Interrogatoire

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Me voilà une fois de plus dans le bureau de Kenneth. Ce flic me prend vraiment pour son bouc-émissaire. Je n’ai que douze ans, quand va-t-il enfin comprendre que je n’y suis pour rien dans les affaires de famille ? Je soupire, tapote des mains sur le bureau dans la salle d’interrogatoire. Je contemple les menottes déposées sur la table, celles qui ont cisaillé mes poignets. La porte grince, Kenneth entre dans la pièce. Il dépose un dossier et me fixe droit dans les yeux.

— À chaque fois qu’une embrouille se produit dans le quartier de North Beach, je tombe sur toi. Avoue maintenant, qui a fait le coup ?

— J’en sais rien.

Kenneth soupire, s’assied lourdement sur la chaise en face de moi. Il ouvre la chemise cartonnée et liste à voix haute les infractions commises par ma famille, les Calpoccini : extorsion, racket, blanchiment d’argent, fusillades en pleine rue, assassinat d’un bijoutier et le dernier en date : meurtre d’un adjoint au maire du nom de Brice Peterson. Cet homme a refusé une demande de notre clan et sur le coup de la colère, il a proféré des menaces. La réponse ne s’est pas faite attendre, mon père, Marco, l’a flingué d’un tir direct dans le front. Du sang et des morceaux de cervelle ont giclé sur les murs blancs de sa cuisine.

Je le sais, car j’étais présent. Mon père m’emmène partout avec lui dans ses affaires pour que j’apprenne le métier. Il souhaite faire de moi son bras droit. Ce n’est pas de gaîté de cœur que je viens sur le terrain. Les affranchis ont ensuite terminé le travail. Ils ont découpé le cadavre de l’homme avec une scie, puis ont mis tous les morceaux dans le frigo. Un indice laissé volontairement pour faire passer le message au maire actuel de San Francisco. Le but de Marco ? Le projet de construction de la tour des finances située sur Battery Street. Un moyen pour lui d’injecter l’argent sale dans l’économie légale.

Pour l’heure, c’est moi qu’ils ont arrêté, car ils m’ont vu sortir de la maison victorienne où habite la victime. Je n’aurais pas dû revenir sur le lieu du crime, mais je n’avais pas le choix. Marco et ses hommes de main avaient oublié de récupérer les clés du chantier et du bureau de l’adjoint. Mon père m’a donc envoyé et les flics me sont tombés dessus.

Me voilà donc ici, entre quatre murs, avec ce lourdaud de Kenneth qui se prend pour un shérif texan.

Derrière mes mèches de cheveux noirs et mes yeux ébène, je lui lance un regard sévère. L'une des règles de notre organisation, la plus importante, est l’omertà. Il aura beau me questionner, je ne dirai rien. Je ne suis pas une balance et je ne tiens pas à ce que les sicaires viennent me punir. Ce sont des experts pour balafrer les visages d’un coup de dague. La sfregio, démonstration de la justice rendue, est le châtiment des réfractaires aux ordres.

Kenneth tape des poings sur la table, je sursaute, son embonpoint rebondit. Il annote le texte. Je me penche légèrement pour regarder, mais je n’arrive pas à distinguer les mots.

— Jack, ce petit jeu a assez duré. L’adjoint au maire a été assassiné et tu étais sur place. Qui l’a tué ?

— Je vous ai déjà répondu.

— On va faire autrement. Je te pose des questions et tu me réponds par « oui » ou « non ». Voyons voir… La Mafia est…

— C’est pas joli de dire des gros mots, coupé-je.

Kenneth tape une nouvelle fois sur son bureau, sourcils froncés. Ses narines frémissent. Il ressemble à un Bulldog enragé.

— Cosa Nostra ? Camorra ? ´Ndrangheta ?

Je me contente de hausser les épaules. Il s’emporte, râle en onomatopées, se lève et me gifle.

— Ce n’est pas une question optionnelle ! hurle-t-il. Réponds tout de suite !

— J’en sais rien ! Je n’ai aucune indication à vous donner !

Kenneth se gratte le menton, des bouts de peau morte tombent en neige sur son bureau. Il retrousse son nez épaté et renifle bruyamment. Il me dégoûte. Je détourne le regard, ça ne lui plait pas, alors il m’agrippe les cheveux pour m’obliger à le regarder. Je lève les mains pour lui attraper les siennes.

— Les petits malfrats dans ton genre finissent en taule ou six pieds sous terre.

Je grimace, donne un coup de poing pour me dégager et le mords au bras de toutes mes forces. Kenneth me relâche et se met à brailler de douleur. Je profite de l’occasion pour m’enfuir, je cours aussi vite que je peux. L’hôtesse d’accueil m’intercepte.

— Où vas-tu comme ça petit ?

Je lui lance mon plus beau sourire, je sais que j’ai un certain charme et j’en joue sans scrupules. Surtout si cet atout me permet de me sortir des mauvais pas.

— Ma maman m’attend, je lui avais promis de ramener un autographe du shérif Kenneth. Je suis en retard.

— Oh c’est trop gentil ça, s’émeut la jeune femme aux cheveux couleur miel.

J’aperçois Kenneth arriver en trombe dans le couloir. J’écarquille les yeux, salue la dame vite fait et sors rapidement.

— Reviens ici tout de suite ! hurle Kenneth.

— Laisse-le, il va être encore plus en retard sinon.

— Quel sale gamin !

— Oh non, il est trop beau.

— Ashley.

— Ouiii ?

— La ferme.

*****

NOTE : personnages issus de mon roman Pinocchio de sang

https://www.atelierdesauteurs.com/text/473090280/pinocchio-de-sang

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