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26 septembre 2022 – 12h30

Paris

Lotta avait quitté le bureau en urgence pour rejoindre la nouvelle scène de crime. Elle s’attendait à trouver de l’hémoglobine, comme pour celle de Ville-d’Avray et fut presque déçue d’apercevoir un appartement en ordre. Elle enfila sa tenue stérile pendant que les flashs continuaient de crépiter dans l’appartement. Un homme sortit avec plusieurs scellés et disparut dans les escaliers.

Edouard apparut dans le cadre de la porte, le regard dans le vide et le visage éteint. Ses neurones carburaient depuis un bon moment pour trouver un moyen de remettre cette enquête sur les rails. Il en profita pour livrer un portrait global.

- Il s’agit bien de notre homme, Jocelyn Martin. Décédé, probablement étouffé ou noyé, mais la légiste nous le confirmera à son arrivée. L’Identité judiciaire est en train de faire le travail. On aura le champ libre d’ici dix minutes.

- Un détail qui a attiré ton attention ?

- Pas un, mais deux. Sur le corps en lui-même, enfin déposé dessus, une plume blanche ensanglantée sur la partie haute seulement.

- La signature du tueur, un nouvel élément, qui diffère de la première victime. Il nous dévoile une partie de sa personnalité, ou bien il veut nous faire passer un message. Même criminel ou bien deux auteurs différents, selon toi ?

- Je ne saurais te dire en l’état. L’autre élément relève plus du ressenti. Le système utilisé pour tuer la victime, une construction et un procédé tous deux assez rudimentaires. Comme si l’ensemble avait été improvisé sur place. Une forme d’amateurisme dans la manière d’exécuter les choses.

Ondine Carlotin débarqua avec vingt minutes de retard, ses deux mallettes à bout de bras et son assistant chargé comme une mule. Sa mine en disait long sur le ras-le-bol qu’elle éprouvait à se déplacer dans les rue de la capitale. Circulation saturée, place pour se garer inexistante ou inexploitable, les badauds qui tentaient de glisser un œil indiscret et le clou du spectacle : les marches.

La femme maugréa tout en enfilant sa tenue. Les gants claquèrent, double épaisseur pour éviter toute contamination. Le responsable de l’équipe technique lui communiqua les éléments clefs concernant le corps qu’elle nota en marge de sa feuille de constat. Fin prête à affronter une nouvelle âme meurtrie, elle invita son jeune collègue à pénétrer dans l’appartement.

Traverser ce couloir baigné d’ombre lui parut durer une éternité. Dans la pièce principale, elle préféra s’attarder sur la lumière du soleil que sur le corps sans vie qui n’attendait plus qu’elle pour quitter cette position ressemblant un bloc de Tetris.

Elle s’étira de tout son long avant d’adresser un signe de tête à Edouard. Le lieutenant s’approcha, mais il n’eut pas les faveurs de la légiste qui s’attardait déjà sur cette présence féminine inconnue.

- Ne serait-ce pas la petite nouvelle de l’équipe ? Et personne ne m’a encore présenté ce joyau de la nature ? Vilains hommes que vous êtes !

Le lieutenant Noldssen ne sut où se mettre, les joues rougies par la flatterie. Edouard lui papota l’épaule en signe de soutien, puis il se rapprocha de la légiste dont la coiffure du jour ressemblait à un chignon bleu fluo écrasé par

- Sacré numéro, siffla Ondine. Vous aimez vraiment les situations… particulières.

La médécin ausculta visuellement le corps, à la recherche d’une première trace sur laquelle s’appuyer pour commencer ses constats. Un filet de sang partit du menton et avait séché le long de cou. Outre les traces de liens sur les poignets et chevilles, elle resta bredouille dans sa quête. Si de prime abord, aucun signe de violence n’était visible, d’expérience, la femme s’attendait à un tout autre scénario une fois le corps dévêtu. Elle fit un mouvement de tête à son assistant pour qu’il lui vienne en aide.

Avec précaution, elle souleva le morceau de tissu qu’elle plaça dans un sachet plastifié. La découverte étrangla l’ensemble des protagonistes. Ce visage tuméfié et agrémenté de deux yeux grand ouverts, expression figée du calvaire vécu par l’homme face à sa mort qu’il sentait l’emporter battement de cœur après battement.

Ondine s’approcha et reprit sa mission pour briser la spirale d’un silence plombant

- Signes visibles d’une asphyxie qui me semble être la cause principale de la mort. Le simulacre de noyade ne laisse que peu de chance à celui ou celle qui le subit. Le manque d’air, la présence probable d’eau dans les poumons, tout est mis en œuvre pour obstruer les voies respiratoires.

