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26 septembre 2022 – 14h00
Saint-Maur-des-Fossés
Cinquante-cinq minutes pour rallier sa destination. Un enfer de carbone et de bitume chauffé par le soleil bien caché derrière les nuages, sans oublier les Klaxons des automobilistes frustrés. La sortie des bureaux ne courait que dans deux heures et pourtant le périphérique parisien saturé déjà. Un amas de ferrailles cul à cul suite à une crevaison sur la voie centrale. De quoi donner des envies de province au plus citadin.
Clignotant de droite, rotation du volant en douceur. La rue était paisible, un quartier sans histoire où le voisinage s’accordait sur les sujets majeurs sans pour autant créer une esquisse de convivialité qui permettrait d’outrepasser le respect de l’intimité délimités par les quatre murs de chaque maison. Bauroix avait horreur de ce genre de quartier, imprégné de messes-basses et de couteaux dans le dos, maquillées à l’aide de sourires à peine forcés. Un nid à guêpe au piqûres renouvelable à souhait.
Le capitaine de police gara la Peugeot 206 sous un arbre et observa un peu plus l’habitation située au 56 de l’avenue Mahieu, à une cinquantaine de mètre de lui sur le trottoir d’en face. Petite maison éloigné des aspects luxueux du coin, portail et grillage sur le muret en acier, agrémenté d’un brise vue bas de gamme. Se dégageait de l’ensemble une impression de discrétion, ne pas attirer l’attention des autres. Un bon point pour Bauroix qui présentait avoir enfin une piste concrète à exploiter.
Le brainstorming éclair avait débouché sur une réorientation des ressources pour accentuer les efforts autour de cet individu mis de côté jusqu’à présent. Il était l’un des points communs les plus évidents entre nombre de pièces de cette énigme. Dans une unique intervention, Gabriel avait souligné un détail qui avait fait pencher la balance : l’impossibilité d’entrer en contact avec Dylan Lombare à l’époque de l’ultra connectivité.
Bauroix parcourut la distance et s’arrêta à la jonction avec la propriété voisine. Il s’autorisa un bref coup d’œil pour identifier un obstacle sur le chemin menant au perron. A priori, pas de piège visible, pas de clébard prêt à lui sauter à la gorge au premier grincement du portail. Il recula d’un bon mètre et repartit de l’avant dans une démarche la plus naturelle possible afin de se présenter à l’interphone. Pression sur le bouton, grésillement et silence total. La récidive n’eut pas plus de succès.
Pas de poignet sur le portail, un modèle complètement automatisé rendant impossible une intrusion, du moins en pleine journée. Une étiquette autocollante au-dessus de la fente dédiée au courrier indiquait « Lonbare », en remplacement du nom des anciens propriétaires sûrement gravé à même la plaque couleur argent.
Un pique de frustration s’empara de Bauroix qui ne put retenir son coup de pied dans le battant d’acier. L’impact provoqua un léger son métallique qui bourdonna autour du flic. Il libéra aussi une fente entre les deux volets de fer que le flic exploita sans plus attendre. Une main en appui, l’autre pour tenter d’agrandir l’accès. Un effort besogneux qui porta ses fruits à la troisième tentative. Bauroix tapota les manches de sa veste pour chasser la poussière et pénétra dans l’avant-cour.
De la mauvaise herbe poussait en tout impunité par touffes dispersées entre les dalles. La nature reprenait ses droits face à l’inaction humaine, ou plutôt profitait-elle d’un répit dans sa destruction constante pour tenter de survivre un peu plus longtemps. De plus près, l’habitation accusait un sérieux coup de vieux. Difficile d’imaginer une famille de quadragénaire vivre là-dedans.
Le capitaine toqua à la porte. Trois coups de l’index droit, comme à chaque fois. Toujours ce satané silence en retour. Il n’eut pas la patience de respecter les protocoles. Cette fois, pas de « police, merci d’ouvrir », à peine un pas d’élan et il enfonça la porte avec l’épaule. Le bois céda sans résistance dans une complainte de bois craquelant.
Une grande pièce à vivre s’ouvrit à lui. Salon, cuisine et salle à manger formaient un tout baigné de luminosité grâce à la baie vitrée en fond, donnant un accès direct sur le petit jardin d’appoint. Ambiance minimaliste pour la décoration, aucune photo sur les murs ou les meubles, un simple vase avec quelques fleurs sur le point de faner. L’impression de se confronter à une illusion parfaitement ficelée ne plut pas à Bauroix qui continua son exploration.
Poussière sur la table et l’écran de télévision, guère mieux sur l’unique meuble dans la salle à manger. Les poubelles étaient vides et le réfrigérateur quasi vide. Les placards abritaient dans conserve et autres boite dans la date de consommation limite était largement franchie. A l’étage, pas une âme qui vive. Salle de bain inutilisée, deux chambres avec des lits non préparés. Aucune information pour l’orienter sur cette piste qui s’essoufflait déjà.
- Bauroix, j’écoute, grogna le flic en pressant une icône sur l’écran tactile de son portable.
