régnait dans le bâtiment. Aucune plainte durant les dernières assemblées générales de la copropriété. Un détail l’avait cependant dérangé, une odeur inhabituelle dont elle n’aurait pu certifier l’origine.

Edouard tiqua sur cette dernière remarque. Il n’eut pas besoin de précision pour comprendre le schéma qui se dessinait dans l’esprit de Bauroix. La culture du pire, comme le lui avait enseigné le flic sur ses premières affaires dans l’équipe.

Aucun courrier ou prospectus ne dépassait de la boite baptisée du nom de leur hôte. Ils pressèrent le bouton sur l’interphone. La diode s’illumina, une sonnerie retentit à trois reprise, mais la prise de contact resta infructueuse. Bauroix appuya sur tous les autres à sa disposition. La porte finit par émettre un bourdonnement et neutralisa l’attraction entre les deux aimants composant le mécanisme de sécurité. Les deux flics s’engouffrèrent.

- Toujours horreur des ascenseurs ? questionna Edouard tout en connaissant la réponse.

Gabriel bougonna et emprunta les escaliers pour rallier le deuxième étage du bâtiment. Ses muscles supportèrent l’effort malgré la vitesse à laquelle il avait avalé l’ensemble des deux blocs. Le souffle court, il voulut inspirer une grande bouffé d’air, mais fut stoppé dans son élan. Edouard avait déjà un mouchoir placé sur son nez pour obstruer l’odeur.

Le lieutenant posa sa paume sur la porte et tenta de la pousser. Sans effet. La poignée tourna dans le creux de sa main alors que Bauroix calé la crosse de son arme entre ses doigts. Il regagna un peu d’assurance, le temps qu’une nouvelle vague odorante les submerge lorsque Levalet poussa le battant et ouvrit la voie.

Une silhouette se découpait avec subtilité dans l’obscurité de l’appartement.

Bauroix et Levalet avancèrent d’un pas prudent, canon incliné vers le bas, index prêt à presser la queue de détente. Être toujours prêt à faire usage de son arme en cas de péril, mais toujours chercher à éviter le danger, une devise que le commissaire Valentini aimait à rappeler à chaque fin de briefing.

Leurs yeux s’adaptaient, dévoilant l’horreur d’un nouveau meurtre. Leurs pieds finirent par entrer en contact avec un liquide répandu sur le sol. L’odeur du corps dominé toute autre émanation, impossible d’identifier un potentiel piège. Bauroix stoppa Edouard d’un geste de la main pour plus de prudence.

Il lui indiqua la présence d’un interrupteur sur le mur adjacent au couloir et lui fit un signe de la tête pour qu’il l’active. La lumière jaillit sans attendre, dévoilant un homme attaché à une chaise inclinée, tissu sur le visage. Une construction soutenait un bidon vidé de son contenu.

Le simulacre de noyade, sale manière de mourir.

Bauroix secoua la tête et enfila un gant en latex, trempa ses doigts dans le liquide et le porta à ses narines. Aucune caractéristique qui lui évoquait une menace. Il s’approcha un peu plus de la victime et pris son pouls. Rien à signaler.

- Mort et rigide.

- J’appelle l’identité judiciaire et je préviens le commissaire.

Edouard s’éloigne dans le couloir pour regagner le palier. Bauroix opina du chef et resta planté devant le cadavre. Il ouvrit la fenêtre pour aérer la pièce et rendre un peu plus supportable ce qui ne pouvait l’être. L’enquête se complexifiait et leur principale piste s’arrêtait là. Une épine de plus dans le pied. Peu importait, son cerveau analysait déjà la nouvelle scène de crime et sa conviction personnelle ne faisait que se renforcer.

Son intuition était la bonne, mais il devait vérifier un dernier élément pour acquérir une parfaite certitude quant à l’hypothèse qui germait tout au fond de sa tête. Sans plus attendre, il quitta à la va-vite l’appartement, son coéquipier surpris et seul pour gérer la suite.

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