- Le nez a aussi été éclaté.

- Un sacré coup pour le réduire en miette, ajouta Ondine à la réflexion d’Edouard. Nos deux sciences parviendraient à la même conclusion : la respiration naturelle, nasale, devait être douloureuse voire impossible. La victime était forcée d’inspirer et d’expirer par la bouche, ce qui facilite le travail.

- Vous pensez que le meurtrier a volontairement frappé cette partie du visage ? Que cela pourrait être un geste prémédité, une étape dans l’escalade de sa torture ?

- Elle m’a vouvoyé… J’en prends un coup de vieux. Pas nécessairement. Peut-être est-ce un acte en réaction et que l’opportunité de l’exploiter est venue à l’esprit du tueur dans un second temps. Mais cela a accéléré le processus, à n’en pas douter. Avançons, les hypothèses, c’est votre délire, je ne m’appuie que sur la vérité du corps en ce qui me concerne.

La main experte s’empara d’une paire de ciseaux. Glissade des lames aiguisées dans un geste unique pour fendre le tissu en deux. Les ecchymoses se révélèrent telles les tâches sur le chapeau d’un champignon à l’apparence mortelle. Les marques de violence recouvraient une bonne partie du torse. Ondine Carlotin marmonna quelques mots de jargon dans le petit micro-cravate attaché à sa tenue. Elle releva la tête et

- Nul besoin d’interprétation, je crois.

- L’un des coups a-t-il pu être décisif ? questionna Lotta

- Futée, l’enfant, c’est bien. Droit au but, ça doit plaire à Bauroix comme attitude. Au touché, je dirais non. Cassé, c’est certain pour au moins deux côtes gauche. Je ne sens pas un enfoncement particulier qui aurait pu percer un organe, juste une irrégularité caractéristique d’un déplacement consécutif à une rupture de la structure osseuse. L’autopsie interne nous livrera une partie de la vérité à ce sujet.

Edouard resta encore une dizaine de minutes à recueillir les premières indications de la légiste. Il n’en tira rien de plus. L’autorisation de lever le corps fut transmise par le parquet et les pompes funèbres purent œuvrer. La légiste précisa au lieutenant que l’étude médico-légale se déroulerait en fin de journée, rapport à venir au plus tard dans la matinée suivante.

Le flic retrouva Lotta en pleine exploration. L’appartement était propre, ordonné, chaque chose à sa place. Classement des livres sur l’étagère, sous-vêtement par type et couleur, conserves et autres denrées par nature et date de péremption. Pas une seule anomalie à se mettre sous la dent. Un véritable maniaque. Les pires selon Bauroix, car naturellement conditionné pour ne pas commettre d’erreur et ainsi pourrir la vie d’un flic.

Un lieu de vie un peu trop idéal au goût de Levalet qui plongea ses mains dans une caisse contenant les factures de la victime. Le Diable se cachait dans les détails. Le portable de Lotta sonna. Elle s’éloigna pour répondre et fit un signe à son coéquipier.

- On t’écoute.

- Notre nouvelle victime s’appelle Jocelyn Martin, je ne vous apprends rien, né le 12 septembre 1995 à Versailles. Etude dans une école de commerce, première expérience dans une petite start-up avant d’atterrir à son poste actuel dans une entreprise d’accompagnement en stratégie de développement. Présence sur les réseaux sociaux sans y avoir une activité régulière. Parents vivant en province, une sœur, pas de compagne ou d’enfant. Le célibataire carburant au classique « métro-boulot-dodo », sans histoire apparente.

- Et pourtant, on le retrouve assassiné. Notre métier nous rappelle encore une fois que les apparences sont trompeuses. Reste à découvrir quels secrets viennent d’être enterrés par la mort de cet homme. Chiquito n’a pas lâché son identité par hasard et je ne crois pas à une coïncidence.

- Je te le confirme. J’ai fait une requête sur le TAJ, une seule mention. Jocelyn Martin a été entendu dans une affaire de trafic de stupéfiants. J’ai rapidement parcouru le dossier de procédure, pas de poursuites engagées contre lui et aucun résultat pour la mesure de mise sous surveillance.

Les liens entre cette nouvelle victime et les autres acteurs du dossier ne faisaient plus de doutes. Pourtant, le tableau restait toujours aussi lacunaire. Leur seule véritable piste s’était achevée avant même d’avoir débuté. Impossible d’éclaircir les rôles de chacun, de percer l’organisation et le mode opératoire.