- Lotta a fait chou blanc sur le lieu de travail de Lombare. Ce gars n’a jamais travaillé dans l’entreprise que nous avons identifiée. De près, comme de loin. Aucune mention sur l’ensemble des listings du personnel ou des visiteurs.
- Tu sens venir ma prochaine réflexion.
- Oh que oui, affirma Olivio, je t’ai trop pratiqué. Edouard fait le point avec Valentini, la poudre est de sortie, mon gars. Je vais quand même passer au peigne fin les réseaux, mais avec l’intelligence artificielle, pas compliqué de faire des clichés que même un expert ne descellerait pas comme étant un faux à l’œil nu, alors nous… Putain ! On s’est fait baiser sur toute la ligne !
- Exactement. Ici, même constat, c’est vide. Une baraque abandonnée.
Un bruit étouffé réduisit Bauroix au mutisme. Avait-il imaginé ce bruit en réaction à la frustration produite par ce nouvel revers ?
- Attends, un instant, j’ai entendu un objet tomber.
- Des renforts ?
Question sans réponse, Bauroix se concentrait sur sa progression à pas de loup vers la seule porte qu’il n’avait pas encore ouverte. L’accès à la cave. Son cœur battait à plein régime, ses tempes en écho synchronisé. Sa main droite enserra son arme de poing qu’il sortit du holster avant de la pointer devant lui. Depuis combien de temps n’avait-il pas ressenti le poids de son arme, la sensation de presser la détente. 4,5 kilogrammes de pression suffisaient pour déclencher le mécanisme. Un petit rien qui vous prenez tout. En était-il seulement encore capable ? Pourrait-il retenir son doigt si la situation l’exigeait ? Tant de question qu’il chassa de son esprit en secouant la tête.
Respiration profonde, vigilance au maximum. La torche sur son portable activée, il plaça sa main sur la poignée ronde et effectua un léger mouvement de rotation tout en tirant vers lui pour détecter la présence ou non d’un verrou.
Aucun coincement. Il peut une grande inspiration et fit volet la porte d’un geste brusque. Son arme se redressa immédiatement en rempart contre l’obscurité que le faible faisceau de son mobile ne parvenait pas à chasser à plus de cinquante centimètre. Une bouche de ténèbres prête à l’engloutir dès qu’il aurait un pied sur la première marche. S’aventurer seul en terres inconnues relevait de l’inconscience, violait toutes les procédures érigeait pour protéger les officiers de police, mais Bauroix n’en avait rien à foutre. Son instinct lui dictait de descendre et il le suivrait une fois de plus.
Escalier en béton, un soulagement pour Gabriel Bauroix qui pouvait ainsi évoluer sans craindre d’être trahi par un grincement. Mais dans le noir quasi-total, d’autres pièges pouvaient se dresser sans qu’il ne puisse les éviter. Il prit le temps d’écouter son environnement à chaque mouvement. A mi-parcours, un autre bruit se manifesta, sur sa droite. Il coupa le flash et décida de se guider par le glissement du bout de ses doigts sur le mur.
Plus que quatre marche et Bauroix serait dans la cave. Il entreprit de progresser d’une marche quand son front heurta un obstacle rigide. Bascule en arrière inévitable, ses réflexes lui garantirent un atterrissage presque contrôlé. Retenant un hurlement de furie, il tata l’espace et comprit être entré en collision avec le prolongement du sol de rez-de-chaussée.
Conséquence directe de chute, les bruits qu’il se démultiplièrent. Etait-il repéré ? Il n’en avait pas la moindre idée. Il devait agir et vite, s’adapter à cette nouvelle inconnue dans l’équation. Nouveau bruit, plus proche. Une bouteille de verre tintant au contact d’une de ses doublures, à même le sol.
Tout se précipitait bien trop rapidement. Plus le temps de réfléchir, agir ou mourir, son expression favorite en de telles circonstances. L’adrénaline fusa dans le corps de Bauroix, ses muscles se contractèrent, parés à toutes éventualités. La gauche du capitaine cherche l’interrupteur et rencontra une petite tige, priant pour qu’il s’agisse du bouton de commande.
A trois, tu lances les hostilités, pas de quartier mon gars. Un… Deux…
- Police, plus un geste ! aboya Bauroix d’une voix à faire trembler les morts six pieds sous terre.
L’ampoule au plafond éclaira la pièce. Le regard de Bauroix se braqua sur la seule masse en mouvement qu’il perçut. Son arme s’aligna avec une boule de poil qui se dressa face à lui sur une table basse. Deux billes vertes perçantes qui le dévisagèrent avant d’émettre un miaulement d’approbation suivi d’un ronronnement expressif.
- Putain de matou de merde ! gueula le flic en tournant sur lui-même pour repérer l’animal.
Le félin serpenta entre ses jambes de son sauveur avant de disparaître dans l’escalier.
- Tu ne paies rien pour attendre ! Je vais te chopper !
Bauroix ne laissa choir contre une étagère remplie de cartons. La pression s’écroula d’un coup et il put reprendre ses esprits, se recentrer sur l’essentiel.
- Tout va bien ? s’enquit Olivio à l’autre bout de la ligne.
- Oui, rien à signaler. Juste un chat bloqué dans la cave. Il a dû rentrer je ne sais comment et se retrouver là, piégé comme un rat. Quelle ironie de situation.
- Gabriel, l’ami des bêtes, ricana son collègue.
Il ne répondit pas à la plaisanterie, déjà en train d’éplucher l’endroit avec attention. Des cartons de partout, à perte de vue quand bien même l’endroit apparaissait minuscule. Au jugé, une bonne trentaine bien plein, renfermant peut-être un élément décisif. Un travail de spéléologie que Bauroix n’avait pas envie de mener, pas maintenant et surtout pas seul.
- Si tu devais regrouper des informations sensibles et les dissimuler dans un tas de cartons, tu les planquerais avec quoi ?
- D’autres pochettes, des revues, des bouquins, tu vois le genre. Fondu dans la masse, ça passe incognito si tu ne fais pas franchement attention.
- Mouais…
Rapide tour des inscriptions sur les façades rongées par l’humidité. Aucun contenant ne répondait à la proposition d’Olivio. Après tout, ce qu’il cherchait n’était peut-être pas dans ce débarras improvisé. Tout avait été soigneusement monté, un trompe l’œil exécuté d’une main de maître et ils n’y avaient vu que du feu depuis deux jours. Et pourtant, quelle meilleure planque que la cave d’une maison abandonnée où personne n’aurait l’idée de fouiller ?
Bauroix sortit ses écouteurs qu’il brancha à son téléphone afin de libérer sa deuxième main. Il continua d’échanger avec son coéquipier. La piste Dylan Lombare refroidissait de plus en plus. Lotta avait contacté les collègues dans l’Yonne et l’adresse indiquait correspondait à une zone désaffectée. Encore une impasse identifiée, un autre point structurant d’une toile tissée avec intelligence. Le fil des pensées de son auteur se dessinait peu à peu.
Après le sixième carton et une bonne heure à se creuser la tête, le flic lâcha l’affaire. Des classeurs, des factures, des coupures de presse des années 90, il pouvait reconstituer la vie d’une famille sur trois générations, mais ne trouverait pas de quoi progresser sur son enquête.
Le mode vibreur se manifesta dans sa poche. Bauroix ajusta l’écouteur et appuya sur le bouton du kit main-libre.
- Olivio à l’appareil, pour ton plus grand plaisir. On a fouillé les caisses ramenaient de chez Jocelyn Martin. C’est lui notre Dylan Lombare. Tout est consigné sur une clef USB. Les modèles des documents officiels, les photos qui ont servi au différent montage… On a même un planning de tâches et d’actions à mener.
- L’enfoiré. Et on n’ira pas plus loin parce que ce connard a claqué.
- Ajoute à cela qu’Edouard est revenu rincé de son entretien avec la hiérarchie, le visage blanc comme un cachet d’aspirine. On est dans l’œil du cyclone sur tous les plans.
- Eux aussi, ils nous les brisent.
Bauroix quitta le sous-sol pour regagner le grand espace de vie inanimé. Le chat s’était allongé prêt de la porte d’entrée refermée comme possible après l’intervention du visiteur. Il se laissa capturer avec une nonchalance et relança son ronronnement. Le flic leva les yeux au ciel et quitta la maison avec l’animal, pressé de retrouver le canapé dans la salle commune et de déconnecter un instant.
Dans la voiture, le matou s’installa sur la banquette arrière qu’il monopolisa en s’étirant de toute sa longueur. Le retour à la lumière et au monde extérieur lui faisait le plus grand bien après un temps indéfinissable dans cette cave. Bauroix se surprit même à l’imaginer dans son appartement, lui le loup solitaire qui ne vivait que pour l’odeur de la traque.
Le contact mis, la première enclenchée, Bauroix se figea sur place. Il éteignit machinalement le moteur et se précipita au premier étape de la maison.
Il pénétra dans la première chambre puis en ressortit pour s’attaquer à la seconde. La différence ne lui avait pas sauté à la figure, mais à présent, il n’avait plus de doutes. Jocelyn Martin était un homme ingénieux, il devait le lui concéder. Tapisser une partie d’un mur avec un papier peint lisse et blanc alors que les autres étaient recouvert d’une simple couche de peinture de la même couleur, il fallait oser. La luminosité de la pièce permettait de masquer les légers reliefs pour tromper tout intrus ne sachant où regarder.
Bauroix chercha un point d’accrocha et gratta avec son ongle jusqu’à ce que le coin se désolidarise. Doucement, il tira sur le morceau qui se décrocha sans opposer de résistance. Et dire qu’il avait failli passer à côté. Rouillé, mais pas encore hors service.
Devant lui apparut une carte et de nombreuses notes. Il ne put s’empêcher de sourire, satisfait de sa découverte. Téléphone à la main, il dit à Olivio :
- Envoie-moi la cavalerie, j’ai trouvé de quoi nous relancer.
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