Edouard se massa les tempes pour faire passer le début de migraine qui s’initiait dans sa tête. Cette enquête était de loin la pire qu’il avait pu mener depuis plusieurs mois.

- On va vérifier les communications, faire un historique du bornage de son portable et éplucher ses comptes. Olivio, tu peux me lancer les requêtes auprès du parquet le temps qu’on revienne ?

- C’est comme si s’était fait.

- Un élément me perturbe toujours. Un mec si méticuleux, participant à une association de malfaiteurs, quel que soit le but… Il doit bien garder une trace de ses actions, de ce qui lui est dû, ou peu importe.

- A quoi penses-tu ?

- Un fichier dans un ordinateur ? suggéra Lotta. Un carnet ? Un coffre dans un autre lieu ?

- Je ne sais pas, ça m’échappe à vrai dire.

Silence entre les trois flics qui se donnèrent le temps d’intégrer ces nouveaux éléments à l’équation. Rien n’en sortit. Edouard et Lotta se débarrassèrent de leur combinaison dans un bac dédié. Le lieutenant échangea avec le brigadier-chef, passa les consignes pour la fin des opérations et le binôme regagna la voiture de fonction garée à deux rues de là.

Le bruit du moteur ronronna dans une rue toujours grappée d’inconnus en mal de sensations fortes et de journalistes. Olivio ajouta une couche supplémentaire.

- Retour négatif sur le contenu des ordinateurs de Jordan Belcourt et Gaëtan Mangesa. Aucun fichier pouvant alimenter la piste de leur participation à un trafic. Les relier à Chiquito et notre nouvelle victime relève de l’impossible ou du miracle.

- Le proc’ va sûrement nous faire sauter la flagrance et saisir un juge d’instruction.

- D’autres mauvaises nouvelles ? s’agaça Levalet.

- Non. On a une liste d’adresses de connexion à des sites et autres pour chacun des deux engins. Leur exploitation nous donnera peut-être du grain à moudre, surtout en les recoupant. Il faudra faire de même avec le matos du suspect et de Jocelyn Martin.

La conversation n’alla pas plus loin. Tous avaient conscience que le temps jouait contre eux et que le peu de piste à leur disposition les menait à une nouvelle impasse à chaque fois. De quoi décourager le plus téméraire des hommes. Le débriefing avec le commissaire Valentini s’annonçait de mauvaises augures. Il voulait des résultats et l’équipe accumulait les emmerdes sans un progrès significatif.

Le lieutenant se sentait perdre le contrôle. Une partie de lui, guidée par la fierté, refusait de baisser les bras, de s’avouer vaincu et de solliciter une aide extérieure. Il avait entre ses mains sa première véritable enquête en tant que chef d’équipe. Une reconnaissance pour les efforts et le travail fourni depuis la mise à pied de Bauroix. D’un autre côté, il savait ne pas avoir les épaules assez larges pour supporter seul le poids de la pression générée par ce type de dossier. A la moindre erreur, l’ensemble lui exploserait à la gueule et il ne savait pas évaluer l’étendue des dégâts qu’il subirait. Cette inconnue l’effrayait.

Coup de frein, déclic du frein à main. Le moteur s’arrêta. Bruit d’une portière s’ouvrant. Retour à la réalité, Edouard reconnut la parking sous-terrain du Bastion. Lotta nota le temps d’hésitation de son collègue sans lui faire de remarque.

Dans le bureau, Olivio croisait déjà les données à sa disposition pour identifier un nom de domaine commun et récurrent. Ses feuilles étaient badigeonnées de Stabilo et les post-it s’y accumulaient à chaque vérification nécessaire. Edouard s’installa directement derrière son ordinateur et ouvrit sa messagerie. Ce n’est qu’à ce moment qu’il aperçut au fond du bureau Bauroix.

Le capitaine était visiblement concentré. Mauvais timing pour le déranger, surtout après les mots que Levalet avait eu la veille à son égard. La présence de l’homme était un point positif. L’ancien semblait avoir accepté les changements et la nouvelle hiérarchie dans un groupe qu’il avait mené tant de fois sur les dernières années.

Il replongea sa tête dans son écran et chercha à se focaliser sur les mails à sa disposition. En vain. L’attitude de son ancien supérieur ne collait pas avec ce qu’il connaissait du personnage. Edouard sentait qu’un détail lui échappait. Décidément, il n’était pas dans son assiette, passé à côté de l’essentiel sur tous les sujets un peu de repos lui aurait été d’un grand bénéfice.

Pas le temps de tergiverser, il lui fallait obtenir des résultats, même minime, avant qu’une inévitable fin s’abatte sur lui et qu’il devienne la première pièce sacrifiée.

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